Une intervention en Syrie à des fins humanitaires est-elle licite ?

Le mardi 4 avril 2018, les autorités syriennes ont franchi « la ligne rouge » après avoir fait usage de l’arme chimique sur la population du village de Khan Cheikhon, faisant des dizaines de victimes civiles.

Les armes chimiques, telles que des barils de chlore, sont utilisées par le régime mais les Etats qui assistent à ces massacres ne sont pas systématiquement intervenus militairement, à l’instar des Etats-unis en août 2013. A l’inverse, suite à l’attaque du 4 avril, les Etats Unis et leurs alliés français et britanniques ont décidé de bombarder collectivement, dans la nuit du vendredi 13 avril au samedi 14 avril, des sites militaires, et centres de recherche, soupçonnés d’héberger les programmes chimiques du régime syrien, à Damas et près de Homs.

Il est primordial lors d’une intervention militaire que les Etats impliqués respectent le droit international, notamment le recours à la force armée, afin de rendre leur action licite.

I. Les normes relatives au recours à la force armée face à l’usage de l’arme chimique en droit international.

Les frappes aériennes ont eu lieu en raison des préoccupations internationales face à l’usage des armes chimiques. Ces armes, depuis la première guerre mondiale, ont fait plus d’un million de morts dans le monde et sont réprimées par le droit international humanitaire dans deux conventions. En effet, la Convention sur les armes biologiques de 1972 et la Convention sur les armes chimiques (CIAC) de 1993 ont pour but de limiter, et à plus long terme d’éliminer, l’utilisation et l’acquisition d’armes chimiques et biologiques.

En 2013 le Conseil de Sécurité des Nations Unies (CSNU) a adopté la résolution 2118 qui qualifie la prolifération des armes chimiques en Syrie comme « une menace contre la paix et la sécurité internationale ». Le recours à la force à l’égard d’un Etat, faisant usage de ces armes, doit, tout de même, se faire dans le respect du droit international car la seule violation des conventions, notamment de la CIAC, ne peut suffire à justifier la méconnaissance des règles internationales.

Le principe en droit international est le non-recours individuel à la force prévu à l’article 2§4 de la Charte des Nations Unies. La conséquence de cette interdiction est d’autoriser les seules interventions licites, c’est-à-dire lorsque les Etats s’appuient sur l’un des trois motifs prévus par le droit international et la Charte des Nations Unies, à savoir : une autorisation délivrée par le Conseil de sécurité agissant dans le cadre du chapitre VII (articles 37, 41 et 42 de la Charte), la légitime défense (conformément à l’article 51 de la Charte) et l’assistance consentie par l’Etat territorial selon la coutume internationale[1]. Les frappes aériennes, à l’encontre du régime syrien, n’interviennent dans aucun des ces trois cas de figure prévus par le droit international. La licéité des frappes est ainsi sérieusement mise en doute. En effet, la résolution 2118 prévoyait que des sanctions seraient à adopter en cas de non-respect par Damas de ses engagements; toutefois, une deuxième résolution « sous le chapitre VII de la Charte » était nécessaire pour intervenir.

Pour les trois Etats, leur intervention est pleinement conforme au droit international. Le Président de la Commission de la Défense de l’Assemblée Nationale française, Jean-Jacques Bridey, affirmait que «aujourd’hui on est peut-être hors cadre de ces résolutions, mais on est dans le cadre de la légalité internationale. Ce dictateur massacre son peuple et il le fait d’une manière intentionnée». Le massacre qui est ainsi décrié et qui justifierait une intervention des Etats tiers rappelle les principes tels que la responsabilité de protéger (R2P), mais aussi l’intervention humanitaire.

II. L’inefficacité de l’emploi des doctrines sur l’intervention humanitaire et la responsabilité de protéger. 

Il existe des comportements extrêmes, tels que les massacres de masse, ou  les crimes contre l’humanité, qui appellent une réaction des Etats. Au fil des décennies, diverses doctrines sont apparues essayant chacune d’apporter des solutions, l’idée consiste à utiliser la violence, “justifiée par des fins humanitaires”, afin de faire respecter les droits. Des situations telles que le génocide rwandais en 1994 ont beaucoup influencé l’émergence de certaines doctrines. A cet égard, la Commission indépendante d’enquête sur le génocide rwandais de 1999 affirmait que les Etats assument la responsabilité d’agir face à la reconnaissance d’une situation de génocide. Ce rapport rendu par la Commission a influencé la Commission Internationale de l’Intervention et de la Souveraineté des États (CIISE), qui a permis de développer le concept de R2P. L’enjeu est de savoir comment les Etats peuvent réagir face à ces actes.

