Les difficultés fiscales présentées par l’économie collaborative

À partir du 1er janvier 2019, les plateformes en ligne devront adresser à l’administration fiscale une déclaration automatique et sécurisée qui reprendra l’ensemble des revenus bruts perçus au cours de l’année civile par ses utilisateurs. Cette mesure issue de la loi de finances rectificative pour 2016 s’inscrit dans la volonté d’encadrement de l’économie collaborative déjà entreprise par le législateur.

L’économie collaborative (« sharing economy ») fait partie du quotidien de millions de français. Il est de plus en plus courant de partager un trajet grâce à Blablacar, de louer son appartement sur Airbnb ou encore de financer un nouveau projet sur Ulule. Bien que cette économie jouisse d’une grande popularité dans l’opinion publique en raison de ses valeurs fondées sur l’entraide et le partage, son aspect protéiforme est plus problématique en raison des nombreuses pratiques qu’elle englobe (partage de frais, activité professionnelle, mise à disposition d’un logement d’habitation ou de véhicule…).

Cette forme d’économie « C to C » (Consumer-to-Consumer) a connu un essor au lendemain de la crise financière de 2008 et a permis aux particuliers de trouver des revenus complémentaires à leur activité principale[1]. Ce partage de pair à pair a rapidement connu un franc succès, notamment grâce à l’émergence des nouvelles technologies. Facilité d’utilisation, lisibilité du marché, absence d’intermédiaire, richesse de l’offre, impact écologique… les atouts des plateformes collaboratives ne manquent pas. Selon le Ministère de l’économie, le chiffre d’affaires de ce marché novateur s’élèverait à environ 3,5 milliards d’euros, chiffre qui pourrait tripler à l’horizon 2018 et conforterait alors la France dans sa position de leader mondial dans ce domaine[2].

Si on ne peut nier l’impact positif de ce marché « alternatif », il est souvent mis en avant lors de débats que cette forme d’échange ne doit pas permettre de « laisser s’installer des usages parfois hors du droit » comme l’a clairement exprimé le secrétaire d’État chargé du budget, Monsieur Christian Eckert.

L’enjeu principal pour les pouvoirs publics est donc de préciser ce maillage juridique sans pour autant ralentir le développement de cette économie en pleine expansion, et c’est ce qui a justifié une intervention du législateur lequel a encadré l’appréhension des revenus collaboratifs par les utilisateurs (I) ainsi que leurs modalités de contrôle par l’Administration fiscale (II)

I. L’économie collaborative et son appréhension par le prestataire

Le 29 mars dernier, un groupe de travail créé au sein de la commission des finances du Sénat a présenté un rapport d’information sur « les modalités de recouvrement de l’impôt à l’heure de l’économie numérique ». Ce groupe composé de 11 sénateurs de toutes sensibilités politiques a présenté une liste de propositions visant à adapter la fiscalité à l’économie collaborative. Ces propositions reposent sur 3 principaux piliers :

Simplicité pour tous les utilisateurs ;
Unité entre le domaine fiscal et le domaine social ;
Équité entre les contribuables sans concurrence déloyale ;

Au sein de ce rapport d’information, les sénateurs ont préféré une adaptation des régimes sociaux et fiscaux actuels plutôt que l’adoption d’une loi propre à l’économie collaborative comme certains parlementaires l’avaient souhaité. Le travail à entreprendre s’annonce difficile car bien que la diversité de l’offre sur le marché (hôtellerie, restauration, logement, prestations de service à la personne, transport…) constitue un avantage considérable pour l’utilisateur, celle-ci s’avère être en réalité un véritable « casse-tête » pour le législateur, notamment en raison de la récurrence des opérations qui varient selon les personnes et le secteur (A) ainsi que des caractères spécifiques de certaines prestations (B).

A. Les difficultés tenant à la fréquence des opérations effectuées

Ce même rapport soulignait qu’« en créant de nouvelles opportunités d’échanges et de services pour des millions de personnes, en brouillant les frontières entre particuliers et professionnels, entre activité régulière et activité occasionnelle, l’économie collaborative remet en cause les fondements mêmes de notre système fiscal et social »[3].

Le constat est alarmant. La grande complexité du système actuel et le caractère inadapté des règles conduisent à des « zones grises » qui donnent souvent l’impression que l’économie collaborative poursuit son développement hors du droit.

En principe, tout revenu perçu par un utilisateur doit donner lieu à imposition. Toutefois, le régime fiscal n’est pas le même selon que l’adhérent est un simple particulier qui effectue des opérations dans le but d’arrondir ses fins de mois ou un « faux particulier » qui exerce à titre habituel une activité génératrice de revenus importants, ce qui soulève ainsi la question de l’appréciation du caractère habituel ou non de l’activité.

