Rencontre avec Adrien Soumagne, 1er prix du prix Juridique et Fiscal Allen & Overy / HEC

Adrien Soumagne intègre en 2010 la préparation au concours d’entrée à HEC à Versailles. Après les deux années de préparation, il rejoint la prestigieuse école de commerce et choisit d’effectuer en parallèle une licence de droit. Après avoir obtenu un double diplôme de l’Université Paris I et d’HEC, il est aujourd’hui élève-avocat à l’école de formation du barreau de Paris.

Alors que la rédaction d’un mémoire est une épreuve indispensable afin de valider son cursus à HEC Paris, Adrien décide de rédiger son mémoire sur un sujet d’actualité : le principe ne bis in idem. Ne souhaitant pas simplement « faire une synthèse de document », il choisit un sujet qui est en mouvement et pour lequel il pouvait ajouter, à sa hauteur, une plus-value. Fort de son expérience au sein du cabinet d’avocats Bredin Prat, où de nombreux contentieux portaient sur ce sujet, son mémoire est sélectionné parmi les 10 meilleurs pour être soumis au jury de la 13ème édition du prix Juridique et Fiscal Allen & Overy / HEC.

Créé par Allen & Overy et HEC Paris en 2004, à la suite de l’adhésion d’Allen & Overy à la Fondation HEC, ce prix a pour vocation de favoriser le rapprochement entre les mondes de l’entreprise, du droit des affaires ainsi que le corps professoral et les élèves d’HEC Paris. Le Prix récompense les trois meilleurs mémoires de recherche des étudiants d’HEC. Avec son sujet « A l’aune du renouveau du principe ne bis in idem, quel champ d’application pour celui-ci en droit fiscal français ? », Adrien Soumagne décroche le 1er prix et remporte 5 000 euros ainsi qu’un stage dans l’un des départements du bureau parisien d’Allen & Overy.

Fière et humble, Adrien avoue que les juristes à HEC sont vus comme « les mecs bizarres qui restent en France et ne vont pas monter leur boîte à Shanghai ». Si pour lui le commerce n’est pas « fun », il ne rêve que d’une chose, devenir avocat spécialisé en fiscalité.

Propos recueillis par Pierre Allemand & Clémentine Anno
@pierre_ald & @clementine_anno

Résumé du mémoire d’Adrien Soumagne : « A l’aune du renouveau du principe ne bis in idem, quel champ d’application pour celui-ci en droit fiscal français ? »

NB : Mémoire rédigé avant les décisions QPC n°2016-545/546 du 24 juin 2016

Le principe ne bis in idem est une règle aux origines anciennes interdisant le cumul de poursuites ou de sanctions à l’encontre d’un même sujet juridique pour des faits identiques, quand bien même ceux-ci seraient différemment qualifiés. Dans le cadre de contentieux en cours, la question de l’applicabilité de cette règle à la matière fiscale refait surface, alors que le sujet semblait avoir été définitivement clos : le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation et le Conseil d’Etat avaient chacun validé un cumul de poursuites et/ou de sanctions en matière fiscale, quand bien même celles-ci seraient de natures différentes (sanction pénale avec le délit de fraude fiscale et sanction administrative consistant en la majoration des droits éludés). Néanmoins, sous l’impulsion de la Cour européenne des droits de l’Homme, avec notamment son arrêt Grande Stevens de 2014, et du Conseil constitutionnel, des critères relativement précis permettant de déterminer le champ du ne bis in idem ont été formulés en matière de droit boursier. Ces critères sont généraux et ont vocation à s’appliquer quel que soit la matière juridique en cause pour peu que coexistent des sanctions pénales et administratives. L’objet de ce sujet est donc de déterminer le champ dudit principe en droit fiscal français.

