Le pacte Dutreil : Un outil pertinent pour la transmission du patrimoine professionnel

Le droit fiscal réserve parfois bien des surprises au chef d’entreprise peu prévoyant désireux de transmettre son patrimoine professionnel. En effet, les taxes sont parfois un frein à la transmission d’une structure que le chef d’entreprise a, toute sa vie durant, été amené à construire. Le droit fiscal étant souvent le premier adversaire du chef d’entreprise négligent, il convient d’accompagner les entrepreneurs désireux de procéder à une transmission à titre gratuit en les informant de l’existence du dispositif Dutreil.

Le pacte Dutreil doit son nom à Renaud Dutreil, ministre des PME, du Commerce, de l’Artisanat et des professions libérales de 2005 à 2007. L’idée du ministre était d’alléger le coût de la transmission et d’inciter à transmettre sa structure. Véritable « poumon de l’économie »[1], l’entreprise représente souvent l’élément majeur du patrimoine de son dirigeant. C’est précisément en connaissance de ces enjeux que l’ancien ministre de l’Aisne a souhaité (avec l’appui de Maître Bernard Monassier et Yvon Gattaz) « mettre un coup d’arrêt à cette étreinte destructrice »[2] afin d’éviter le maintien d’une fiscalité confiscatoire et empêcher les délocalisations. Même s’il n’est pas l’unique outil de transmission (on ne saurait oublier le LBO et le FBO)[3] le dispositif vise une large gamme d’entreprises (I) et permet de bénéficier d’avantages fiscaux significatifs (II) sous réserve du respect de conditions qu’il ne faut pas négliger sous peine de perdre le bénéfice de ces avantages (III).

I. Le large champ d’application du dispositif Dutreil

Première observation relative au pacte Dutreil: son champ d’application est particulièrement large. En effet, c’est à l’article 787 bis du CGI que l’on retrouve les entreprises « Dutreillables » concernées par le dispositif. Sont visées « les parts ou les actions d’une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale transmises par décès ou entre vifs ». Une pluralité d’entreprises[4] se trouvent donc concernées par le pacte.

Une autre question a longtemps laissé place à une interrogation: l’application du pacte au loueur en meublé professionnel.

Avant 2015, une divergence d’opinion s’exprimait en doctrine.

Selon certains auteurs (notamment le Professeur Frédéric Douet), « l’activité de loueur en meublé professionnel, sans fourniture de prestations de services ou avec fourniture de prestations de services accessoires » ne pouvait pas entrer dans le champ d’application d’un pacte Dutreil[5].

A contrario certains éminents praticiens (Maître Pierre Cenac, Valéry Barbaglia et Maître Emmanuel Laporte) estimaient que le régime Dutreil pouvait s’appliquer à la location meublée professionnelle même si le respect des conditions par le donataire était rare en pratique[6]

Fin 2015, l’administration a semble-t-il mis fin au débat en précisant qu’est éligible au dispositif Dutreil, l’activité de loueur en meublé à usage d’habitation exercée à titre habituel (LMP)[7]. Toutefois, rien n’est encore définitivement gagné puisque cette position n’a pas encore été reprise au BOFIP.

La transmission de forêts (par donation ou succession) peut aussi être sujette à l’application du pacte Dutreil. Dans une telle situation, un cumul de deux exonérations trouve à s’appliquer (dispositif Dutreil et Régime Sérot) ce qui permet une réduction de l’assiette taxable de plus de 93%. Pour cette raison, de nombreux notaires soulignent l’intérêt d’un tel cumul[8]. Un eldorado se niche donc au carrefour du droit fiscal et du droit forestier

Enfin, précisons qu’une des particularités du pacte Dutreil est de s’appliquer sans condition de filiation: le dispositif concerne donc la transmission d’une entreprise à un descendant, à un collatéral ou bien encore à un tiers non-parent[9].

 

II. Les avantages fiscaux d’un dispositif permettant de lever les freins en matière de transmission

Le pacte Dutreil permet de bénéficier d’une réduction de l’assiette taxable (soumise aux droits de mutation à titre gratuit) de 75% si trois conditions (ci-après évoqués) sont respectées. Le chef d’entreprise prévoyant réalise donc une économie de droit de mutation à titre gratuit qu’il ne faut pas négliger. Pour bien comprendre les avantages du pacte il convient de prendre une illustration chiffrée[10].

Monsieur A détient avec Monsieur B et Monsieur C une société commercialisant du vin en Bourgogne (évaluée à 3 000 000 euros). A 71 ans, il souhaite prendre sa retraite et transmettre la pleine propriété de ses parts (correspondant à 60% de la société) à ses deux enfants désireux de reprendre l’exploitation.