Le législateur a apporté des réponses dans certains secteurs. Ainsi, dans le domaine de la location meublée, à partir du 1er janvier 2017, toute personne qui donne en location directe ou indirecte des locaux d’habitation meublés relève des bénéfices industriels et commerciaux (BIC). Cette mesure issue de l’article 114 la loi de finances rectificative pour 2016 vient contrecarrer la jurisprudence constante du Conseil d’État en vertu de laquelle, lorsque la location meublée ne s’inscrit pas dans l’exercice d’une véritable activité mais est seulement ponctuelle, les revenus relèvent de la catégorie des revenus fonciers. Ce nouvel aménagement simplifie donc la question de l’appréciation du caractère occasionnel ou habituel des locations meublées et permet ainsi d’éviter toute ambiguïté sur la notion de location occasionnelle ou habituelle.

Cette homogénéisation du régime permet de limiter l’impact de la fréquence des locations et s’inscrit dans un objectif de simplification des régimes en vigueur. Il est à noter que cette mesure est globalement plus favorable au contribuable qui pourra profiter du régime micro-BIC si ses revenus sont inférieurs à 33 100 € et d’un abattement forfaitaire pour frais fixé à 50 %, avec un minimum de 305 €.

Néanmoins, nous pouvons raisonnablement penser que l’exonération prévue pour les personnes qui louent ou sous-louent une partie de leur résidence principale et qui perçoivent des revenus inférieurs au plafond de 760 € par an est réservée aux opérations à caractère occasionnel.

Cette clarification du régime des locations meublées est, certes, la bienvenue mais ne résout pas toutes les difficultés liées à la fréquence des opérations. Si nous prenons par exemple la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), à partir de combien d’opérations peut-on considérer le prestataire comme un assujetti ?

À ce sujet, le Comité de la TVA qui a pour mission d’harmoniser l’application des règles issues de la directive TVA, a soumis la proposition selon laquelle toute personne effectuant une livraison de bien ou une prestation de service via une plateforme collaborative doit être considérée comme un assujetti dès lors qu’elle perçoit une contrepartie financière.

Toutefois, ce n’est pas la position qu’a adoptée la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). En effet, dans un arrêt Gemente Borsele du 12 mai 2016[4], cette dernière a jugé que ne pouvait être considéré comme un assujetti l’usager qui partage ses dépenses grâce à une plateforme de service collaboratif car il n’existe pas d’opération économique à proprement parlé.

B. Les difficultés tenant au partage des frais

Nous avons vu qu’en ce qui concerne les revenus stricto sensu, il est possible de procéder à une adaptation du cadre juridique préexistant afin de répondre aux éventuelles interrogations laissées par cette nouvelle économie de partage, mais quid d’un simple partage de frais ?

L’article 12 du Code général des impôts précise que : « L’impôt est dû chaque année à raison des bénéfices ou revenus que le contribuable réalise ou dont il dispose au cours de la même année ». A priori, n’importe quel type de revenus devrait être pris en considération dans la base imposable. En conséquence, les particuliers qui perçoivent des revenus collaboratifs doivent en faire mention dans leur déclaration de revenus, et ce, selon leur nature. Les revenus n’ont donc, a priori, pas vocation à échapper à l’imposition.

Toutefois, ce principe souffre de tempéraments parmi lesquels se trouvent les revenus perçus au titre du partage de frais dans le cadre d’activités dites de « co-consommation ». Celles-ci recouvrent aussi bien les activités de covoiturage que le « co-cooking » ou les sorties de plaisance en mer, et ce, qu’elles soient réalisées ou non par le biais de plateformes collaboratives.

En l’absence de règles légales, l’administration fiscale s’est saisie de la question. En effet, la clarification a été apportée par la doctrine administrative publiée au BOFiP le 30 août 2016[5]. Elle conditionne cette exonération à la circonstance selon laquelle le prestataire, agissant dans un cadre exclusivement de particulier à particulier, doit lui-même bénéficier de la prestation offerte ; par ailleurs, il ne doit pas prendre en compte sa quote-part dans le calcul des frais partagés.

Par conséquent, dès lors que la part du revenu réalisé est supérieure au coût total du service après déduction de la quote-part du prestataire, celle-ci est imposable au premier euro et sera soumise au barème progressif de l’impôt sur le revenu. L’objectif sous-jacent est clair : imposer toute forme de gain de nature commerciale.

