Le crowdfunding : le financement de demain

Cet article est divisé en deux parties, la première, présentée ici, traitera du système du crowdfunding et la deuxième, à venir, se concentrera sur la fiscalité applicable aux acteurs du crowdfunding.

Le plébiscite de la foule. Pour financer leurs projets, des milliers de personnes et d’entreprises ont recours depuis quelques années à une nouvelle forme de levée de fonds, le crowdfunding, en se passant des banques ou des capitaux-risqueurs, jugés par certains comme trop frileux, trop exigeants ou trop arbitraires.

Le crowdfunding, littéralement le « financement par la foule », est un mécanisme d’investissement participatif et communautaire par le biais de plateformes web dédiées qui est né aux Etats-Unis au milieu des années 2000. La plupart des financements proviennent d’ailleurs d’Amérique du Nord [1].

Ces plateformes d’intermédiation regroupent différentes modalités de financement qui peuvent être, sans prétendre à l’exhaustivité :

–          Le « reward-based » [2] où le donateur reçoit une contrepartie non financière en général de plus en plus importante en fonction du montant de son financement. Le leader sur le marché est Kickstarter qui a levé, depuis sont lancement le 28 avril 2009, environ 500 millions de dollars par le biais de 3 millions de personnes-investisseurs permettant le financement de 35.000 projets [3]. Un exemple connu de succès sur la plateforme Kickstarter est la montre Pebble dont les créateurs espéraient récolter 100.000 dollars pour finalement voir l’engouement des investisseurs les porter vers une levée de fonds de…10.000.000 de dollars. D’autres sites existent tels que Indiegogo, KissKissBankBank ou Ulule ;

Exemple d’une vidéo d’un produit que l’on trouve sur Kickstarter qui présentent un projet financé d’un système d’éclairage innovant pour vélo :



         Le « donation-based » [4] qui rassemble les projets à caractère caritatifs, d’intérêt général ou solidaires, avec des dons de faibles montants visant à financer des projets comme la sauvegarde d’une espèce animal, la lutte contre la malnutrition ou la création d’un documentaire sur le respect des droits de l’Homme. Les sites dédiés sont par exemples Arizuka ou encore Octopousse ;

–          La production communautaire avec des sites tels que My Major Company ou encore Touscoprod où les investisseurs sont des co-producteurs de musique ou de film. Ces derniers espèrent une rétribution financière mais aussi non-financière (recevoir l’album financé en avant-première, des goodies, etc.). Prenons l’exemple d’Irma, musicienne financée par les internautes à hauteur de 70.000 euros, et qui a vendu plus de 200.000 albums permettant aux contributeurs de récupérer 2,2 fois leur participation [5] ;

Vidéo réalisée par Google présentant de façon ludique l’aventure d’Irma et son financement par le biais de My Major Company :

          L’ « equity based crowdfunding » ou encore « financement participatif en capital » [6] qui permet une prise de participation au capital de l’entreprise qui cherche un financement. L’investisseur souhaite par ce biais bénéficier d’un ticket d’entrée relativement faible, les sites webs dédiés prévoyant des montants initiaux à investir aux alentours de 1.000 euros, et espère un fort potentiel de croissance se traduisant financièrement par le versement de dividendes puis par la réalisation de plus-values sur cession de titres. Sur ce secteur, nous trouvons des sites tels que Anaxago, Wiseed, Particeep etc. ;

Vidéo de France 2 qui présente notamment le projet de la société Antabio, financé par le biais de Wiseed :


          Enfin, le « consumer lending » ou « peer-to-peer lending » c’est-à-dire le prêt, avec intérêt, entre particuliers ou à destination des entreprises [7] avec des sites tels que FriendsClear, Lending Club, Prêts d’Union ou encore Prosper.

Les projets, on le voit, sont très variés et concernent de très nombreux secteurs d’activités (art, design, musique, technologie, film, jeux etc.). Le monde du sport est également intéressé par ce type de financement. On a vu par exemple lors du Vendée Globe le bateau de Bertrand de Broc se voir financer par plus de 5.000 personnes pour un montant total de 850.000 euros ou encore l’OM qui a lancé un projet de financement pour les PME par le biais du site sponsorise.me, récompensé par l’inscription du nom de l’entreprise sur le short des joueurs [8].

Le marché du crowdfunding est en croissance continue passant de 430 millions de dollars en 2010 à 1,5 milliards de dollars en 2011 [9] et Deloitte estime que le marché va croître à 3 milliards de dollars pour 2013 [10]. Le crowdfunding connait une croissance beaucoup plus rapide que les systèmes de financement traditionnels comme le prêt bancaire, le capital risque ou encore le financement caritatif, même si les montants que connaissent ces derniers sont bien plus importants.

La législation des pays prend plus ou moins en compte cette nouvelle forme de financement. Les Etats-Unis montrent qu’ils s’intéressent à ce financement collectif notamment par le Jumpstart Our Business Startups (« JOBS ») Act qui autorise ce nouveau type de levée de fonds, jusqu’à un certain plafond et un nombre maximum d’actionnaires, sans avoir à s’enregistrer auprès de la Securities and Exchange Commission (i.e. l’Autorité des Marchés Financiers américain).

