Brésil, vers une harmonisation de la fiscalité interne

 

La fiscalité brésilienne est réputée particulièrement complexe car s’organisant à plusieurs niveaux: fédéral, étatique, et local. Complexe et peu modulable, elle continue d’être un sérieux frein aux investissements étrangers dans le pays. La concurrence économique entre les États fédérés, les rivalités importantes entre ces derniers et l’État fédéral, créent un climat d’instabilité fiscale souvent nuisible à l’activité économique.

 

Mécanismes de base

Voici une rapide revue des mécanismes de base du droit fiscal brésilien :

Les prélèvements obligatoires à l’échelle de l’État fédéral 

  • L’impôt sur le revenu des personnes physiques :

L’impôt sur le revenu des personnes est appliqué en fonction du critère de la résidence habituelle. En ce sens que, le droit brésilien considère comme résident fiscal toute personne résidant au Brésil au moins 183 jours par an, ainsi que les étrangers titulaires d’un visa de travail avec contrat local. Les résidents fiscaux sont taxés sur leurs revenus globaux (sauf accord de non double imposition). Il existe néanmoins certaines déductions qui peuvent réduire l’assiette de l’impôt. Du reste, le taux d’imposition est progressif, avec un plafond à 27,5%.

Les étrangers non-résidents, qui ont une activité au Brésil, sont pour leur part soumis à un impôt de 15% sur leur revenu réalisé au Brésil.

  • L’impôt sur les sociétés :

Le droit fiscal brésilien impose aux sociétés de droit brésilien de payer des impôts sur leurs bénéfices mondiaux. Concernant, les entreprises étrangères sont imposables au Brésil dès lors qu’elles réalisent un certain chiffre d’affaires sur le sol brésilien (directement ou par l’intermédiaire d’agents de droit brésilien).

Les taux d’imposition standard sont les suivants :

Taux d’imposition sur les sociétés 15%
Taxe supplémentaire sur les bénéfices excédant 240.000 BRL. 10%
Contribution sociale (CSL). 9%
Taux effectif 34%

 

Il faut aussi noter que l’imposition des sociétés peut faire l’objet d’exonération dans les zonas francas (zones franches), créées pour soutenir l’investissement dans les régions défavorisées et peu développées (notamment en Amazonie).

Les déductions et les crédits d’impôt concernent toutes les charges inhérentes à l’activité de l’entreprise. Le taux de taxation des plus-values est identique à celui de l’impôt sur les sociétés, et s’élève à 15% pour les investisseurs non-résidents (voir 25% pour les résidents de paradis fiscaux).

  • Les autres prélèvements fédéraux sont:
  • La taxe sur les importations (variable), ainsi qu’une taxe sur les royalties versées à des entreprises étrangères (10%);
  • L’impôt sur les opérations financières (IOF) : il est calculé sur la base sur la base du montant des prêts bancaires (et transactions semblables), le change monétaire, les primes d’assurances et l’activité boursière. Il varie de 0 à 25%;
  • L’impôt sur les produits industrialisés (IPI) : il porte sur les produits industrialisés importés ou fabriqués localement, Le taux standard est de 10%;
  • Les taxes de financement des programmes sociaux constituent la mesure phare de l’ère Lula, il s’agit de prélèvements obligatoires permettant de financer divers programmes sociaux dans le pays. Il en existe plusieurs catégories :
  • Le PIS (« Programa de Integração Social ») est une épargne salariale destinée au financement de l’intégration sociale. Prélèvement mensuel, il varie de 0,65 à 1,65 % du revenu brut;
  • Le COFINS (« Contribuição para o Financiamento da Seguridade Social« ) est la contribution au financement de la sécurité sociale. Calculé mensuellement sur le revenu brut, les taux vont de 3 à 7,6 %;
  • La « contribution sociale sur le bénéfice » calculée sur le revenu imposable ajusté. Le taux est de 9 %.

Les prélèvements obligatoires à l’échelle des États fédérés

Ces catégories d’impôts occupent un rôle central dans la fiscalité brésilienne, car elles sont à l’origine d’une véritable Guerra fiscal (guerre fiscale) entre les états fédérés.

