Le sort des prélèvements sociaux à la lumière de la jurisprudence européenne

A titre liminaire, il est important de rappeler la dimension sociale indéniable de ces prélèvements obligatoires dont la vocation originelle est de contribuer au financement du système de sécurité sociale français. Cette particularité a eu des répercussions sur l’assujettissement à ces prélèvements fiscaux car initialement, seuls étaient redevables des prélèvements sociaux sur les revenus d’activité et de remplacement les personnes physiques à la fois considérées comme fiscalement domiciliées en France et à la charge d’un régime obligatoire d’assurance maladie français. La situation était quelque peu différente concernant les revenus du patrimoine et les produits de placement où la seule condition de domiciliation en France était pour sa part suffisante, sans référence à une affiliation au régime d’assurance maladie français ce qui excluait de facto les non-résidents d’une imposition aux prélèvements sociaux.

Cependant, ce régime fiscal a été bouleversé par la deuxième loi de finances rectificatives pour 2012 (article 29 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012) qui établit expressément que les personnes physiques fiscalement domiciliées hors de France sont aussi redevables des prélèvements sociaux sur les revenus fonciers et les plus-values immobilières de source française.

Un risque important de double imposition aux prélèvements sociaux résultait donc de cette situation, pour les résidents français travaillant à l’étranger, et les non-résidents ayant des revenus français car ils pouvaient être également soumis à un régime obligatoire de sécurité sociale étranger. Les conventions fiscales bilatérales ne traitaient pas non plus de cette situation fiscale dommageable.

 

I) Le problème : la qualification juridique des prélèvements sociaux

Au-delà des difficultés évoquées précédemment, la qualification juridique des prélèvements sociaux est sujette à des interprétations divergentes. Pour les juridictions internes telles que le Conseil Constitutionnel (décision n°90-285 DC du 29 décembre 1990) et le Conseil d’Etat (CE, 9e sous-sect., 15 juin 2005, n° 258039, Gréard : Juris-Data n° 2005-080711), ces prélèvements sont affectés au financement de la sécurité sociale mais ne donnent pas droit pour le payeur à une prestation particulière en retour. En cela, ces deux juridictions considèrent que ce sont des impositions de toute nature qui frappent le contribuable et non pas des cotisations sociales. En tant qu’impôt, le sort des prélèvements sociaux était alors réglé en se rapportant aux conventions bilatérales pour déterminer si l’Etat de source était autorisé à taxer.

D’un autre côté, la CJUE (CJCE, 15/01/2000) adopte un point de vue différent en écartant l’exigence d’une prestation en retour pour qualifier le prélèvement de cotisation sociale. Cela revient ainsi à qualifier de cotisations sociales toutes les sommes affectées au financement du régime de sécurité sociale ce qui permet de considérer, dans le cas d’espèce, la CSG et la CRDS sur les revenus d’activité et de remplacement des travailleurs salariés et indépendants comme des cotisations sociales. Ces sommes rentrent alors dans le champ d’application du règlement CE sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (Règlement n°1408/71 puis à partir du 1er Mai 2010, n°883/2004) pour déterminer qui a le droit de taxer. Dans ces règlements, les personnes ne peuvent être soumises à la législation que d’un seul Etat en matière de sécurité sociale, à savoir celui dans lequel elles exercent leur activité.

Il est donc possible de constater une situation particulièrement complexe sur le plan de la sécurité juridique en raison d’une diversité de positions jurisprudentielles et des situations de double taxation.

 

 II) L’arrêt De Ruyter et ses conséquences en droit interne

La jurisprudence européenne est venue établir une ligne directrice afin d’éclaircir certaines zones d’ombres notamment dans l’arrêt De Ruyter rendu par la CJUE le 26 Février 2015 (CJUE, 1ère ch, 26 févr. 2015, aff. C-623/13, min. c/ de Ruyter). Dans le cas d’espèce, les revenus en cause concernaient des revenus du patrimoine également sujets aux prélèvements sociaux. Le Conseil d’Etat avait choisi de poser une question préjudicielle à la CJUE sur l’application à ces prélèvements du règlement n°1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs, alors même qu’ils n’étaient pas en lien avec une quelconque activité ou travail.

En effet, M. De Ruyter se trouvait dans une situation de double imposition : d’une part il était soumis sur l’ensemble de ses revenus néerlandais (salaires, revenus de capitaux mobiliers, rentes viagères) aux prélèvements sociaux de ce pays car il exerçait son activité professionnelle aux Pays Bas et de plus, en tant que résident fiscal français, il était soumis aux prélèvements sociaux sur les rentes viagères. M. De Ruyter a donc contesté l’obligation qui lui était faite de cotiser pour deux régimes de sécurité sociale sur les mêmes revenus, conformément au règlement CE n°1408/71 selon lequel une seule législation sociale doit s’appliquer.