-SI Monsieur A ne prend aucune disposition, le coût de la transmission sera particulièrement onéreux pour ses deux enfants lesquels « subiront » les droits de mutation à leur niveau maximum. Ainsi, ne bénéficiant pas de l’abattement de 75 %, chacun des enfants devra s’acquitter de:

900 000 – 100 000 x 0.3 – 57 038 = 182 962 / enfant. Aussi, il convient de proposer un dispositif à Monsieur A, pour lui permettre d’optimiser la transmission.

-Si Monsieur A satisfait aux exigences du pacte, une réduction de 75 % de l’assiette taxable trouvera à s’appliquer. Les droits dus par chaque enfant seront de :

(900 000 x 0.25) – 100 000= 125 000 soumis aux droits de mutation soit une somme due de 23 194 euros[11]. L’économie réalisée représente donc 159 768 euros par enfant!

-Si la seconde situation est la plus avantageuse, elle l’aurait été encore plus si Monsieur A s’était décidé à transmettre ses parts (toujours en pleine propriété) avant son 70ème anniversaire. En effet, dans une telle hypothèse, un abattement de 50% des droits s’ajoute à l’avantage déjà évoqué ci-dessus. Le montant dû s’élève alors à 11 597 euros par enfant. Une cerise sur le gâteau…. Une cerise évaluée (au total) à 23 194 euros.

Les différentes situations prouvent que la fiscalité peut revêtir un double visage : l’allié du chef d’entreprise prévoyant mais l’adversaire du patron négligeant….

L’intérêt du dispositif Dutreil semble être encore plus important depuis la réforme de la fiscalité à titre gratuit (en vigueur depuis le 17 août 2012), puisque le rappel fiscal a été ramené à 10 ans au lieu de 15 précédemment[12] et le montant de l’abattement en matière de droit de mutation à titre gratuit est passé, pour les enfants (vivants ou représentés), de 159 325 euros à 100 000 euros.

 

III. Les conditions à remplir pour bénéficier des avantages

Pour bénéficier des avantages fiscaux prévus par l’article 787 B du CGI, il convient de remplir trois conditions:

a) La prise d’un engagement collectif de conservation

La personne souhaitant transmettre son entreprise doit prendre, avec au moins un autre associé (personne physique ou morale) un engagement collectif de conservation d’une durée minimale de deux ans[13]. Le point de départ de l’engagement est le jour de l’enregistrement de l’acte (si acte sous signature privée) ou la date de l’acte authentique si l’engagement collectif est pris par acte notarié. Cette durée de deux ans est incompressible, de sorte que l’engagement collectif doit arriver à son terme même si la transmission est réalisée avant l’expiration des deux ans. Il est également important de préciser que cet engagement collectif de conservation doit porter sur au moins 20% des droits financiers et des droits de vote si l’actif transmis est une société coté et sur au moins 34% des mêmes droits si la société n’est pas cotée (la seconde situation étant la plus fréquente).

A la suite de cet engagement collectif, succède un engagement individuel de conservation.

b) L’engagement individuel de conservation

Le jour de la transmission, chaque héritier, donataire ou légataire, doit prendre un engagement individuel de conservation d’une durée de quatre ans. Le point de départ de l’engagement individuel est la date de fin de l’engagement collectif.

Outre le délai et les parties prenantes, une différence entre engagement collectif et engagement individuel existe aussi sur le terrain de la sanction: Si la violation de l’engagement collectif par l’un des signataires entraine remise en cause du pacte pour tous les héritiers, le non-respect de l’engagement individuel ne « sanctionne » que le fautif.

Dans le premier cas, tous les signataires devront, par principe, payer un complément de droits et des intérêts de retard alors que dans le second, le seul fautif (manquant à son engagement individuel) y sera tenu.

c) L’exercice d’une fonction de direction

En plus des deux engagements préalablement évoqués, une fonction de direction doit être exercée par l’un des associés ayant signé l’engagement collectif ou l’un des signataires de l’engagement individuel. C’est l’article 850 O bis du CGI qui détermine les fonctions visées. L’exercice de cette fonction doit être réalisé pendant la durée de l’engagement collectif et pendant trois ans à compter de la transmission. En cas de non-respect, la sanction pèsera sur tous les héritiers ou donataires qui devront s’acquitter d’un complément de droits (et des intérêts de retard[14]).

