Les compagnies d’assurance et la révolution numérique: vers la fin du modèle traditionnel de l’assurance automobile ?

Une brève introduction

Des pratiques nouvelles de conduite

On a tous déjà entendu parler des nouveaux modes de transport de personnes du futur. Les voitures électriques, louées ou non, le covoiturage, à conduite alternée entre le passager et le conducteur ou non, les voitures automatiques ou semi-automatiques…
Or, le journal « Les Echos » a récemment mis en lumière un phénomène qui est en passe de transformer le modèle de l’assurance tel qu’on le connait. En effet, l’essor de pratiques nouvelles en assurance automobile, telles que le covoiturage, les services d’autopartage, ainsi que l’annonce des voitures autonomes par Google et Tesla motors, poussent les assureurs auto à « repenser leur modèle » (Les Echos, Laurent Thévenin – le 13 octobre 2016).

L’impact de ces pratiques

Donc c’est sous l’impulsion de cette tendance qu’on assisterait à une transformation des risques à couvrir pour les assureurs, rendant les données actuariennes obsolètes. Ainsi, le métier de l’assurance devrait être à adapter, tout comme celui d’actuaire à réinventer. Les évolutions techniques et technologiques sont bien entendu à envisager avec la percée sur le marché de l’intermédiation numérique d’acteurs tels que Uber ou Heetch.

La révolution numérique et « l’uberisation de l’économie »

« Tout le monde a peur de se faire ubériser » disait Maurice Lévy, homme d’affaires et président du groupe Médicis dont la paternité du vocable « ubérisation » est attribuée. Mais pour comprendre de quoi ubérisation est le nom, il est à noter que cette notion se distingue de l’économie de partage (ou collaborative) qui préside à l’activité de covoiturage. C’est-à-dire une activité hors de toute recherche de profit pour le prestataire. Toutefois, ces deux techniques économiques ont un élément en commun : la révolution numérique.

Les techniques d’assurance en mutation ?

Les usages des assureurs seraient en transformation d’après l’Institut des actuaires. A préciser que les métiers de l’actuariat sont ceux servant à mesurer la probabilité de risques sur une année par l’observation de la fréquence des sinistres survenus les années précédentes.
Une technologie rendant le travail plus efficace suppose de meilleures capacités de traitement ; par conséquent un effondrement des couts. Alors, les assureurs doivent envisager de s’appuyer sur le web, les smartphones et autres objets connectés, comme les bracelets de course et autres podomètres. A la limite de l’intrusif, les usages devraient être aussi observés sur les réseaux sociaux, tant concernant la propension de l’assuré à s’adonner à l’économie de partage qu’à sa consommation en ligne.

Alors quelle est l’assurance de demain ?

Toujours selon les Echos, on assisterait à une disparition progressive des salariés, agents généraux et courtiers. Et surtout à un renouveau de la matière assurable. De fait, l’assurance auto serait en « mauvaise posture ».
D’une part, la matière assurable, ou la somme des risques assurables, tendrait à baisser avec moins de comportements à risque grâce aux aides au freinage, aux diverses préventions, aux démarrages sous alcootest et surtout à l’appui des voitures automatiques. Ainsi, nous connaissons désormais des produits d’assurance s’inscrivant dans cette veine avec les assurances how you drive et les données en temps réel sur le véhicule pour diagnostic, dépannage, constat…
D’autre part, on constaterait une réduction de l’aléa moral. Puisqu’avec les voitures automatiques, le conducteur sera passif face à l’autonomie de son véhicule.
Pour mieux cerner l’étendue de l’impact du numérique dans les nouveaux modes de conduite en assurance automobile, il conviendrait d’observer cette tendance en contemplation des pratiques assurantielles dans les domaines du covoiturage, de l’utilisation des services Uber et autres VTC, ainsi qu’en matière d’Autolib et de voitures autonomes.

La popularisation du covoiturage et l’assurance auto : un succès inopportun pour les assureurs ?

Les assureurs doivent compter avec des nouveaux agents économiques. Ceux-là mettent en place des plateformes de courtage de transport. Par ailleurs, « Blablacar.com » en est le précurseur et a popularisé le covoiturage en France.
Le covoiturage est décrit par la Fédération française de l’assurance comme une pratique selon laquelle plusieurs personnes allant dans la même direction se partagent un véhicule. Typiquement : des voisins, des étudiants, des collègues de travail…

L’obligation d’assurance de la loi Badinter est-elle compatible avec l’essor de cette pratique ?