Dans sa décision, la CJUE adopte un raisonnement identique à celui relatif aux prélèvements sur les revenus d’activité en précisant que le fait qu’un prélèvement soit considéré comme une imposition en droit interne n’est pas un obstacle à ce que ce prélèvement rentre dans le champ d’application du règlement CE n°1408/71 et que l’exercice d’une activité professionnelle ne conditionne pas l’application du règlement. L’unicité de législation sociale doit ainsi s’appliquer.

Par la suite, la haute juridiction administrative a tiré les conséquences de cette prise de position des juges européens tout d’abord dans un arrêt en date du 17 avril 2015 (C.E, 3ème et 8ème ss-sect, 17 avr. 2015, n°365511). L’affaire concernait un contribuable non affilié au régime de la sécurité sociale français qui avait supporté les prélèvements sociaux sur les plus-values immobilières françaises. Le Conseil d’Etat décide de reprendre le raisonnement de la CJUE, confirmant ainsi l’application du règlement CE n°1408/71 aux prélèvements sociaux français, à condition que soit prouvé son affiliation à un autre régime d’un Etat membre.

Enfin, dans l’arrêt De Ruyter rendu le 27 Juillet 2015 (CE, 10ème et 9ème ss-sect., 27 juill. 2015, n° 334551, min. c/ M. de Ruyter), le Conseil d’Etat confirme cette orientation jurisprudentielle en consacrant de nouveau l’application du règlement CE n°1408/71 aux prélèvements sociaux français, et en conséquence l’impossibilité de soumettre les revenus du patrimoine d’un résident français affilié à la sécurité sociale d’un autre Etat Membre aux prélèvements sociaux français.

De nombreuses zones d’ombre persistent cependant suite à ces arrêts et les conséquences à en tirer.

 

III) Quel futur pour les prélèvements sociaux ?

Ces arrêts risquent d’avoir des conséquences à échéance plus ou moins brève. Dans un premier temps, les répercussions directes concernent les contribuables rattachés à un régime de sécurité sociale étranger qui ont acquitté des prélèvements sociaux au titre de leurs revenus fonciers ou des plus-values immobilières depuis l’entrée en vigueur de la mesure litigieuse. En effet, ils peuvent adresser immédiatement une réclamation visant à obtenir leur remboursement des prélèvements sociaux acquittés sur ces revenus. Le Gouvernement a déjà anticipé cette procédure en intégrant un « montant estimatif de restitution » de 0,5 milliard d’euros dans le programme de stabilité établi par la Direction générale du Trésor et transmis à la commission européenne.

De plus, suite à la décision du 27 juillet dernier rendue par le Conseil d’Etat, le gouvernement français « est amené à prendre les dispositions nécessaires » comme il s’y est engagé lors d’un communiqué de presse le 26 février 2015 ou au parlement (Rép. mini à la QE n° 16202 – 30/07/2015 JO Sénat p.1828). Le gouvernement se devra donc de réaliser une réforme du régime des prélèvements sociaux afin de ne pas s’exposer aux sanctions pécuniaires européennes en cas de non mise en conformité de la législation française avec la règlementation communautaire.

Ainsi, il est envisageable qu’une réforme du régime des prélèvements sociaux puisse voir le jour rapidement. Elle pourrait prendre plusieurs formes: tout d’abord une abrogation pure et simple de la réforme introduite par la deuxième loi de finances rectificative pour 2012 ce qui limiterait la soumission aux prélèvements sociaux aux seules personnes domiciliées fiscalement en France et affiliées à un régime social français. Un maintien de la réforme antérieure qui serait cependant encadrée et limitée aux affiliés au régime de sécurité sociale français est également possible

Enfin, une autre alternative pourrait consister à distinguer le cas des non-résidents habitant l’Union européenne (« UE ») des non-résidents habitant des Etats tiers à l’UE. En effet, dans la mesure où la condamnation de la France s’appuie sur le Règlement européen interdisant le non-cumul des régimes de sécurité sociale au sein de l’UE, le législateur français pourrait se limiter à exclure des prélèvements sociaux les non-résidents de l’UE qui sont affiliés à un régime de sécurité sociale étranger. Cette dernière hypothèse ne modifierait donc pas la situation des non-résidents d’Etats tiers à l’UE qui continueraient d’être soumis aux prélèvements sociaux sur leurs revenus immobiliers de source française même s’ils sont par ailleurs affiliés à un régime de sécurité sociale étranger.

 

AGUER Thomas –DJCE/Fiscalité Internationale –Paris II

MESNARD Thomas – EM LYON/ Fiscalité Internationale – Paris II

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