Préalablement à cette analyse, il convient de rappeler que le principe ne bis in idem comporte en réalité trois aspects : l’interdiction pour un même fait du cumul de poursuites, l’interdiction du cumul de qualifications et, enfin, l’interdiction du cumul de sanctions. Si cette règle est globalement respectée en matière pénale, en partie d’ailleurs parce que la loi y fait implicitement référence que ce soit par la notion d’autorité de la chose jugée comme cause d’extinction de l’action publique (article 6 du Code de procédure pénale) ou par l’interdiction de la requalification des faits pour accuser de nouveau une personne acquittée (article 368 du Code de procédure pénale), sa fortune est plus aléatoire lorsque les poursuites ou les sanctions sont de natures différentes. En effet, le Conseil constitutionnel s’est toujours refusé à reconnaître une valeur particulière au principe ne bis in idem en présence d’un tel cumul alors même que cette règle découle du principe de nécessité des délits et des peines protégé par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen. Au mieux, le Conseil a considéré qu’en présence d’un tel cumul, les sanctions prononcées ne pouvaient excéder la sanction maximale au titre d’une seule des poursuites. La règle ne bis in idem se retrouve aussi dans des sources supranationales comme l’article 4 du Protocole Additionnel n°7 à la Convention européenne des Droits de l’Homme ou à l’article 50 de la CDFUE. Ce principe est diversement interprété par les juridictions supranationales, que celles-ci soient établies à Luxembourg ou à Strasbourg. Néanmoins, c’est sous l’impulsion de la Cour européenne des Droits de l’Homme dans les arrêts Zolothoukine de 2009 et Grande Stevens de 2014 qu’une définition large du ne bis in idem a été donnée, à savoir que ce principe devait être compris comme interdisant de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde « infraction » pour autant que celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité sur la compatibilité au principe de nécessité des délits et des peines du cumul de poursuites et de sanctions pénales et administratives en matière de délits d’initiés, le Conseil constitutionnel a identifié quatre critères permettant d’affirmer qu’une situation de ne bis in idem est constatée : (i) les sanctions doivent être de nature équivalente, (ii) les dispositions en cause doivent réprimer des mêmes faits qualifiés de manière identique, (iii) les poursuites et les sanctions prononcées doivent ressortir du même ordre de juridiction et (iv) les poursuites et les sanctions doivent protéger les mêmes intérêts sociaux. Il s’agit donc d’appliquer ces critères au droit fiscal.

La sanction en matière fiscale prend différents aspects : elle est parfois pénale, avec notamment le délit de fraude fiscale, l’escroquerie ou l’obstacle à contrôle fiscal ; mais est plus souvent administrative et consiste soit en une amende à taux fixe, soit en une majoration proportionnelle des droits éludés. Or, quand un contribuable commet un délit de fraude fiscale, il minore nécessairement l’assiette de son impôt, si bien qu’il s’expose également à des sanctions administratives. Or, le juge de l’impôt, qu’il soit judiciaire ou administratif, n’a jamais voulu sanctionner un tel cumul au motif, entre autres, du principe d’indépendance des procédures pénales et fiscales ; et cela malgré la « pénalisation » du droit fiscal sous l’impulsion de la Cour européenne des droits de l’Homme aboutissant à la reconnaissance de plusieurs garanties au profit du contribuable en matière de sanctions fiscales (rétroactivité in mitius, principe du contradictoire, de l’appel effectif, etc.). En prenant en compte les critères dégagés par le Conseil constitutionnel en matière boursière, on aboutit à considérer, pour plusieurs raisons, que le champ du ne bis in idem en fiscalité concerne aujourd’hui le cumul de la fraude fiscale et des sanctions administratives s’agissant des impôts qui ressortent de la compétence du juge judiciaire (ISF, droits d’enregistrement, contributions indirectes) et pour des sanctions d’un certain montant qui peuvent, au sens de la jurisprudence constitutionnelle, être comparable avec les peines de prison prononcées par le juge répressif. Or, le fait de faire application du principe ne bis in idem pour ces seuls impôts, et seulement pour un certain montant de sanctions, aboutit nécessairement à une rupture d’égalité devant les charges publiques qui ne parait pas justifiée ni par une raison d’intérêt général ni par une différence de situation. En effet, la matière fiscale est spécifique et deux ordres de juridictions coexistent dans le contentieux de l’assiette de l’imposition. A cette possible inconstitutionnalité du champ actuel du ne bis in idem s’ajoutent également plusieurs problèmes d’inconventionnalité tant au regard de la Convention européenne des Droits de l’Homme que du droit de l’Union européenne. En effet, la France a formulé une réserve d’interprétation portant sur le ne bis in idem à l’article 4 du Protocole Additionnel n°7 limitant le champ de celui-ci à la seule matière pénale. Or, à suivre l’arrêt Grande Stevens, une telle réserve devrait être écartée.

Dès lors, une situation paradoxale se pose puisque, au sens du Conseil constitutionnel, reconnaître le principe ne bis in idem en droit fiscal, sans prendre en compte les spécificités de la matière, aboutirait à soulever de nouveaux problèmes juridiques. La réponse aux questions prioritaires de constitutionnalité (Wildenstein et Cahuzac) pendantes devant le Conseil est donc très attendue. Une solution réside sûrement dans la refonte du droit des sanctions fiscales.

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