Le recours à l’assurance de garantie de passif lors d’une cession de droits sociaux

Durant la période de négociation préalable à une cession de droits sociaux, le vendeur est tenu de délivrer un certain nombre d’informations sur l’entreprise qu’il souhaite céder. Cette étape est essentielle et les informations communiquées par le vendeur se doivent d’être sincères et exhaustives puisque c’est sur cette base que l’acquéreur se décidera à acheter et que le prix de vente sera assis. La pratique a donc depuis longtemps développé un instrument permettant de protéger l’acquéreur : la convention (ou clause) de garantie d’actif et de passif (autrement appelée « garantie de passif »). Cette convention permet de garantir la situation de l’entreprise au jour de la cession en mettant à la charge du vendeur les éléments aggravant le passif ou diminuant l’actif de la société cible qui surviendraient après la date de réalisation de la cession mais qui auraient leur cause ou leur origine dans un événement antérieur à la cession. La garantie d’actif et de passif s’articule en deux parties : les engagements du vendeur sont ainsi consignés premièrement sous forme de déclarations, puis, deuxièmement sous forme de garanties.

L’intérêt de l’acquéreur est donc d’étendre la garantie afin de sécuriser les conditions de l’exécution des engagements du vendeur en cas d’appel en garantie. C’est la raison pour laquelle les acquéreurs requièrent le plus souvent une contre-garantie à la garantie de passif. Ainsi, plusieurs instruments, appelés « garantie de la garantie » ont été employés par la pratique, à savoir le séquestre conventionnel, les sûretés réelles (gage, nantissement par le cédant au profit du cessionnaire), ou encore les sûretés personnelles (cautionnement, garantie à première demande). Apparue pour la première fois en France en 1994, l’assurance de garantie de passif se différencie de ces garanties classiques.

Dans ce contexte, on peut se demander en quoi l’assurance de garantie de passif est une contre-garantie pertinente lors d’une cession de droit sociaux.

La pertinence de l’assurance de garantie de passif réside dans son fonctionnement (I) mais également dans les intérêts qui en découlent pour le cédant comme pour le cessionnaire (II).

I – Le fonctionnement de l’assurance de garantie de passif

A – L’articulation de l’assurance de garantie de passif et de la garantie de passif

L’assurance de garantie de passif est une couverture d’assurance présentant une certaine particularité en ce qu’elle couvre la violation ou l’inexactitude des déclarations et garanties données par le vendeur au titre de la cession d’une entreprise déterminée.

L’assurance de garantie de passif est un contrat accessoire à la garantie de passif. Ainsi, les dispositions du contrat d’assurance doivent non seulement coller au plus près à celles de la garantie de passif, mais elles doivent également respecter les dispositions impératives du droit des assurances. En pratique, cela implique une superposition du calendrier de l’assureur à celui du potentiel acquéreur, c’est pourquoi la négociation des termes et conditions de la garantie de passif et de son assurance est simultanée. Le processus de cession se doit donc d’être standardisé (due diligence, data room, intervention de conseils pour aider à la négociation et à la rédaction de la documentation de cession)[1].

En principe, la police d’assurance couvre les mêmes risques que la garantie de passif. Par exemple, une demande d’indemnisation fondée sur un fait antérieur à la cession sera exclue tant du champ de la garantie que de celui du contrat d’assurance. Toutefois, il peut arriver que l’assurance ait un champ d’application plus limité et qu’elle exclue les réclamations relevant d’un risque déjà couvert par l’assurance que la société a elle-même souscrite. À l’inverse, l’assurance peut compléter la garantie de passif par un surplus de plafond d’indemnisation ou encore une augmentation de sa durée.

En définitive, sans les anéantir entièrement, l’assurance permet donc de réduire de manière importante pour le cessionnaire les risques liés à la garantie de passif.

B – Le transfert du risque entre les mains d’un tiers

À la différence des autres contre-garanties qui interviennent comme sûretés d’un engagement principal, l’assurance de garantie de passif opère un transfert de risques de l’assuré vers l’assureur.

Comme dans tout contrat d’assurance, l’assuré cède un risque à la compagnie d’assurance en contrepartie du versement d’une prime. Le risque peut porter sur la garantie de passif ou uniquement un ou plusieurs risques déterminés. L’appréciation du risque par l’assureur se fait transaction par transaction, en considération de « la qualité et l’expérience des parties prenantes et de leurs conseils, la portée des déclarations et garanties consenties par le vendeur, leur caractère raisonnable et factuel, la nature et la portée des due diligences réalisées par l’acheteur et l’étendue des « disclosures » du vendeur ».[2]

L’assurance de garantie de passif couvre les conséquences pécuniaires de la violation des déclarations et garanties consenties par le cédant, à condition qu’elles portent sur des faits non connus.[3] En effet, l’« assureur ne peut couvrir qu’un risque qu’il connaît et qu’il a pu évaluer ».[4] Ainsi, ce n’est qu’en cas de violation d’une des garanties couvertes par l’assurance de garantie de passif que l’assureur sera tenu de fournir une prestation stipulée dans le contrat d’assurance à l’assuré.