La première hypothèse serait d’utiliser le droit d’ingérence, ou d’intervention humanitaire (“humanitarian intervention”). Ces doctrines reconnaissent aux Etats un droit d’intervenir militairement sans le consentement de l’Etat cible, ni autorisation préalable du Conseil de Sécurité. Le droit d’ingérence a été popularisé en 1980 en France et est un terme propre à la doctrine française, si bien qu’il n’a pas de reconnaissance internationale. En revanche, le terme intervention humanitaire est utilisé à la fois en France et dans les pays anglo-saxon depuis les années 1990. Toutefois, elle reste une justification assez ambiguë. Il n’existe aucune précision autour de ce concept, on ignore exactement ce qu’il faut entendre par “humanitaire”. Pour Simon Caney “une intervention peut être définie comme humanitaire si l’un de ses principaux objectifs est de protéger le bien-être des membres d’un autre État”[2]. User de termes aussi vagues permet de qualifier n’importe quelle intervention d’humanitaire. Le manque de précision est l’ennemi du droit, il nuit à la crédibilité des doctrines et augmente les risques d’abus. L’exemple de l’intervention de l’OTAN au Kosovo en 1999 est à retenir. Cette intervention a suscité des débats très intenses, car engagée sans l’autorisation du CSNU, sa justification légale reste délicate.

Les termes “droit d’ingérence” et “intervention humanitaire” n’ont pas été repris dans les rapports du CIISE car ils reposent sur une opposition beaucoup trop forte entre intervention et souveraineté. Ces principes ont tenté d’introduire une quatrième exception en matière de recours à la force ; or, admettre ces intervention contrarie les fondements même de la notion d’Etat souverain et l’inviolabilité de leur territoire. Le respect du droit étatique demeure, dans l’état du droit actuel, si important qu’il ne cède pas devant la protection des personnes civiles. A vrai dire, aucune pratique internationale ne vient consolider une coutume d’intervention humanitaire. Cette coutume n’existe pas, l’intervention humanitaire n’est pas licite.

La seconde possibilité pour les Etats est la R2P, le dernier avatar terminologique de l’action pour cause humanitaire. C’est une doctrine plus précise qui a été invoquée dans le conflit syrien, par le Secrétaire général des Nations Unies ; le Haut-commissaire aux Droits de l’homme. Le concept apparaît pour la première fois en 2001, dans une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies, et sera par la suite dans des résolutions du CSNU. En 2011, le CSNU prend la résolution 1973 dans le cadre du conflit libyen autorisant ainsi les Etats « à prendre toutes mesures nécessaires », « pour protéger les populations et zones civiles menacées d’attaque en Jamahiriya arabe libyenne ». A travers cette doctrine, les Etats s’engagent à protéger les populations des atrocités de masse : génocides, crimes contre l’humanité, nettoyages ethniques et crimes de guerre. La logique de la responsabilité est une dialectique entre la responsabilité principale de l’Etat territorial et une responsabilité subsidiaire de la communauté internationale qui n’intervient qu’en cas de défaillance de l’Etat à protéger sa propre population. Par conséquent, le recours à la force dans la R2P est souvent envisagé en dernier recours.

Malgré les tentations, la R2P n’est pas un quatrième motif puisqu’une autorisation du Conseil de Sécurité n’est requise. L’idée n’est pas de s’affranchir du droit pour faire en sorte qu’il soit respecté, elle n’est pas « le nouveau nom du droit d’ingérence » [3].

Les Etats ayant des intérêts dans le conflit syrien n’ont pas bénéficié d’une résolution autorisant « tous les moyens nécessaires » pour protéger la population syrienne. Certes, la résolution 2118 considère que l’usage répété et délibéré de l’arme chimique justifierait l’adoption de « mesures en vertu du Chapitre VII », le CSNU peine, cependant, à adopter une résolution dans ce sens. La tentative d’adopter une résolution en 2011, soulignant la responsabilité qui incombe au premier chef au gouvernement syrien de protéger sa population, a échoué en raison du veto russe, démontrant ainsi que la R2P est impuissante face au conflit syrien car elle se heurtera toujours à la volonté politique des États, dont toute action dépend.

Etant donné le véto russe à l’adoption d’une résolution, quelques Etats tentent d’inclure dans la R2P une obligation pour les membres permanents de ne pas opposer leur véto à l’adoption d’une résolution qui tendrait à prévenir ou mettre fin à des atrocités de masse. La France est le seul membre permanent à défendre cette position, soutenue par une dizaine d’Etats, pour le reste elle n’est qu’une volonté politique, pas encore consacrée par le droit international.

Ainsi, user de son droit d’ingérence, ou d’intervention, est un erreur à ne pas commettre car il s’agit d’une immixtion sans titre, c’est-à-dire une intervention illicite, et la R2P, lorsqu’elle implique une intervention armée en dernier recours, requiert l’autorisation du Conseil de Sécurité. Des lors, malgré les justifications morales ou politiques de ces frappes, les Etats intervenants agissent en tout illicéité.

Pur en savoir + : Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, La responsabilité de protéger, PUF, 2015.

Eléonore ARRIAL

Master 2 Droit international public

[1] Le Conseil de sécurité dans sa résolution 387 , du 31 mars 1976, rappelle : “le droit naturel et légitime de chaque Etat, dans l’exercice de sa souveraineté, de demander l’assistance de tout autre Etat ou groupe d’Etats.”

[2] « Humanitarian Intervention and State Sovereignty », dans Andrew Valls (ed.), Ethics in International Affairs : Theories and Cases, Lanham, Rowman & Littlefield Publishers, 2000, p. 119.

[3] Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, La responsabilité de protéger, PUF 2015, p.26

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.