La loi dite « Badinter » du 5 juillet 1985 porte régime spécial de responsabilité pour les accidents de la circulation. Un fait dommageable s’apparentant à de la tôle froissée ou à une blessure physique causée par un véhicule en circulation, tombera forcément sous le coup de cette loi très favorable aux victimes. Sous l’empire de ce régime, le conducteur est souvent responsable de plein droit des dommages qu’il a causé.
Or, le covoiturage, considéré comme une pratique amicale, solidaire et écoresponsable, est fortement encouragée par les assureurs. Cela malgré les zones « d’ombres juridiques qui existent autour de cette pratique » (Marie-Caroline Carrère pour News assurances).
En effet, Il n’est soumis à aucun cadre règlementaire précis. Un simple contrat automobile suffit. Il n’est pas même nécessaire de déclarer cette pratique à l’assureur. Toutefois, il faut faire en sorte que l’assurance couvre bien les trajets envisagés et que le « prêt du volant » (au passager covoituré) ne soit pas interdit par le contrat ou soumis à une franchise majorée.
Et ceux qui partagent leurs voitures ne doivent pas accepter de rémunération à la contribution des frais, ni faire de bénéfices. Car dans cette situation le prestataire devrait souscrire une assurance professionnelle spécifique. Risquant ainsi de se trouver en défaut d’assurance.
Toutefois certains assureurs avant-gardistes incitent au covoiturage.

Une nécessaire adaptation des acteurs

En 2015, une association entre Axa et Blablacar a consisté en l’application d’une sur-franchise pour élever le seuil de la garantie en cas de prêt du volant. L’incitation se justifie également pour les pouvoirs publics puisque le CV réduit le taux de mortalité routière d’après le journal Le Monde. Un seul accident mortel répertorié par Blablacar depuis sa création. D’après un sondage SOFRES, 74% des covoitureurs disent adopter un comportement exemplaire. Mais on en conviendra qu’il ne s’agit là que d’un sondage…
Par conséquent, le covoiturage peut conduire, comme dit précédemment, à la réduction de la sinistralité, à une baisse de cotisations pour les assurés, donc à une diminution du chiffre d’affaires pour les assureurs. Donc l’intérêt des assureurs serait de capter une clientèle jeune en adaptant son offre.

Uber et l’empire des véhicules de tourisme avec chauffeur

En France, Uber compte dans ses rangs près de 25 000 véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC). Sans être un employeur, la firme américaine développe et exploite des applications mobiles visant à mettre en contact des personnes, souhaitant se rendre d’un point A à un point B, avec des conducteurs réalisant des services de transport.
Pour les distinguer des taxis exerçant un métier aux conditions d’accès difficiles, les VTC exercent leur activité seulement, et obligatoirement, sur réservation préalable. De sorte qu’un prestataire uberien ne peut ni stationner, ni « marauder » sur la voie publique s’ils ne sont pas commandés par un client. Contrairement aux taxis.

Quelle assurance pour les VTC ?

Les VTC sont soumis à l’obligation de responsabilité civile professionnelle depuis une loi du 1er octobre 2014. Alignant ainsi l’obligation d’assurance avec celle des taxis. Une telle assurance couvre les dégâts matériels, les dommages causés aux personnes transportées, mais également aux clients en dehors du véhicule.
Un courtier grossiste, Solly Azar, s’est voué à s’adapter aux besoins spécifiques des VTC. Ce courtier propose solution personnalisée avec une assurance liée aux marchandises transportées assortie d’un plafond de garantie pouvant atteindre 1 000 €. Au-delà de l’assurance responsabilité civile (RC) classique qui ne couvre que les risques de dommages causés aux tiers, une garantie personnelle conducteur est offerte.

