Ouverture du procès de Laurent Gbagbo à La Haye

Ce jeudi 28 janvier s’est ouvert à la Cour pénale internationale (CPI) de la Haye aux Pays-Bas, le procès de l’ancien président ivoirien, Laurent Gbagbo et de son ancien ministre de la jeunesse, Charles Blé Goudé. Ces derniers sont poursuivis pour « crimes contre l’humanité ».

Les faits remontent à 2010 : à l’issue de l’élection présidentielle, le président sortant Laurent Gbagbo refuse de céder le pouvoir à son adversaire et vainqueur, Alassane Ouattara. Une crise éclate entre les deux clans et les violences ensanglantent la Côte d’Ivoire, entraînant la mort d’au moins 3 000 personnes en l’espace de cinq mois selon les Nations Unies1. Meurtres, viols, actes inhumains et persécutions sont autant de chefs d’accusation dont doivent aujourd’hui répondre devant la Cour les deux accusés.

Ce procès – qui devrait durer au moins trois ans – suscite la controverse. Se pose notamment la question de la légitimité de la Cour pénale internationale à poursuivre les deux ex dirigeants ivoiriens (1). S’il fait débat, ce procès marque indéniablement un aboutissement dans l’histoire de la justice pénale internationale, justice qui depuis longtemps peine à se mettre en place (2).

1. Un procès controversé

A l’ouverture du procès ce jeudi 28 janvier à 9h30, Laurent Gbagbo plaide non coupable. Pendant ce temps, à l’extérieur du bâtiment, près de 1000 partisans indignés clament l’innocence de leur ancien chef d’Etat tout en agitant des drapeaux ivoiriens. Pour eux, la France, ancienne puissance coloniale, est derrière le « complot » qui a entraîné la chute de ce chantre du multipartisme2. Pour cause, l’armée française – dans le cadre de l’opération Licorne pour le maintien de la paix en Côte d’Ivoire – avait appuyé les forces fidèles à Alassane Ouattara dans leur arrestation en avril 2011 de Laurent Gbagbo.

On accuse la France et plus généralement la Cour, taxée de mettre en place une « justice des vainqueurs »3. En effet, l’absence d’accusation contre les membres du camp d’Alassane Ouattara, aujourd’hui président de la Côte d’Ivoire, soulève la question de l’impartialité des juges dans cette affaire éminemment politique. Cette justice à deux vitesses – pour les vainqueurs et les vaincus – porte atteinte à la légitimité de la Cour dans l’opinion populaire et profite du même coup à la ligne de défense de l’avocat de Gbagbo, le français Emmanuel Altit. Ce dernier déclare d’ailleurs que son client aborde le procès « avec confiance ».

Mais l’accusation semble, elle aussi, confiante. La procureure Fatou Bensouda affirme disposer de plus de 5300 éléments de preuve et de 138 témoins afin de prouver que les deux prévenus ont bien cherché à conserver le pouvoir « par tous moyens, y compris en commettant des crimes ». La procureure gambienne répond par ailleurs aux attaques concernant l’iniquité des juges, en assurant enquêter parallèlement contre les forces pro-Ouattara Elle demande de la patience. Le juge italien Cuno Jako Tarkusser se veut également rassurant : « C’est un procès pénal, pas une manifestation politique, pas un jeu où une partie veut prévaloir sur l’autre. Ce n’est pas un procès à la Côté d’Ivoire ou même au peuple ivoirien mais à deux personnes accusées de crimes par le bureau du procureur ».

LPJ

La tension est donc palpable aussi bien en Côte d’Ivoire où les plaies sont encore vives qu’à l’intérieur de la salle d’audience de la Haye. Il faut dire que l’enjeu est de taille. Outre le rétablissement de la vérité tant attendu par le peuple ivoirien, ce procès ouvre une nouvelle page dans l’histoire de la justice pénale internationale.

2. Un procès déjà historique pour la justice pénale internationale

Pour la Cour, ce procès est l’occasion de conduire une affaire d’envergure, d’asseoir sa légitimité sur la scène internationale et d’entrer dans l’Histoire.

Depuis qu’elle a ouvert ses portes en juillet 2002 à l’entrée en vigueur du Statut de Rome4, la CPI a brillé par son impuissance avec seulement deux peines de prison prononcées. Si nombreux mandats d’arrêts internationaux ont été délivrés, la Cour n’arrive que rarement à traduire les suspects devant ses tribunaux. Parmi ces suspects, notamment le président soudanais Omar Al-Béchir, accusé tout à la fois de crimes de guerre, génocide et crime contre l’humanité et que la Cour ne parvient pas à traduire devant ses tribunaux.

Ainsi, malgré son jeune âge, la CPI a donc essuyé plusieurs échecs. Ces revers sont en grande partie dus au manque de coopération internationale traduisant la réticence des Etats devant cette instance qui leur fait peur. Nombre de puissances influentes (Etats-Unis, Russie, Chine, Israël) n’ont pas ratifié le statut de Rome, par crainte des dirigeants de devoir répondre de leurs actes. En revanche, presque tous les pays africains se sont prêtés au jeu, de sorte qu’aujourd’hui les 23 affaires de la Haye ont concerné ce seul continent, lui donnant regrettablement l’allure d’une instance néo-colonialiste.

Ce procès est donc la possibilité pour la Cour de retrouver une crédibilité écornée au fil des ans. Procès d’autant plus important qu’il met pour la première fois en cause un ex chef d’Etat. L’accusation devra se montrer irréprochable dans le rétablissement de la vérité afin de prouver qu’il n’est question à la Haye ni de revanche, ni d’instrumentalisation politique, ni d’impérialisme.

Il est temps pour la Cour de prouver qu’elle participe à la longue marche du droit international vers un ordre juridique mondial de nature à satisfaire l’universalité des droits de l’homme. C’est là son rôle : incarner la lutte contre un monde où les responsables des crimes de masse demeurent impunis. Car elle mieux que personne symbolise l’espoir, à l’aube du XIXe siècle, d’un avenir de paix, de justice et de progrès universel.

Juliette Vigouroux

Etudiante en Master 1 – Université Panthéon Assas (Paris II)

 

  1. D’après un Rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante sur la Côte d’Ivoire du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme
  2. D’après les journalistes de RFI (Radio France Internationale) et de Le Monde Afrique
  3. D’après les journalistes du Figaro et de la BBC
  4. Le Statut de Rome portant création de la Cour a été signé le 17 juillet 1998, il compte aujourd’hui 123 Etats parties

 

 

POUR EN SAVOIR +

 

Retransmission vidéo des audiences

Site de la CPI icc-cpi.int/fr à Presse et médias à Communiqués de presse

 

Réflexion autour de la CPI

Site courrierinternational.com à Revue de presse à Article : « La CPI, une Cour de justice néo-colonialiste ? » du 11/09/2013

 

https://www.icc-cpi.int/fr_menus/icc/press%20and%20media/press%20releases/Pages/pr1184.aspx

 

http://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/2013/09/11/la-cpi-une-cour-de-justice-neocolonialiste

 

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