L’actionnariat participatif dans les clubs de football : L’en Avant de Guingamp sur les pas du FC Barcelone ?

Le 25 février dernier, un événement autre que sportif s’est produit dans l’univers du football français. L’En Avant de Guingamp (EAG) a ouvert son capital social aux “supporters/actionnaires”, surfant sur la vague du participatif qui révolutionne notre économie et qui a pleinement son rôle à jouer dans le monde du ballon rond. Ces synergies entre supporters et club semblent évidentes, tant elles dépassent les relations entre simples clients et entreprises, jouant sur une dimension ludique et sur un aspect affectif fort.

Quel est donc ce mécanisme sociétaire que l’En Avant de Guingamp présente comme inédit dans le paysage du football français ? Quelles comparaisons possibles avec le système de “socios” déjà présent chez les mastodontes que sont le Real de Madrid et le F.C Barcelone ?
Il s’agit de démêler les différences sociétaires et d’aller plus loin que le marketing de l’En Avant de Guingamp, qui n’hésite pas à utiliser ce lexique de “supporters/actionnaires”, l’assimilant par-là aux socios espagnols.

Cet article se focalise plus précisément sur le F.C Barcelone, car, bien que le Real de Madrid soit basé sur le même modèle sociétaire, le club de la capitale ibérique est volontairement plus affairiste que son rival catalan de toujours.

I°) LE F.C BARCELONE, UN CLUB COOPÉRATIF ET LOCAL ANCRÉ DANS LA MONDIALISATION.

Le F.C Barcelone, club créé en 1899, n’est plus à présenter en sa qualité de club le plus populaire au monde avec pas moins de 96 millions de likes sur sa page Facebook, ainsi qu’une valeur estimée à 2,758 milliards d’euros selon KPMG en 2016. Son chiffre d’affaire s’est élevé à 679 millions d’euros sur l’exercice 2015/2016, montant historique et en progression de 7% sur l’exercice précédent. Les pertes, quant à elles, sont passées sur le même exercice de 581 à 630 millions d’euros.

Au-delà des chiffres, le Club Catalan est avant toute chose une société civile sans but lucratif qui tire sa véritable puissance de ses supporters effectifs, bien loin des 96 millions, puisqu’ils ne sont à ce jour “que” 143 459 socios, adhérents au club au titre de leur cotisation annuelle de 167 euros. L’apport obligatoire de ces socios (défini à l’article 11.3 des statuts du club) représente pour le club un revenu net de 18 millions d’euros par an, somme restant néanmoins la source de revenus la plus minoritaire face aux colossaux apports que représentent le stade du Camp Nou (158 millions), les droits TV (168 millions) ainsi que le marketing (268 millions). Ces apports ne sont pas à négliger malgré tout, car premièrement, ils sont assurés dans la durée par le système participatif des socios, et secondement, il s’avère que les 18 millions correspondent justement au profit net, d’après le rapport annuel du club.[1] Cela revient à dire que ces contributions annuelles sont celles-là même qui, au plan comptable, permettent au club d’être bénéficiaire.

Le F.C Barcelone est une “démocratie économique” en ce que son modèle économique prévoit expressément la règle de l’équivalence entre parts sociales et nombre de voix, contrairement à de nombreux autres clubs. C’est donc une démocratie censitaire, le droit de vote n’étant octroyé qu’aux adhérents à jour de cotisation, et ces mêmes socios étant dotés d’un syndic, présenté comme “(un) organe unipersonnel et indépendant du Conseil de Direction, dont la mission est l’assistance, le conseil et la défense des droits des socios et dans leur relation avec le club” (d’après le site officiel du club).
Les socios catalans forment une véritable famille, et comme toute famille, il n’est pas si facile d’y entrer. En effet, le principe pour adhérer reste très restrictif, il est nécessaire d’avoir une relation de premier degré avec une personne déjà membre, ce qui permet au F.C Barcelone de garder un ancrage très local et une identité forte, un peu à l’image de l’Athletic Bilbao qui depuis longtemps n’accepte en son sein que des joueurs basques.
Ce principe tend à s’assouplir puisque, entraîné par la mondialisation et par des charges croissantes pour suivre la cadence de son rival madrilène et des autres grandes écuries européennes, le F.C Barcelone a créé la fameuse “commitment card[2]” qui n’est autre qu’une carte d’adhérent qui permet de faire entrer des apports sans octroyer pleinement la qualité de socios à ceux qui y souscrivent. Cela vaut qualité de membre spécial pendant 3 ans, sans droit de vote ni de participation aux assemblées générales, et tout cela au prix de 138 euros par an. Au bout des 3 ans, et si les obligations sont remplies, la qualité pleine et entière de socios sera octroyée, ce qui ouvre droit aux avantages préférentiels pour obtenir des places au Camp Nou, ainsi qu’à toutes les prérogatives dont jouissent les associés (droit à l’information comptable, droit de participer et de voter à travers l’assemblée générale déléguée, notamment l’élection du président du club tous les deux ans).

