L’exonération de la taxe d’habitation

La mesure visant l’exonération de la taxe d’habitation en faveur de 80 % des foyers français a été définitivement adoptée le 21 décembre 2017 en lecture définitive par l’Assemblée nationale dans le cadre de la loi n°2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.

La suppression de cette taxe constituait l’une des promesses de campagne de l’actuel président de la République ; et c’est pourquoi cette mesure a été cristallisée dans le Projet de loi de finances (PLF) pour 2018 bien qu’elle ne fasse pas réellement l’unanimité aussi bien auprès des ménages, députés et sénateurs. Il convient aujourd’hui de se pencher sur le dispositif en vigueur (I), sur la réforme instituée par le PLF 2018 (II) ainsi que sur les éventuelles mesures du dispositif (III).

I – Dispositif en vigueur

La taxe d’habitation est établie, d’après les faits existants au 1er janvier de l’année d’imposition, au nom des personnes (aussi bien physiques que morales) qui ont, à quelque titre que ce soit, la disposition ou la jouissance de locaux imposables au 1er janvier de l’année d’imposition (CGI, art. 1408, I et 1415).

L’on entend par locaux imposables ceux affectés à l’habitation et ceux étant vacants depuis plus de deux années consécutives au 1er janvier de l’année d’imposition. Cela, dans la mesure où ils sont situés dans une commune où la taxe sur les logements vacants n’est pas applicable ou si une délibération a été prise en ce sens par la collectivité locale ou l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) compétent (CGI, art. 1407 bis). Sont également concernés les locaux meublés occupés par des sociétés, associations, organismes privés ou publics s’ils le sont à usage d’habitation ou font l’objet d’une occupation privative [1].

Dans l’objectif qu’un maximum de contribuables soient concernés, force est de constater que l’assiette de cette taxe est large.

Par ailleurs, la taxe d’habitation fait l’objet de diverses exonérations et dégrèvements. C’est ainsi qu’avant la réforme, 15,5% des foyers pourtant inclus dans les critères sus-cités en étaient déjà exonérés [2].

En effet certains locaux font l’objet d’exonérations de plein droit :
• ceux passibles de la cotisation foncière des entreprises (CFE) lorsqu’ils ne font pas partie intégrante de l’habitation personnelle des contribuables ;
• les bâtiments servant aux exploitations rurales ;
• les bureaux des fonctionnaires publics ou encore les locaux destinés au logement des élèves et étudiants ; ou bien sur délibération.
De plus, certaines catégories de redevables peuvent aussi en être exonérées comme :
• les établissements publics ;
• le personnel diplomatique ;
• les logements modestes dans les DROM.

D’autres contribuables font l’objet de dégrèvements d’office comme les gestionnaires de logements sociaux ou les contribuables relogés. Tandis que plusieurs autres acteurs bénéficient d’exonérations et dégrèvements en raison de leurs revenus. Ces exonérations sont en principe appliquées de plein droit aux contribuables qui remplissent les conditions.

La taxe d’habitation étant un impôt local, les produits engendrés par cette dernière sont perçus par les communes et leurs EPCI.

II – La réforme de la taxe d’habitation par le PLF 2018

L’article 3 du PLF pour 2018 prévoit, à compter des impositions 2018, un nouveau dégrèvement s’additionnant à ceux déjà existants, permettant ainsi à environ 80 % des foyers d’être exonérés de la taxe d’habitation. Ne sont pas concernés par cette nouvelle mesure les contribuables disposant des revenus les plus élevés.

Le dispositif prévoit une exonération progressive sur trois ans consistant en un abattement de 30 % en 2018 et de 65 % en 2019. L’année 2020 devrait, quant à elle, être synonyme d’exonération totale de la taxe pour 80% des foyers [3].

La raison officielle ayant mené à cette réforme est une taxe considérée comme un « impôt injuste » par l’actuel président de la République. Son montant est calculé en fonction du loyer théorique annuel que le bien était susceptible de produire sur le marché locatif en 1970 [4], induisant que le contribuable paye davantage en fonction du lieu d’habitation que de la valeur de son bien. À partir de cela nous avons pu relever des situations peu justifiées : « C’est ce qui explique que le propriétaire d’un appartement haussmannien vétuste dans les années 70, mais rénové depuis, peut s’acquitter d’une taxe d’habitation inférieure à celle payée par un propriétaire d’HLM construit avec tout le confort moderne il y a 40 ans » [5].

III – Les éventuelles limites du dispositif

La majorité sénatoriale (principalement Les Républicains) a voté contre le projet de réforme, pour sa suppression. Cependant, c’est l’Assemblée nationale qui aura le dernier mot. Cette dernière étant constituée majoritairement de députés En Marche (parti de l’actuel président de la République), il apparaît peu probable que la volonté du Sénat aboutisse.