Toutefois, l’assurance de garantie de passif n’est pas sans limites. D’abord, une franchise est laissée à la charge de l’assuré, ce qui signifie que l’assurance ne pourra être mobilisée qu’au-delà de cette franchise[5]. Ensuite, un plafond d’indemnisation est également défini : il est le plus souvent identique à celui prévu dans la garantie de passif. L’assureur ne pourra donc être appelé en garantie pour un montant supérieur à ce plafond. Enfin, le contrat est aussi limité dans le temps[6].

Le contrat d’assurance peut être souscrit soit par le vendeur, soit par l’acquéreur. L’assurance « vendeur » vient couvrir l’inexactitude des engagements accordés par le vendeur à l’acquéreur dans la garantie de passif, à la manière d’une assurance responsabilité civile. Sont donc couverts les sommes en « principal », dues au titre de la garantie de passif, ainsi que l’ensemble des frais de défense et d’expertise engagés à la suite de l’appel en garantie. En cas de réalisation du risque assuré, l’assureur est tenu d’indemniser le vendeur. Cependant, dans un souci d’efficacité, le vendeur peut stipuler dans le contrat d’assurance une clause de paiement direct des indemnités à l’acquéreur.[7] En cas de comportement dolosif ou frauduleux du vendeur lors de l’élaboration de la garantie de passif, la police ne pourra pas être mise en jeu.

L’assurance « acquéreur » couvre quant à elle les éventuelles pertes pécuniaires que pourrait subir l’acquéreur du fait de l’inexactitude d’une déclaration ou garantie donnée par le vendeur dans le cadre de la garantie de passif. L’assurance « acquéreur » ne peut cependant pas être envisagée sans l’existence d’un premier niveau de garantie, accordé par le vendeur. Notons que le comportement frauduleux du vendeur n’est pas opposable ici à l’acquéreur. Ainsi, le préjudice restera couvert par la garantie (le champ de la police est plus large dans le cadre d’une assurance « acquéreur »). Par ailleurs, lors d’un appel en garantie, l’acquéreur s’adresse directement à l’assureur. Ce dernier disposera ensuite de la possibilité d’exercer un recours subrogatoire à l’encontre du vendeur.[8]

II – L’intérêt de l’assurance de garantie de passif

A – Un outil d’apaisement des négociations relatives à la cession

La négociation de la garantie d’actif et de passif est un processus exigeant dans la mesure où les intérêts du cédant et du cessionnaire sont divergents. La souscription d’une assurance de garantie de passif permet de pacifier les discussions et éviter la survenance d’un blocage entre les parties. Certaines situations sont en effet particulièrement sensibles.

Ainsi, une situation économique difficile peut générer des crispations. De la même manière, l’existence de relations commerciales établies entre le cédant et le cessionnaire peut rendre délicates la négociation de la garantie d’actif et de passif et sa mise en œuvre ultérieure.

De plus, les discussions se révèlent souvent épineuses lorsque le cédant ne s’attendait pas à devoir fournir une garantie d’actif et de passif. Les vendeurs d’une entreprise familiale ou des vendeurs ayant également la qualité de managers conçoivent en effet difficilement la subsistance voire l’existence d’aléas financiers et juridiques relatifs à la cible. Cela s’explique par le fait que le cessionnaire a réalisé divers audits préalablement à l’opération et par la forte implication de ces personnes dans le développement de la société.

Les négociations de la garantie d’actif et de passif peuvent aussi être ardues lorsque le vendeur a vocation à réinvestir dans la société cible car la mise en œuvre de la garantie le confrontera à un conflit d’intérêts. Cette situation se rencontre notamment lors d’opérations de Leveraged Management Buy Out (LMBO) ou encore d’Owner Buy Out (OBO).

Enfin, le vendeur n’est parfois tout simplement pas en mesure de fournir une garantie d’actif et de passif. Ainsi, un fonds d’investissement en période de liquidation ne peut pas concéder d’engagement financier, en ce compris une garantie de passif, après la date de clôture du fonds. Or, la réalisation d’une opération de cession sans garantie de passif n’est plus concevable depuis la crise économique et financière de 2008.

Dans toutes ces situations, l’externalisation du risque par le recours à l’assurance est bienvenue car elle favorise des négociations apaisées et gomme les conflits d’intérêts.

B – Un outil permettant un meilleur équilibre des relations entre le cédant et le cessionnaire

L’assurance de garantie de passif rencontre ensuite un certain succès car elle permet de rééquilibrer les relations entre cédant et cessionnaire, souvent défavorables au cédant depuis la crise économique et financière de 2008.

Avant cette date, les opérations de fusions-acquisitions, très nombreuses, étaient généralement réalisées sans garantie d’actif et de passif. Mais, les difficultés de financement et la diminution drastique des opérations de fusions-acquisitions qui s’en est ensuivie ont rendu le marché plus favorable aux acquéreurs. C’est ainsi que les garanties d’actif et de passif ont fait leur retour, afin de sécuriser les frileux acquéreurs potentiels. Or, l’octroi d’une garantie d’actif et de passif est lourde pour le cédant dans la mesure où il est, en tant que garant, la personne sur laquelle le risque final de réalisation de la garantie pèse.