On vient donc de le voir, plus d’adhérents est synonyme pour le F.C Barcelone d’une manne financière conséquente et régulière. Le club a néanmoins souhaité éviter un actionnariat sauvage pour garder son identité catalane et a par conéquent tenté de juguler les apports et ses membres par un critère temporel afin de s’assurer de la bonne fidélité de ses membres.
Qu’en est-il de l’En Avant de Guingamp ?

  1. II) L’En Avant de Guingamp, une tentative atypique d’actionnariat participatif dans le paysage footballistique français.

Le projet de l’En Avant Guingamp semble plus symbolique. Fondé en 1912, le club est devenu, conformément à une loi du 16 juillet 1984, une SASP le 26 avril 1986. Cette loi avait été promulguée afin de remédier au statut d’association loi 1901 qui a longtemps régi les clubs de football de l’Hexagone. Ce précédent statut associatif était fiscalement avantageux, les associations n’ayant pas à récolter la TVA pour l’Etat, ni à être assujetties à l’impôt sur les sociétés. Le législateur a voulu remédier à cette situation au vu de la croissante professionnalisation et de la libéralisation économique du milieu, ce qui appela à une taxation sociétaire. Une association sportive est en effet obligée de passer en société en vertu de l’article L122-1 du code du sport, si l’un des deux critères suivants est dépassé : des recettes dépassant 1,2 million d’euros ou des rémunérations dépassant 800 000 euros.                                                                                                                                                                                                                          

En effet, la SASP est une Société anonyme adaptée aux clubs de football. Elle permet à l’association fondatrice du club de garder un droit de regard sur la société anonyme qui va, quant à elle, gérer toute la partie professionnelle. Mais surtout, c’est une structure juridique permettant l’apport de capitaux frais par l’entrée de nouveaux actionnaires qui pourront en contrepartie recevoir des dividendes. Contrairement à la société civile à but non lucratif qu’est le FC Barcelone, les actionnaires de l’En Avant Guingamp ont donc, en théorie, vocation à en tirer un enrichissement personnel même si des dividendes n’ont jamais été votés sur les exercices bénéficiaires. L’EAG a généré un chiffre d’affaires de 10,3 millions d’euros sur l’exercice 2014/2015 pour un bénéfice net de 666 700 euros. On est  bien loin de la structure sociétaire du FC Barcelone et de ses socios.

Toutefois, les Kalons (futurs supporters/actionnaires), signifiant “cœur” en breton, ne seront en réalité que simples adhérents d’une association de supporters. En effet, c’est par le biais d’une association que les supporters intégreront le capital du club costarmoricain. C’est donc l’association  “Le club des Kalon EAG” en tant que personne morale qui sera le véritable actionnaire. La masse des supporters/actionnaires ne pèsera donc qu’une seule voix dans les assemblées générales, noyée parmi les 141 PME locales formant l’actionnariat de l’En Avant Guingamp.

Les supporters/actionnaires n’ont pas vocation à retirer des dividendes de leur investissement. De fait, ils sont avant tout adhérents d’une association à but non lucratif type loi 1901. Ils ne pourront retirer sous ce statut aucun bénéfice pécuniaire. Sur ce point, le projet de l’En Avant Guingamp se rapproche des socios du  club catalan, qui n’ont véritablement que vocation à ce que leur club de cœur se pérennise. Preuve en est que les Kalons ne recevront, en échange de leur apport de 40 euros à l’association, qu’une plaque honorifique avec leur nom sur un mur du stade du Roudourou. Cette somme correspond aussi à une adhésion d’un an à l’association des Kalons, et donc à un droit de vote pour l’élection du premier bureau. Si le Kalon veut continuer à participer à la vie active de la SASP, il devra débourser 12 euros par an pour continuer à être membre actif de l’association, et donc par ricochet influencer la politique sociétaire du club. L’association aura aussi pour but d’investir le club dans des projets caritatifs, ce dernier s’y engageant pour les mêmes montants que l’association.

Malgré le faible poids politique accordé aux futurs actionnaires/supporters en contrepartie d’un investissement de 40 euros, l’opération Kalon reste cependant une bouffée d’air frais dans ce monde du football de plus en plus dérégulé, et où l’argent tend à prendre le pas sur la passion.

Bastien Bernard et Seguy Goudjogandaga,

Etudiants au sein du Magistère Juriste d’Affaires Franco-Britannique de l’université de Rennes 1.

Pour aller plus loin :

[1] https://www.fcbarcelona.com/club/press/card/memoria-anual-del-fc-barcelona

[2] https://www.fcbarcelona.com/members/card/commitment-card

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