L’entrée en vigueur de l’Accord de l’OMC sur la Facilitation des Echanges (AFE) et le défi de compétitivité du secteur des transports de marchandises dans les Etats de la CEMAC

Résumé : Pour une première fois dans l’histoire de l’OMC, l’implémentation d’un accord par un pays repose sur sa capacité à le faire. Il s’agit d’une opportunité inouïe pour les Etats de la CEMAC de prendre une part active aux échanges internationaux et de développer leur secteur des transports ainsi que leur tissu économique. Si cette ambition est légitime, il reste que le problème de la facilitation du secteur des transports dans la sous-région est d’ordre logistique, matériel, opérationnel et institutionnel interne aux Etats ainsi qu’à la sous-région. Des efforts doivent être davantage consentis pour tirer le meilleur parti de la plus-value qu’engendrera l’accord. Celui-ci ne saurait être une panacée-miracle tant que les politiques nationales ou sous-régionales ne sont pas cohérentes et la mise en œuvre, commune. Cette cohésion et cette coopération institutionnelles déjà plus ou moins perceptibles, doivent se poursuivre au niveau des différents acteurs opérationnels qui interviennent le long de la chaîne de transport. Le respect de ces conditionnalités constitue le ciment de la réussite du défi de facilitation espérée pour le secteur des transports et des échanges dans la sous-région.

 

Abstract : For the first time in the history of the WTO, the implementation of an agreement by a country is based on its ability to do so. It is an unprecedented opportunity for the Central African States to take an active part in international trade and to develop their transport sector and their economic fabric. While this ambition is legitimate, the problem of facilitating the transport sector in the sub-region is of a logistical, material, operational and institutional nature within the States and the sub-region. Efforts must be made to make the most of the added value that the agreement will generate. This can’t be a panacea-miracle as long as national or sub-regional policies are not coherent and implementation is common. This institutional cohesion and cooperation, already more or less perceptible, must continue at the level of the various operational actors involved along the transport chain. Respect for these conditions is the cement of the success of the expected facilitation challenge for the transport and trade sector in the sub-region.

 

Introduction

 

Depuis le 22 février 2017, une nouvelle étape a été franchie à la suite de l’entrée en vigueur de l’Accord sur la facilitation des échanges (AFE), conclu le 07 décembre 2013 à Bali (Indonésie), lors de la 9ème Conférence Ministérielle de l’OMC.

En effet, l’adoption de cet instrument s’inscrit dans un contexte commercial international capitalistique aux intérêts « plurilatéralisés »[1], qui ont été à l’origine des nombreuses tribulations observées au cours des différents cycles de négociations depuis le GATT jusqu’au cycle de Doha à l’aune de l’OMC. Dans un contexte où l’enjeu d’amélioration du ratio coût-délai est à l’origine de nombreuses innovations quotidiennes observées dans le secteur des échanges, des transports et de la logistique internationale, ces dissensions ont porté un réel coup aux objectifs de développement, d’efficacité et de modernisation des relations commerciales internationales. Une chose est certaine : le système commercial international actuel est marqué par l’inefficience des procédures et de la logistique internationale. Cette morosité économique est source de nombreux coûts indus et de rallongement des délais de livraison de la marchandise. A cela s’ajoute une imprévisibilité et un imbroglio juridiques réels[2].

 A titre d’exemple, le monde a enregistré une production atone ou régressive, mais positive de 2,8 % en 2011, 2,3% en 2012,  2,3% en 2013 et  2,7% en 2014[3]. Il en va de même du trafic maritime, qui a progressé de 4% en 2011[4] ou de 4,1 % en 2014 par rapport au 1er janvier 2013. Toutefois, les entreprises ont essuyé aux frontières des coûts directs liés notamment aux frais de transmission d’informations et de documents aux autorités compétentes ainsi que des coûts indirects, comme ceux liés aux lenteurs bureaucratiques, à la perte de nombreuses opportunités commerciales. Les enquêtes réalisées pour déterminer ces coûts ont montré qu’ils sont nuisibles à la compétitivité des Etats et peuvent avoisiner entre 2 et 15 % de la valeur des biens échangés[5].

C’est pourquoi « face à une mondialisation des systèmes de production et des chaînes d’approvisionnement qui exige un accès à des réseaux logistiques internationaux, il import[ait] plus que jamais d’instituer des procédures d’importation, d’exportation et de transit rapides et fiables aux frontières. Dans cet esprit, la facilitation du commerce contribue à améliorer les procédures administratives tout en réduisant les risques de fraude douanière. Elle est de plus en plus considérée comme un outil de développement, la mise en œuvre des mesures de facilitation des échanges nécessitant d’investir dans les capacités humaines et institutionnelles »[6].