En réponse, les députés LR ont exprimé leur souhait de saisir le Conseil constitutionnel. Ils estiment en effet que la taxe d’habitation ne respecte pas le principe d’égalité devant l’impôt [6], si elle ne concerne que 20% des foyers français.

Cette réforme ne présage rien de bon pour les collectivités territoriales. Assurément, l’exonération va entrainer une baisse conséquente de leurs ressources [7]. Afin de compenser ce manque à gagner, l’État s’est engagé à rembourser aux communes la perte des recettes fiscales concernant la taxe d’habitation. Cependant cette mesure est prévue uniquement pour l’année 2018 et son prolongement aux années 2019 et 2020, années pourtant concernées de manière croissante par l’exonération de la taxe, est encore incertain.

De surcroît, la crainte des collectivités locales semble justifiée dans le sens où l’État a ostensiblement baissé le montant de leurs dotations [8]. Les collectivités locales y perçoivent une perte d’autonomie. Cette situation laisse aussi à craindre une hausse significative de la part à payer pour les classes moyennes supérieures restant soumises à cette taxe, dans la mesure où l’État prive les collectivités de leur principale ressource.

La raison avancée par le président de la République permettant de justifier cette suppression progressive réside dans le fait que les collectivités locales doivent se responsabiliser et s’autonomiser en renonçant à la culture de la dépense afin de stabiliser leur budget.

In fine, l’on constate que la réforme de la taxe d’habitation divise et que, même si la plupart des français en seront exonérés d’ici à 2020, il ne fait nul l’ombre d’un doute qu’une nouvelle taxe viendra la remplacer sous une forme différente [9].

Benoît Etronnier
M2 Droit Fiscal
Université Paris-Est Créteil

[1] A noter que les locaux meublés et organismes de l’Etat, départements et communes, ne présentant pas un caractère industriel et commercial sont également imposables à la taxe dans la mesure où ils ne sont pas soumis à la CFE et accessibles au public (CGI, art. 1407, I, 3°).

[2] Note d’analyse de l’OFCE. Ceci représentant 6 millions de contribuables.

[3] Pour bénéficier de cette exonération, le revenu fiscal de référence à ne pas dépasser pour un célibataire est de 27 000 euros et de 43 000 euros pour un couple. Le plafond étant porté à 49 000 euros de RFR pour un couple avec enfant. Le coût budgétaire annuel se plaçant à 3 milliards d’euros.

[4] Une seule réactualisation a eu lieu et c’était en 1980.

[5] http://www.lepoint.fr/economie/taxe-d-habitation-baisse-des-depenses-des-collectivites-le-vrai-du-faux-28-11-2017-2175576_28.php Marc Vignaud.

[6] Le principe d’égalité devant l’impôt comporte deux branches : l’égalité devant la loi fiscale (article 6 DDHC) et le principe d’égalité devant les charges publiques (article 13 de la même déclaration).
Le principe d’égalité devant la loi fiscale n’empêche pas le législateur de régler de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général à la condition que la différence de traitement soit en rapport direct avec l’objet de la loi qu’il établit.
Le principe d’égalité devant les charges publiques ne fait pas non plus obstacle à ce que des situations différentes fassent l’objet de traitements différents. Cependant, l’impôt ne doit pas revêtir un caractère confiscatoire ou faire peser sur les contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives.

[7] http://www.lavoixdunord.fr/276055/article/2017-12-07/la-reforme-de-la-taxe-d-habitation-represente-une-perte-de-28meu-pour-la-ville. A titre d’exemple, la ville de Lille va perdre, à la suite de la disparition progressive de la taxe d’habitation, pas moins de 28 millions d’euros.

[8] 40 à 33 milliards d’euros entre 2014 et 2016.

[9] À titre d’exemple, l’on peut citer la retenue à la source concernant les revenus distribués par des sociétés françaises aux organismes de placement collectif en valeur mobilières (OPCVM) non-résidents de France jugée contraire au droit de l’Union européenne (Santander Asset Management SGIIC du 10 mai 2012, CJUE). Dans, la foulée, la loi n°2012-958 du 16 août 2012 de finance rectificative pour 2012 a créé une contribution de 3% additionnelle à l’impôt sur les sociétés sur les montants distribués, codifiée à l’article 235 ter ZCA du Code général des impôts (CGI). Elle avait comme objectif de pallier la disparition de la précédente disposition. Cependant, cette mesure a été jugée inconstitutionnelle le 6 octobre 2017 (C.cons n°2017-660).

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