 

Pour conclure, il convient d’évoquer deux dispositifs permettant de secourir les héritiers d’un chef d’entreprise n’ayant pas prévu le recours au pacte : il s’agit du «  Dutreil réputé acquis » et du « Dutreil post-mortem ». Ces deux éléments constituent des mécanismes de rattrapage efficaces lorsque les dispositions n’ont pas étés prévues en temps voulu. L’engagement collectif de conservation nécessaire pour bénéficier des avantages fiscaux est « réputé acquis » lorsque les conditions d’un tel engagement étaient déjà respectées (détention des titres requis avec son conjoint ou partenaire de pacs depuis au moins deux ans[15] et exercice d’une fonction de direction). Les héritiers (donataires ou légataires) devront prendre un engagement individuel de quatre ans (le point de départ de cet engagement sera le jour ou l’engagement collectif arrive à son terme). Il est aussi possible de conclure un engagement « Dutreil post-mortem » : les héritiers prendront (éventuellement avec d’autres associés) un engagement collectif de conservation 6 mois après le décès.

Si le dispositif Dutreil ne constitue pas le seul outil pour optimiser la transmission de son patrimoine, il ne doit pas être négligé par le chef d’entreprise désireux de passer la main. La prévoyance est une qualité dans la vie courante, en fiscalité cela peut en plus, rapporter gros. La magie fiscale du Dutreil ne s’arrête pas là puisque le pacte Dutreil présente aussi un avantage en matière d’ISF. En effet, les parts ou actions de sociétés faisant l’objet d’un engagement de conservation de six ans bénéficient d’une exonération de 75%[16].

Si le dispositif Dutreil-Transmission doit être connu par les dirigeants et constitue une véritable éclaircie dans le ciel de la fiscalité française, il n’est pas possible de passer outre des considérations psychologiques, familiales et la volonté d’un patron.

Le schéma de 787 B doit donc être la cerise mais ne doit, en aucun cas entraîner une transmission qui serait contre-nature. Il doit donc s’inscrire dans une démarche globale et mûrement réfléchie.

Conseiller des familles et expert en droit du patrimoine, il appartient au notaire de jauger ces aspects pour aiguiller au mieux les dirigeants des pivots de l’économie française…

 

 Pierre-Alexandre Courtois

M2 Droit Notarial (Paris-Dauphine)

M2 Gestion de Patrimoine (Lyon 3)

M2 Droit civil et D.U de droit fiscal approfondi (Clermont)

 

 

[1] P. JULIEN SAINT-AMAND, Engagement Dutreil-Transmission, JCl. Ingénierie du patrimoine, Fasc. 2350, 2009.

[2] Entretien accordé par R.DUTREIL au magazine décideur le 1er décembre 2015.

[3] H.PICHARD, B.PICHARD, Le Family Buy Out : une technique innovante, JCP E n°16, 1534, avril 2008.

[4] Exploitées sous la forme d’entreprises individuelles ou de sociétés.

[5] F.DOUET, Imbroglio fiscal autour de la notion de location meublée, JCP N n°5, Avril 2015.

[6] P.CENAC, V.BARBAGLIA-RESAL, E.LAPORTE, La location meublée, LexisNexis, 2012.

[7] Note annexée aux avis CADF 2015-07 à 09 du 6 novembre 2015.

[8] S.PEZARD, Cumul des dispositifs de faveur : La forêt est-elle une oasis fiscale ?, JCP n°4, 1047, Janvier 2016.

[9] L’intérêt du pacte est ici particulièrement grand puisque le barème des droits de mutation entre parents au-delà du 4e degré ou entre non-parents retient un taux de 60%.

[10] On supposera dans l’exemple que l’abattement de 100 000 euros prévu par l’article 779 I du CGI est intégralement disponible au jour de la donation.

[11] 125 000 x 0,2 – 1806.

[12] Il avait déjà été rallongé en juillet 2011, passant de 6 à 10 ans.

[13] Selon Géraud BOUDOU (Ingénieur patrimonial banque privée au groupe Crédit du Nord et ancien avocat), « en cas de démembrement de propriété: l’usufruitier et le nu-propriétaire peuvent s’engager concomitamment. Lors de la réunion de l’usufruit et de la nue-propriété, l’antériorité de l’engagement collectif sera conservé ».

[14] CGI, Art. 1727.

[15] Dans les proportions précédemment évoquées (20% pour les sociétés cotées et 34% pour les sociétés non cotées)

[16] Voir sur ce point : F.DOUET, Précis de droit fiscal de la Famille, LexisNexis, 14e édition, 2015, n°1906, p.571.

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