Heetch ; ou le paradigme de l’économie collaborative

Sans être une entreprise de mise en relation de VTC et de particulier, Heetch est en marge de la commercialité au sens strict. Tel un service de covoiturage de nuit, cette start-up française bénéficie du fait que ses chauffeurs ne soient pas soumis à l’obligation de souscrire une assurance RC professionnelle s’ils limitent leurs revenus à 6000 euros par an. Pourquoi cette souplesse ? La raison est que la loi du 1er octobre 2014 ne vise que les relations commerciales entre particuliers. Or, il n’est pas obligatoire de rémunérer un service Heetch. En effet, les fondateurs précisent « qu’Il ne s’agit que d’une occupation d’appoint pour amortir les frais de leur voiture ». Par précaution toutefois, Heetch a développé une assurance complémentaire à hauteur de 2 millions d’euros. Couvrant ainsi les passagers et conducteurs Heetch. C’est donc une couverture additionnelle qui vient en complément de l’assurance personnelle du chauffeur.

Confrontation avec l’assurance Uber

La société Uber offre une assurance complémentaire pour les chauffeurs si, et seulement si, l’application est en mode « on ». C’est-à-dire qu’en mode « off », le chauffeur est couvert par son assurance personnelle. Alors dans l’attente d’une commande, le chauffeur Uber ne bénéficie que d’un faible niveau d’assurance.

Les Autolib, une initiative tournée vers l’éco-citoyenneté

Autolib est un service public d’auto-partage de voitures électriques en libre-service disponible, pour l’instant, dans quelques grandes villes de France (Paris, Lyon et Bordeaux). Le groupe Bolloré a conçu les voitures Bluecar, à trois portes et quatre places dont l’usage nécessite un permis de conduire.
Aujourd’hui, Autolib forme une flotte 3 980 véhicules pour la seule agglomération parisienne. L’idée est d’aboutir à une réduction des nuisances sonores et à une diminution de l’émission directe de microparticules dans l’atmosphère urbaine.

Une garantie d’assurance complète (mais couteuse) et un casse-tête assurantiel

Tout d’abord, l’assurance est incluse dans le prix de location. L’abonnement Autolib comprend en effet une garantie classique RC pour couvrir les tiers et les passagers. On notera qu’une franchise de cent millions d’euros s’applique pour les dommages matériels. Le conducteur est aussi lui-même couvert par une « garantie individuelle conducteur » pour ses dommages corporels lorsqu’il est responsable d’un sinistre. Enfin, une assurance de dommages, vol, incendie et vandalisme est comprise dans l’abonnement.
Par manque de recul sur l’accidentologie des véhicules électriques utilisés en ville, il est difficile de connaitre les antécédents des utilisateurs. Si bien que l’équation de la sinistralité et de la tarification s’avère complexe à résoudre. La solution consiste alors, pour l’assureur, à négocier un seul accord avec des grands groupes pour assurer les sinistres d’un certain nombre abonnés.
De façon très téméraire, Generali a répondu à l’appel de Bolloré pour ses Bluecar avec le courtier Siaci Saint-Honoré. Cependant, seul le volet responsabilité civile obligatoire a été concerné. Il s’agit d’un contrat qui s’apparente à ceux que l’on peut proposer à des loueurs de véhicules. Alors les dommages matériels, quant à ceux-ci, sont couverts directement par le groupe Bolloré.
Globalement, l’assurance représenterait un budget de 2500 à 3000 € par véhicule selon les options de franchise.

Une révolution en marche ?

Force est de constater que le concept peut révolutionner les usages de la conduite citadine en apportant la souplesse d’une consommation à la carte. Cela sans les désavantages financiers et techniques liés à l’entretien du véhicule, au prix et au temps dépensé quant au stationnement, ainsi qu’au coût de l’assurance et de la responsabilité. Mais c’est précisément sur ce point que ce trouve le revers de la médaille pour Autolib. La société se heurte au manque de diligence et de vigilance des conducteurs. Autolib’ comptabilise près de 50 à 70 incidents par jour, sans pouvoir toujours identifier le nom de l’abonné responsable. Malgré le « plug-in » sur la borne qui enregistre les données nominatives à chaque changement de conducteur, il subsiste une marge d’erreur.

L’obstacle assurantiel de l’incivisme

Depuis quatre ans, Autolib’ a enregistré 30 000 réparations. S’expliquant notamment par le manque d’habitude avec la conduite automatique ou par le manque d’expérience des jeunes conducteurs. Alors les abonnés sont assujettis au moment de la souscription à une franchise de 200 euros par sinistre.
Ce système de franchise permet de faire supporter une partie des couts de la réparation à l’abonné et de responsabiliser ce dernier dans sa conduite.