En France, le cadre réglementaire et institutionnel est assez rigide si un opérateur économique souhaite exercer une activité bancaire dans la mesure où les opérations de banque doivent être exercées par des établissements de crédit [11]. De nombreux sites de peer-to-peer lending  ou  consumer lending ont recours à des partenaires bancaires établis pour éviter d’avoir à obtenir l’agrément obligatoire de l’administration (l’Autorité de Contrôle Prudentiel – ACP) en ce qui concerne leur activité de réception de fonds des investisseurs ou d’opérations de crédit ainsi que pour les services bancaires de paiement. Car en France, en principe seuls les établissements de crédit peuvent prêter de l’argent de façon habituelle. La société FriendsClear a ainsi un partenariat avec le Crédit Agricole qui  valide notamment en amont les demandes d’emprunt et propose une garantie en capital. Ce type de législation est un frein au développement du crowdfunding selon certains acteurs de ce marché.

A contrario, les sites de reward-based ont moins de difficultés notamment car il n’y a pas de prêt d’argent, les contreparties étant en général l’envoi du produit présenté dans le projet (un livre, des photographies, un objet design ou encore un produit technologique). Les sites de donation-based ne posent également pas de problèmes réglementaires particuliers.

On le voit, le crowdfunding permet la rencontre entre un porteur de projet et des internautes désireux d’investir. Un des intérêts du financement collectif est l’effet « boule de neige » que peuvent avoir le succès d’un produit. Les projets qui plaisent se situent dans le « top classement » des plateformes et attirent plus facilement d’autres investisseurs qui font l’apologie du produit dans lequel ils investissent et recrutent par ce biais d’autres investisseurs qui répéteront le même schéma.

Si d’un point de vu quantitatif, ce sont les plateformes webs de reward-based tel que Kickstarter qui sont les plus nombreuses, les plateformes d’investissements en capital connaissent un très fort développement. Il existe évidemment des risques qui sont inhérents à un investissement mais ce type de financement est une opportunité dans le marché des levées de capitaux notamment sur de petits projets pour lesquels les acteurs traditionnels ne sont parfois pas intéressés ou qu’ils estiment trop risqués. Ces petits projets, qui nécessitent quelques dizaines de milliers d’euros ou quelques millions d’euros, et non des centaines, trouvent dans le crowdfunding un instrument de financement adapté à leur besoin et peuvent être un tremplin, une sorte de premier tour de table, pouvant montrer la fiabilité d’un projet ou l’intérêt du public pour ce type de produit.

Le marché du crowdfunding est donc, à notre avis, positif et la croissance constatée et potentielle de secteur montre qu’il peut devenir un des acteurs clés du financement de demain.

Laurent Bibaut

Pour en savoir plus

[1] http://www.crowdsourcing.org/document/crowdfunding-industry-report-abridged-version-market-trends-composition-and-crowdfunding-platforms/14277

[2] Deloitte, Let’s get together: crowdfunding portals bring in the bucks: Reward-based is the second largest category of portal. Individuals go to a website and support a specific project in exchange for a reward. For example, those assisting with the development of a computer game may get a copy upon completion. Those investing more may receive a basket of games and a T-shirt. Backers of a new kind of remote-controlled light bulb might receive a quantity of light bulbs, depending on the level of investment made. Backers of a new play might get tickets to the opening; more generous patrons might be invited to a champagne reception. This category could raise more than $700 million in 2013”.

[3] http://www.kickstarter.com/help/stats

[4] Deloitte, Let’s get together: crowdfunding portals bring in the bucks: “This overlaps with the reward market: many artistic endeavors that use reward crowdfunding also encourage funders to contribute very small amounts of money, typically less than $25, without expectation of a return — except for the knowledge of having contributed to a worthy cause. Donors often receive a thank you in a program or liner notes. Traditional charities usually request donations to support their overall mission, and then decide for themselves how to allocate the funds. Crowdfunding portals can raise funds for individual projects, meaning donors can give to the project of their choice. This market may be worth more than $500 million in 2013”.

[5] http://www.mymajorcompany-label.com/irma

[6] Deloitte, Let’s get together: crowdfunding portals bring in the bucks: “Venture capital, which gets the most media attention, is actually the smallest category. Traditionally, early stage startup companies are initially funded from credit cards and savings, and then reach out to friends and family. This usually covers the first $250,000. Beyond that point startups look for money from individuals (angels) or established venture capitalists, with the first seed round raising perhaps $500,000. Expected changes in North American securities regulation could make it possible for companies to raise money via a crowdfunding portal, with contributors receiving an equity stake in the company. This category is the wild card for 2013. It could raise more than a billion dollars if the rules change, but less than $50 million if they don’t”.

[7] Deloitte, Let’s get together: crowdfunding portals bring in the bucks: “Consumer lending is the largest category. Financial institutions and payday lending companies have for many years lent small amounts of money at relatively high interest rates to consumers with bad credit histories. Now, these services are available online through crowdfunding. In the five years between 2008 and 2012, crowdfunding portals likely lent more than $1.5 billion. In 2013 these loans are could to exceed $1.4 billion, up more than 50 percent from 2012”.

[8] http://sport.sponsorise.me/

[9] http://www.liberation.fr/economie/2013/02/24/crowdfunding-le-ble-en-web_884212

[10] Deloitte, Let’s get together: crowdfunding portals bring in the bucks

[11] Article L.311-1 du Code Monétaire et Financier

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