La CEDH à l’épreuve des critiques

Instituée en 1959, La Cour européenne des droits de l’homme est une juridiction internationale compétente pour statuer sur des requêtes individuelles ou étatiques alléguant des violations des droits civils et politiques énoncés par la Convention européenne des droits de l’homme1. Garantissant des droits et libertés comme le droit à la vie, le droit à un procès équitable ou la liberté d’expression, la Convention et sa juridiction éponyme font actuellement l’objet de vives critiques, de la part, notamment, du gouvernement britannique. 

La raison principale pour laquelle la Cour EDH est critiquée résulte de l’ingérence croissante de sa jurisprudence sur l’activité normative des Etats parties à la Convention. En effet, même si ses décisions ont un caractère déclaratoire, cela n’empêche pas les Etats membres de devoir s’y conformer. La procédure, en cas d’inexécution de la décision, se trouve à l’article 46 de la Convention EDH2. Si un Etat membre de la Convention EDH refuse d’exécuter un arrêt rendu par la Cour EDH, le Comité des ministres lui adresse une mise en demeure. Si l’Etat s’obstine à ne pas exécuter la décision, la Cour est saisie. Si elle constate le refus de l’Etat de se conformer à l’arrêt, elle doit renvoyer l’affaire au Comité afin qu’il examine les mesures à prendre. Tant que l’ensemble des mesures demandées n’ont pas été adoptées par l’Etat condamné, le Comité des ministres ne clôture pas son examen.

Les décisions de la Cour européenne permettent ainsi de protéger les droits de l’Homme et d’influencer la législation de ses pays membres, puisqu’il est courant que les Etats modifient leur propre législation après une condamnation par la Cour EDH. C’est notamment le cas lorsque la procédure d’arrêt pilote est mise en place : elle permet de traiter plusieurs affaires identiques pendantes devant la Cour. La particularité de cette procédure réside dans son objectif qui est d’identifier le dysfonctionnement de la législation interne qui est à l’origine de la violation de la Convention EDH et donner des indications claires au Gouvernement quant à la manière d’éliminer ce dysfonctionnement.

CEDH petit juriste
Cour européenne des droits de l’homme – Strasbourg

David Cameron, premier ministre britannique, est favorable à la sortie du Royaume-Uni de la Convention, en partie à cause du litige entre la Cour EDH et la gouvernement britannique sur la question du droit de vote des prisonniers qui est interdit par la loi britannique. En effet, en 2005, la Cour a condamné la Grande-Bretagne à payer 23 000 € à John Hirst, un ancien détenu, pour avoir violé l’article 3 du protocole additionnel3 sur le droit à des élections libres, et à se conformer à la jurisprudence majoritaire des pays membres de la Convention sur la question.

Lors de son discours clôturant le congrès du parti conservateur, il a vivement critiqué la Cour EDH, estimant qu’elle était une limite à la souveraineté de la Grande-Bretagne et scandant “Nous n’avons pas besoin de recevoir d’instructions de juges à Strasbourg!“. La souveraineté est un principe cher à la Grande-Bretagne puisque son système constitutionnel est fondé sur la souveraineté parlementaire, c’est-à-dire que la souveraineté appartient au Parlement et consacre la prééminence de la loi. Dans un tel régime, il est difficile de concevoir qu’une instance internationale puisse rendre des décisions ayant une valeur supérieure à celles rendues par les tribunaux internes.

Peut-il réellement s’affranchir de la CEDH ? A l’époque, les Etats qui ont ratifié la Convention devaient mettre en place un dispositif judiciaire interne pour permettre l’application de la jurisprudence de la Cour européenne. Autrement dit, il fallait permettre à ce que chaque juridiction suprême des Etats membres respecte les décisions prises par la Cour. Tony Blair a instauré, en 1998, le “Human right act“4 afin de donner effet, dans le droit interne, aux droits contenus dans la Convention européenne des droits de l’homme, et donc permettre à la Cour suprême d’appliquer ses principes. En effet, même si la Convention EDH, ainsi que ses protocoles additionnels, sont pleinement applicables au sein des Etats membres, les juges de la Cour EDH n’interviennent pas quant au choix des modalités de l’application des décisions rendues.

En France, par exemple, la Cour de cassation a accepté, dans son arrêt Civ 1e, 10 janvier 1984, Renneman, d’appliquer la jurisprudence de la Cour EDH. De même, le Conseil d’Etat, bien que plus réticent à appliquer les décisions européennes à l’ordre administratif, a considéré dans sa décision CE Ass., 30 octobre 1998, Sarran, Levacher et autres que le droit international avait une valeur supralégislative et infraconstitutionnelle, reconnaissant l’intervention du juge européen sur le droit interne.