Les voitures autonomes, à l’aube d’une nouvelle ère

Tout compte fait, semble-t-il, le transport de personnes est le seul domaine où la science-fiction peut prendre corps. Mais ce qu’on ne voit pas dans les fictions futuristes comme Retour vers le futur ou iRobot, c’est que les voitures autonomes conduisent à de nouveaux risques, dont le risque de piratage et de dysfonctionnement de machines.
La question se pose surtout de savoir sur qui, du constructeur ou de l’acheteur pèse le risque. Pour plus d’informations, voir « La voiture autonome, cette chariote du diable, il n’y a point de volant pour la conduire ! » https://www.lepetitjuriste.fr/droit-des-assurances/voiture-autonome-cette-chariote-diable-ny-a-point-de-volant-conduire/.

Des adaptations nécessaires aux nouveaux risques

Le saviez-vous ? Les taxis sans chauffeur existent déjà. Ils circulent actuellement à Singapour sous l’égide de la start-up nuTonomy. Mais leur étendue est encore limitée.
Plus à l’ouest, en Floride, des systèmes d’aide à la conduite déjà commercialisés ont révélé quelques failles. Dont un accident mortel à bord d’une Tesla. Plus généralement, on peut craindre une perte de la concentration du conducteur inhérente l’autonomie propre du véhicule.
Dès lors, le géant Allianz s’est positionné comme avant-coureur de l’adaptation de ses produits d’assurance. En effet, 2 500 contrats ont été souscrits spécifiquement pour les voitures connectées par boitier, puis pour les voitures sans conducteur. Plus précisément, l’assureur Allianz a lancé la première offre d’assurance auto dédiée aux voitures semi-autonomes dotées d’aide au freinage, au parking et à la régulation de vitesse. Et pour faire face à l’essor des voitures semi-autonomes, aptes à aider son conducteur, Allianz propose désormais aux assurés une offre permettant de réaliser jusqu’à 25% d’économies par rapport à un véhicule classique équivalent.

Quid des nouveaux risques et du changement de l’aléa 

Sur qui pèsent les risques, et éventuellement la responsabilité ? Sur l’utilisateur ou le constructeur ?
Les tractations en cours entre assureurs et constructeurs plaident en faveur d’un changement de la loi vers une responsabilité sans faute. Donc les victimes seront directement indemnisées dans un premier temps, et les assureurs des parties s’accorderont dans un second temps pour déterminer la responsabilité d’untel.
Par conséquent les constructeurs devront donc se garantir contre les risques technologiques mais également contre les recours des victimes d’accident. A l’avenir, nous n’assurerons plus un utilisateur mais un véhicule. De fait, selon François Nédey, directeur technique en assurances de biens et responsabilités chez Allianz France : « La relation client pourrait être bouleversée car ce n’est plus avec le propriétaire de la voiture mais avec le constructeur automobile que l’assureur dialoguera ».

Vers l’issue fatale des compagnies d’assurance ?

Le cabinet KPMG estime que la fréquence des accidents par véhicule pourrait être réduite de 80 % d’ici à 2040. Le cabinet estime également que le marché de l’assurance devrait en conséquence diminuer : « le volume global de primes va commencer à se réduire aux alentours de 2020-2025 ».
Or, cette réduction de la sinistralité, causera une baisse de cotisations pour les assurés et donc, in fine, diminution du chiffre d’affaires pour les assureurs… 
Toutefois, ces voitures « robots » auront cependant toujours besoin d’assurance. Elles pourront toujours brûler, subir des accidents, être endommagées, cabossées, volées ou vandalisées… Elles ne seront pas non plus à l’abri d’un risque de piratage, ce qui augure d’un marché prometteur pour l’assurance des cyber-risques.
En conclusion, survivront les assureurs qui resteront à l’affut des évolutions technologiques. Quant aux entreprises peu enclins à investir dans l’élaboration et la distribution de produits s’attachant aux nouveaux comportements des conducteurs, ceux-ci courent à leur perte.

Sofian Bouzerara
Master 2 Droit des assurances (université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)

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