L’impôt principal de cette catégorie est l’ICMS, l’ « Imposto sobre circulação de mercadorias e serviços » : il s’agit d’un impôt sur la circulation de marchandises et sur les services de transports nationaux, municipaux et communaux. Ce dernier constitue la plus importante source de revenu des états fédérés. Toute société effectuant régulièrement des opérations impliquant un mouvement physique de biens (y compris des importations) ou fournissant des services de communication ou de transport entre États ou municipalités est soumise à l’ICMS. Les taux de l’ICMS varient de 7 à 12 %, selon un principe proche de la TVA française.

Les impôts municipaux

L’ISS, impôt municipal sur les services non soumis à l’ICMS, varie entre 2 et 5% du prix du service facturé, selon le type de service et la réglementation de chaque municipalité (qui doit respecter la législation fédérale en la matière).

En général, le taux est de 5 % de la valeur du service facturé. Toutefois, certaines municipalités, afin d’attirer les investisseurs, ont récemment accordé des exonérations qui bénéficient à des industries de services déterminées. Ces disparités alimentent la Guerra fiscal.

Il existe aussi divers impôts fonciers, dont l’importance varie selon les États et l’usage des terrains:

  • L’impôt foncier général, variant de 0.3 à 1.5%.
  • L’impôt sur les propriétés rurales, variant de 0.03 et 20%.

 

Perspectives d’évolution

La réforme de la fiscalité interne est une problématique particulièrement sensible au sein de la classe politique brésilienne. Elle inclut non seulement des enjeux financiers majeurs, mais aussi des questions constitutionnelles concernant les rapports entre l’État fédéral et les États fédérés.

Cette problématique se pose principalement pour L’ICMS. En effet ce dernier représente l’enjeu, de fiscalité interne, principal des entreprises activent au Brésil [1].

Une nouvelle législation sur les taux intra-États est prévue et devrait entrer en vigueur d’ici 2025. Cette proposition, émise par la présidente Dilma Roussef, a été soumise à une première lecture au sénat brésilien en janvier 2013.

L’enjeu de la réforme fiscale était présent lors de la campagne présidentielle de 2014, et le candidat d’opposition Aécio Neves, soutenant les réformes en cours, souhaitait aller plus loin dans la simplification du « mille-feuille » fiscal brésilien[2].

A ce titre, le projet de réforme propose l’adoption d’un taux unique de 4%. A l’heure actuelle, la Constitution brésilienne prévoit que le sénat fédéral fixe les taux d’imposition entre les États fédérés[3]. Les taux actuels étant fixés à 7% et 12%.

Le système créé selon la Constitution de 1988 a été conçu comme une solution de taxation qui se voulait juste, et qui permettrait de lutter efficacement contre l’inégalité de développement social et économique des régions brésiliennes.

Cependant, la politique des avantages fiscaux accordés par les États fédérés a fini par créer un environnement instable dans l’ordre juridique et économique brésilien. C’est la raison pour laquelle cette réforme, qui bénéficie pour l’heure d’un certain consensus au sein de la classe politique brésilienne, paraît indispensable pour la lutte contre la guerre fiscale et la réorganisation du système fiscal brésilien.

Les conclusions préliminaires du département des finances d’État brésilien au sujet du projet de réforme indiquent que certains États augmenteront leurs revenus et d’autres les verront diminuer.

Afin de pallier à cet écueil, le projet de loi discuté au Sénat propose la création d’un fonds, financé avec des ressources fédérales. Celui-ci permettrait d’indemniser les pertes observées pour certains États en cas de changement des taux ICMS. Cette disposition est un argument fort en vue de convaincre les États « perdants » d’accepter la nouvelle législation.

Au niveau pratique, cette harmonisation doit être mise en oeuvre progressivement. Ainsi, les États en développement auraient jusqu’à janvier 2025 pour la mettre en application, tandis que les États développés (au moins São Paulo) pourraient y être soumis dès janvier 2016.

