Loi Sapin 2 : l’assurance-vie en danger ?

La nouvelle est tombée comme une bombe dans un secteur des assurances désormais très inquiet, et pour cause ; un amendement de la loi Sapin 2 annonce de grands changements concernant l’assurance vie.

Le projet de loi Sapin 2 (ou projet de loi relatif à la transparence et à la modernisation de la vie économique) a été définitivement adopté par l’Assemblée Nationale le 8 novembre 2016 ; suite à cela, le Président du Sénat ainsi qu’au moins 60 sénateurs et 60 députés ont décidé de saisir le Conseil Constitutionnel. Cette loi, qui a fait polémique lors des différentes lectures, concerne principalement les règles anti-corruption et la conformité internationale, mais elle comporte également un amendement sur l’assurance vie qui pourrait changer la donne pour les épargnants et les assureurs français.

En effet, l’article 21bis du projet de loi permet au Haut Conseil de Stabilité financière, organisme crée en 2013 et chargé de veiller à la stabilité financière en France de « suspendre, retarder ou limiter temporairement, pour tout ou partie du portefeuille, le paiement des valeurs de rachat, la faculté d’arbitrages ou le versement d’avances sur contrat (d’assurance-vie) », et cela sur proposition du gouverneur de la Banque de France et après avis du collège de supervision de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Le texte ajoute, « Le Haut Conseil de stabilité financière décide des mesures (…) pour une période maximale de trois mois, qui peut être renouvelée si les conditions ayant justifié la mise en place de ces mesures n’ont pas disparu, après consultation du comité consultatif de la législation et de la réglementation financière ».

En d’autres termes, le Haut Conseil de Stabilité Financière pourrait désormais décider de suspendre momentanément les versements des sommes provenant des contrats d’assurance-vie lorsque les conditions économiques (notamment en cas de fluctuation de taux obligataires) le justifieront. Mais pourquoi ?

Selon Michel Sapin, cette mesure a principalement pour but « dans le contexte actuel de développement des taux d’intérêts négatifs (…) d’ajuster à la baisse les rémunérations des contrats d’assurance-vie ».1

En fait, le but est tout simplement de réduire les rendements des produits d’assurance-vie considérés comme trop élevés, poussant ainsi les épargnants à investir dans ces produits pour retirer les fonds sur le court-terme. Mais quid si les taux d’intérêts remontent ? Dans ce cas, les épargnants seront au contraire tentés de retirer les fonds placés dans l’assurance-vie pour les réinvestir dans des placements mieux rémunérés, mettant in fine en danger les compagnies d’assurance en les privant des fonds d’assurance-vie dont elles se servent pour réaliser des investissements.

On le voit donc bien, le but est la sécurité et la stabilité financière des compagnies d’assurance qui risqueraient de se voir priver d’une partie importante de leurs fonds en cas de remontée des taux d’intérêts. Et pourtant, les professionnels de l’assurance tirent la sonnette d’alarme en arguant que cette mesure risque de détourner les épargnants des produits d’assurance-vie qui leur paraîtront désormais non fiables, alors même qu’ils ont toujours été présentés comme des produits non risqués. L’assurance-vie est un marché très important pour les compagnies d’assurance, puisqu’elle représente environ 40% de l’épargne2, et les assureurs ont légitimement peur de perdre leurs fonds qui pourraient être investis ailleurs par les épargnants.

En somme, le Haut Conseil de Stabilité Financière pourrait par exemple priver un assuré pendant six mois des versements des sommes de son contrat d’assurance-vie à une date préalablement déterminée comme son départ en retraite, malgré la garantie qu’il a eue lors de la souscription au contrat ; la question de la sécurité juridique se pose clairement ici.

Ceci étant, dans le but de rassurer les épargnants, les députés ont voté un amendement imposant au HCSF « de tenir compte des intérêts des assurés, des adhérents et des bénéficiaires des contrats d’assurance dans l’exercice des nouveaux pouvoirs qui lui sont confiés ». Ces derniers n’ont cependant pas défini les « intérêts des assurés » ; on peut alors aisément supposer que les intérêts des assurés seront définis par le HCSF lui-même, ce qui pose bien évidemment un problème puisqu’il est celui qui décide également de la suspension des contrats…

Enfin, un autre changement conséquent concerne les rendements des assurance-vie directement ; avec la loi Sapin 2, le HCSF va désormais pouvoir imposer à un assureur un taux de rendement plus bas que celui qu’il a fixé. En effet, les assureurs ont la possibilité de proposer des rendements élevés grâce aux réserves des plus-values qu’ils ont recueillies auparavant. Le projet de loi veut mettre fin à cette pratique afin de ne pas continuer à puiser dans les réserves, et arriver à un point ou les assureurs ne pourraient plus atteindre de tels rendements. Quoi qu’il en soit, cette mesure inquiète les assureurs ; et seul l’avenir nous dira si le but de la stabilité financière sera effectivement atteint par le projet de loi, et si l’assurance-vie a encore de beaux jours devant elle.

Rosa Yiligin

1 : Déclaration de Michel Sapin le 13 juin 2016 en tant que président du Haut Conseil de Stabilité Financière.  

: « Assurance-vie : nouveau tour de vis fiscal », par Danièle Guinot, le Figaro. (http://www.lefigaro.fr/impots/2013/11/12/05003-20131112ARTFIG00607-assurance-vie-nouveau-coup-dur-pour-les-gros-patrimoines.php)

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