David Cameron voudrait remplacer le “Human right act“ par une “Bill of rights“5 qui encouragerait les juges de la Cour suprême à ne plus appliquer la Convention européenne, et donc à n’appliquer que le droit interne. Si l’introduction d’une “Bill of rights“ pourrait permettre, sur le plan du droit interne, de combattre l’emprise de la Cour EDH sur le droit interne, cela pourrait avoir des conséquences plus importantes au niveau européen.

Durant les séances plénières du Comité des ministres du Conseil de l’Europe ayant pour but de vérifier que chaque Etat respecte la bonne application des arrêts de la Cour, le Royaume-Uni devra sans doute supporter les pressions des autres Etats membres. En effet, remettre en cause la Convention EDH serait une remise en cause de la construction européenne et jettera très probablement un froid sur l’alliance entre la Grande-Bretagne et le reste des pays membres du Conseil de l’Europe. Que se passerait-il alors ? S’il est possible pour la Grande-Bretagne de ne plus appliquer le droit européen, cela signifierait ne plus être membre du Conseil de l’Europe. Cela marquerait-il le premier pas de la part de la Grande-Bretagne vers une sortie complète des institutions européennes ?

Ce n’est pas la première fois que la Grande-Bretagne fait preuve de réticence à l’égard de la Convention EDH et de sa Cour. Le 25 janvier 2012, durant un discours devant la Cour EDH, David Cameron a affirmé, à propos de la décision CEDH, 6 octobre 2005, Hirst (req. 74025/01), que la Cour ne devait pas “mettre à mal sa propre réputation en contrôlant des décisions nationales qui ne nécessitent pas de l’être“. De plus, en février 2012, la Chambre des communes avait adopté une motion par 234 voix contre 22 où elle affirmait la primauté du pouvoir législatif britannique en matière de droit de vote des détenus, une façon pour la Chambre basse du Parlement britannique d’affirmer la supériorité du droit interne sur la Convention EDH et des décisions rendues par sa Cour.

Dans la même idée, du côté français, certaines critiquent se sont élevées suite à l’arrêt CEDH, 26 juin 2014, Mennesson c. France (req. 65192/11), imposant à l’Etat de reconnaître la filiation des enfants nés de mères porteuses à l’étranger, qui est devenu définitif le 26 septembre dernier. Il est estimé que la Cour EDH porte trop atteinte à la souveraineté des Etats membres et considéré que la France est assez armée, dans son droit interne, pour préserver les droits de l’Homme et du citoyen. En effet, dans le droit interne français, la Question Prioritaire de Constitutionnalité, instaurée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 à l’article 61-1 de la Constitution et entrée en vigueur le 1e mars 2010, permet à tout justiciable de contester la constitutionnalité d’une disposition législative au cours d’un procès devant une juridiction administrative ou judiciaire, quand il estime qu’un texte appliqué lors du litige porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.

Finalement, la Cour EDH est critiquée par son atteinte à la souveraineté des Etats membres à la Convention et parce que ses décisions ne seraient pas suffisamment sévères à l’égard des citoyens. En effet, il n’est pas rare que la Convention se range du côté des demandeurs, permettant ainsi une protection optimale des droits et libertés individuelles, voire une évolution trop moderne des législations internes ?

Brice BERTOLOTTI

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1 http://www.echr.coe.int/Documents/Convention_FRA.pdf

2 Article 46 Convention EDH : “1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties. 2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. 3. Lorsque le Comité des Ministres estime que la surveillance de l’exécution d’un arrêt définitif est entravée par une difficulté d’interprétation de cet arrêt, il peut saisir la Cour afin qu’elle se prononce sur cette question d’interprétation. La décision de saisir la Cour est prise par un vote à la majorité des deux tiers des représentants ayant le droit de siéger au Comité. 4. Lorsque le Comité des Ministres estime qu’une Haute Partie contractante refuse de se conformer à un arrêt définitif dans un litige auquel elle est partie, il peut, après avoir mis en demeure cette partie et par décision prise par un vote à la majorité des deux tiers des représentants ayant le droit de siéger au Comité, saisir la Cour de la question du respect par cette Partie de son obligation au regard du paragraphe 1. 5. Si la Cour constate une violation du paragraphe 1, elle renvoie l’affaire au Comité des Ministres afin qu’il examine les mesures à prendre. Si la Cour constate qu’il n’y a pas eu violation du paragraphe 1, elle renvoie l’affaire au Comité des Ministres, qui décide de clore son examen“. 

3 Article 3 du Protocole additionnel : “Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif“. 

4 http://www.legislation.gov.uk/ukpga/1998/42/contents

5 Bill of rights signifie “déclaration des droits“

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