Dans ce contexte, l’externalisation du risque au moyen d’une assurance de garantie de passif conduit à une répartition plus équilibrée des risques et de la protection des parties lors d’une cession de droits sociaux.

Cet équilibre apparaîtra d’une part lors de la négociation de la garantie d’actif et de passif car la sécurité offerte par une telle contre-garantie est susceptible de réduire les exigences du cessionnaire quant à la garantie accordée par le cédant.

Cet équilibre se manifestera d’autre part dans les relations post-contractuelles car le cédant aura la libre disposition du prix de vente et ne risquera pas d’avoir à verser une quelconque somme au titre de la garantie d’actif et de passif au cessionnaire. Cela est renforcé par le fait que, de plus en plus, la possibilité pour l’assureur d’exercer un recours subrogatoire est exclue dans le cas d’une assurance « vendeur ».

En somme, l’assurance de garantie de passif constitue une contre-garantie novatrice et répondant à une attente du marché. Malgré tout, il convient de garder à l’esprit que l’assurance de garantie de passif n’est pas adaptée à tout type de transactions en raison des lourdeurs susceptibles d’accompagner sa mise en place et de son coût par rapport à celui des autres contre-garanties, s’élevant de 2 à 8% du montant de la garantie. C’est pourquoi l’assurance de garantie de passif est essentiellement pertinente pour des opérations d’une certaine valorisation.

Nour BEN ALI et Chloé BOUHOURS

 

Pour en savoir plus : 

Assurance & Capital Partners, « Assurance et fusion-acquisition : L’assurance de la garantie de passif », in Les cahiers d’ACP, mars 2015

BAILLY Frédéric, BINET Ingrid, « Les modes alternatifs de la garantie de passif », in Revue Le Lamy Droit Civil, n°111, 1er janvier 2014

GABIANO Marie, « L’assurance de garantie de passif, un outil complexe adapté aux opérations de fusion-acquisition », in Option Finance, n°1315, 27 avril 2015

HAINS Thomas, « L’assurance de garantie de passif : une alternative séduisante aux contre-garanties », in Option Finance – La lettre des fusions-acquisitions et du private equity, supplément du n°1371, 20 juin 2016

HUSSON Héloïse, « De l’utilité du bon usage de l’assurance de garantie de passif », in Bulletin Joly Sociétés, n°12, page 1034, 1er décembre 2010

HUSSON Héloïse, PIOTRAUT Raphaël, « L’assurance de garantie de passif », in Droit et patrimoine, n°175, 1er novembre 2008

MUDET Pierre, D’EVERLANGE Amaury, « La sécurisation des garanties de passif », in Revue Lamy droit des affaires, n°49, 1er mai 2010

PUTMAN Emmanuel, résumé d’après HOUIN-BRESSAND Caroline, Les contre-garanties, Dalloz, Nouvelle bibliothèque des thèses, 460 pages, 2006

RUELLAN Caroline, « L’assurance de la garantie dans les cessions de droits sociaux », Colloque Les garanties dans les cessions de droits sociaux, in Gazette du Palais, n°140, page 56, 20 mai 2010

« Assurance de la garantie de passif », in Mémento Transmission d’entreprise, Editions Francis Lefebvre, 2015-2016

« Garantie de la garantie », in Le Lamy droit du financement, 2016

« Garantie de la garantie », in Mémento Cession de parts et actions, Editions Francis Lefebvre, 2017-2018

« Garantie de la garantie » in Répertoire de droit des sociétés, Dalloz, 2017

Références :

[1] HUSSON Héloïse, « De l’utilité du bon usage de l’assurance de garantie de passif », in Bulletin Joly Sociétés, n°12, page 1034, 1er décembre 2010

[2] Assurance & Capital Partners, « Assurance et fusion-acquisition : L’assurance de la garantie de passif », in Les cahiers d’ACP, mars 2015.

[3] Le contrat d’assurance étant un contrat aléatoire au sens de l’article 1108 du Code civil (anciennement l’article 1964 du Code civil), seuls des événements incertains pour les parties peuvent faire l’objet d’une couverture.

[4] La jurisprudence rappelle constamment que le contrat d’assurance, par nature aléatoire, ne peut porter sur un risque que l’assuré sait déjà réalisé (Cass. 1re civ., 4 nov. 2003, n°01-14.942). C’est la raison pour laquelle l’assureur mène lui-même des due diligence préalables. Les risques existants et couverts par la garantie de passif seront alors déclarés dans les annexes et exclus du champ de la garantie.

[5] Elle est généralement fixée à 1% ou 2% de la valeur de l’entreprise.

[6] Il est en principe émis pour une durée identique à celle prévue dans la documentation de la transaction.

[7] Il s’agit en réalité d’une stipulation pour autrui parfaitement valable (article 1205 du Code civil, anciennement l’article 1121 du Code civil). L’acceptation du bénéficiaire de la stipulation faite à son profit interdira sa révocation ultérieure par le vendeur (article 1206 du Code civil).

[8] Cependant, la pratiquer tend, ces dernières années, à exclure le recours subrogatoire.

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