II. L’économie collaborative et son appréhension par l’administration

Selon les auteurs d’un rapport relatif à l’économie collaborative remis au Premier ministre le 8 février 2016 par Pascal Terrasse[6], la principale difficulté est l’absence de déclaration, ce qui conduit, in fine, à l’absence de règlement de l’impôt. Les pouvoirs publics ont donc décidé de mettre davantage l’accent sur le système déclaratif des revenus notamment sur l’encadrement de l’assiette fiscale (A) ainsi que sur les outils de contrôle de l’administration fiscale (B).

A. Les difficultés tenant à l’établissement de l’assiette

L’établissement de l’assiette suppose que les prestataires soient conscients que les activités auxquelles ils se livrent sont génératrices de revenus, et de plus, soumises à imposition. Toutefois, il est difficile de remettre en cause leur bonne foi dans la mesure où les multiples zones de flou ne sont guère propices à une véritable compréhension des différents régimes applicables.

Toutefois, ces revenus collaboratifs représentent en moyenne 380 € de gains par individu mais seulement 15 % des personnes se livrant à ce type d’activité l’incluent ou envisagent d’inclure ceux-ci dans leur déclaration d’impôt[7].

C’est pourquoi, dès le 1er janvier 2015, les plateformes en ligne ont eu l’obligation, sous peine d’amende, de procéder à la communication de l’identité et des revenus réalisés par ses utilisateurs dans l’hypothèse où l’administration fiscale en formulerait la demande.

Par ailleurs, le législateur a soumis les plateformes à une obligation d’information à l’égard des usagers (obligations fiscales et sociales, mise à disposition d’un relevé des revenus bruts perçus au cours de l’année précédente)[8]. Mais cela est-il suffisant ? La réponse est incontestablement négative. Les conseils donnés aux utilisateurs sur les différents sites sont très sommaires, pas adaptés à la situation de chacun et parfois très maladroits dans la démarche adoptée. À titre d’exemple, les utilisateurs d’UberPop n’avaient aucun revenu à déclarer dès lors qu’ils ne dépassaient pas un montant de 7500 € de chiffre d’affaires.

B. Les difficultés tenant au contrôle

Si l’établissement de l’assiette présente de nombreuses difficultés, il n’en demeure pas moins que son contrôle par l’Administration est tout aussi complexe en raison de l’absence d’outils adaptés à l’appréhension de tels revenus. C’est pourquoi, par l’article 24 de la loi de finances rectificative pour 2016, le législateur a décidé d’instituer un transfert automatique d’une « déclaration automatique sécurisée des revenus par les plateformes en lignes » (DAS) qui entrera en vigueur au 1er janvier 2019.

Il est à noter que cette nouvelle obligation concerne les personnes aussi bien physiques que morales, rémunérées ou non, et qui proposent un service auprès du public en ligne. Par un décret du 2 février 2017[9], le Gouvernement a posé les conditions et modalités que devra satisfaire cette déclaration. Cette dernière devra contenir l’identification de la personne, son adresse électronique, son statut, le montant des revenus bruts perçus au cours de l’année civile ainsi que la nature de ces derniers.

En définitive, les difficultés présentées par l’économie du partage semblent résolubles par une adaptation des normes en vigueur mais celles-ci montrent aussi leurs limites face aux défis mis en exergue par cette nouvelle forme d’économie complexe. Il serait souhaitable d’ouvrir, sous la forme d’un rescrit, la possibilité pour les plateformes en ligne de soumettre à l’administration fiscale le régime qu’elles souhaitent appliquer aux différentes catégories de revenus afin d’en déterminer leurs modalités d’imposition, et il en découlerait ainsi une véritable sécurité juridique.

Gul KARACAM

Master 1 Droit et Ingénierie Financière

Université Jean Moulin Lyon III

[1] L’économie collaborative : un nouveau modèle socio-économique ?, Vie-publique.fr

[2] Fiche pratique – Économie collaborative, economie.gouv.fr

[3] Rapport fait au nom de la Commission des finances, L’économie collaborative : propositions pour une fiscalité simple, juste et efficace, nº 690 (2014-2015), 17 septembre 2015, Sénat.fr

[4] CJUE, 12 mai 2016, aff. C-520/14.

[5] BOI-IR-BASE-10-10-10-10, 30 août 2016, §40 à 130.

[6] Rapport au Premier ministre sur l’économie collaborative, remis par Pascal Terrasse le 8 février 2016 (rapporteurs : Philippe Barbezieux, Camille Herody).

[7] Baromètre de l’engagement durable des citoyens : Zoom sur l’économie collaborative, bva.fr

[8] Article 1731 ter du CGI.

[9] Décret n° 2017-126 du 2 février 2017 relatif à l’obligation d’information en matière fiscale et de prélèvements sociaux des utilisateurs de plates-formes de mise en relation par voie électronique.

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