Ces critères sont pertinents, néanmoins, la période allouée pour cette transition est trop longue selon de nombreux spécialistes.

Les États en développement bénéficieront d’une période de transition plus longue (voir Echéancier du passage au taux unique de 4% pour l’ICMS)[4] . Toutefois, nous soulignerons deux exceptions à la nouvelle législation :

  • Les transactions sur le gaz naturel échapperont à la nouvelle législation, et continueront à être taxées selon leur taux national actuel de 12%.
  • La zone franche de Manaus (ZFM) est elle aussi non concernée par la réforme. Suite aux calculs prévisionnels des résultats fiscaux des différents États avec le taux unique, il a été établi que l’État d’Amazonas serait de loin le plus défavorisé par la réforme (avec une perte estimée à – 20% du total de ses recettes fiscales), en raison de sa dépendance importante au commerce inter-États des biens industriels produits à Manaus. La décision fut donc prise d’exclure la ZFM de la réforme.

A partir de 2016, le commerce inter-États sera largement libéralisé pour les entreprises présentes dans les États développés, que ce soit entre ces derniers États, ou à destination des États en développement.

A partir de 2018, les entreprises implantées dans les États en développement verront le taux de leur transaction baisser à 7% dans un premier temps. Par la suite, le taux passera à 4% en 2025.

Cette diminution généralisée de la fiscalité, estompera les barrières à l’entrée présente sur les différents marchés. Ainsi l’accès au marché des états en développement sera facilité pour les entreprises présentes dans le sud-ouest et le sud du pays. Egalement, pour les entreprises étrangères, il peut y avoir un intérêt nouveau à s’implanter au Brésil, au vu de la baisse notable de la fiscalité dans les États développés dès 2016.

De ce fait, le gouvernement brésilien espère voir s’accroître les investissements étrangers. Cette réforme notable de l’ICMS semble aller dans le bon sens, celui d’une plus grande transparence et simplification du droit fiscal brésilien.

Néanmoins le manque de réforme des règles brésiliennes en matière de prix de transfert demeure un frein à l’entrée du marché brésilien, qui pourrait occulter les profonds changements actuellement en cours au sein de la fiscalité interne.

 

Conclusion :

Le Brésil est réputé être un marché difficile, à juste titre.

Le retour du pays à la démocratie a marqué une nouvelle étape dans l’ouverture économique au niveau multilatéral (OMC) et régional (Mercosur). Néanmoins, l’intégration du Brésil à l’économie internationale, de fraîche date et encore limitée, bute sur la question du nationalisme fiscal, doctrine essentielle au sein de la classe politique brésilienne, qu’il semble très difficile de contester dans un pays à forte tradition étatiste.

En matière de prix de transfert, la législation atypique du pays continue à poser de nombreux problèmes de double imposition aux entreprises, notamment françaises.

La France et le Brésil ont signé le 10 septembre 1971 une convention de non double imposition, entrée en vigueur le 10 mai 1972.

Cette dernière n’a cependant pas empêché la persistance de nombreuses doubles impositions, liées en particulier aux questions de prix de transfert et de taxes sur les importations.

 

Nabil KENANA

 

 

Pour en savoir plus :

  •  « Tax Incentive War Among Brazilian States », José Ayres dos Santos Jr., The George Washington University, avril 2013.
  • « Brazil’s ICMS tax: origin, changes, current situation, and paths to recovery », Fernando Rezendo, Inter-American development bank, aout 2013.
  • « Brazilian subnational VAT: Problems, proposals forr eform and prospects », Juan Pablo Jiménez, Columbia University, octobre 2010.

 

[1] § Voir à titre d’illustration, l’enquête de l’Observatoire des conventions fiscales internationales, après d’entreprises françaises opérant au Brésil.

[2] § Armínio: « Reforma tributária de Aécio unificará ICMS, PIS-Cofins e IPI » in Valor economico, São Paulo, 15 aout 2014.

[3] § Constitution de la république fédérative du Brésil, Article 155, alinéa 2.

[4] § Source : Tax incentive war among Brazilian States », José Ayres dos Santos.

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