Ainsi, rappelant et réaffirmant le mandat et les principes énoncés au paragraphe 27 de la Déclaration Ministérielle de Doha, à l’Annexe D de la Décision sur le Programme de travail de Doha adoptée par le Conseil général le 1er août 2004 et au paragraphe 33 et à l’Annexe E de la Déclaration ministérielle de Hong Kong, les Etats Membres de l’OMC se sont donnés pour objectif de « clarifier et d’améliorer les aspects pertinents des articles V, VIII et X du GATT de 1994 en vue d’accélérer encore le mouvement, la mainlevée et le dédouanement des marchandises, y compris les marchandises en transit »[7]. L’ambition était d’adopter un instrument qui devrait avoir une portée pratique directe et réelle.

Toutes ces problématiques ainsi que les objectifs définis sont communs au système commercial international, indifféremment du statut économique de pays développé, en développement ou moins avancé. Mais la situation semble davantage préoccupante dans ces deux derniers groupes de pays. En effet, outre les lacunes du système des transports et des échanges précédemment décrites, la zone CEMAC, par exemple, regorge simultanément les pays en voie de développement[8] et les Pays Moins Avancés[9]. Or, le coût moyen du commerce et des transports est plus considérable dans ces derniers que dans les premiers. L’AFE a envisagé une attention particulière aux besoins « des pays en développement et spécialement ceux des pays les moins avancés Membres et désireux d’accroître l’assistance technique et le soutien pour le renforcement des capacités dans ce domaine ». Cet intérêt particulier se justifie. En effet, présenté par nous comme l’un des justificatifs de la valeur juridico-économique de l’AFE, le rapport 2013 sur le commerce mondial de l’OMC estime que dans un contexte économique caractérisé par le dynamisme des échanges, les pays en développement et moins avancés présentent de réelles chances de devancer au cours des prochaines décennies, ceux développés, grâce à une croissance deux à trois fois plus élevée des exportations et du PIB[10]. Pour l’organisation internationale, la facilitation pourrait réduire le coût du commerce entre $350 milliards et $1 000 milliards. Les échanges mondiaux pourraient se situer entre $33 milliards et $100 milliards en exportations globales annuelles, et $67 milliards en PIB global, si les économies s’y arriment[11]. Au bénéfice de ces pays, l’augmentation estimée de $1000 milliards des échanges bilatéraux produira une augmentation du PIB de $520 milliards. La plus-value économique et financière de l’AFE serait ainsi conséquente pour les Etats de la CEMAC.

La compétence ratione materiae de l’instrument international s’étend à presque toute la chaîne de valeur, allant plus ou moins de l’approvisionnement en matières premières par l’industriel à la livraison du produit fini au consommateur, en passant par le transport notamment maritime. Il s’agit ainsi d’un instrument inédit dans l’histoire de l’OMC. De ce fait, il est susceptible de contribuer véritablement au développement escompté des Etats de la sous-région.

Si ces données sont présentées comme rationnelles et mesurables et que les objectifs et provisions de l’accord sont plus ou moins prodigieux, elles doivent stimuler des réflexions et ouvrir des perspectives aux pays visés[12], notamment africains. En effet, tous les voyants macroéconomiques des Etats africains sont au vert. Il ne fait aucun doute que l’Afrique est le continent du 21eme siècle. Pour certains, elle est même au seuil des « trente glorieuses »[13]. Les stratégies internationales ainsi que les accords commerciaux avec le continent ou ses sous-régions le démontrent à suffire. La richesse du continent en matières premières et son retard technologique, sont perçus comme des opportunités de commerce.

Mais dans la CEMAC plus précisément, de nombreux handicaps mesurables ou non, mais réversibles, entravent toujours l’efficacité des transports. Ils renchérissent les coûts et rallongent les délais de passage des marchandises. De même, l’imprévisibilité juridique et institutionnelle est susceptible d’endiguer l’effervescence du climat des affaires. Il en découle donc que la dynamique d’implémentation de la facilitation déjà perceptible dans certains Etats (II) doit tenir compte des provisions de l’AFE et adapter leur mise en œuvre aux préoccupations de la sous-région (I).

Lire l’étude complète ICI.

TCHIMMOGNE André,
Doctorant en droit privé, Droit maritime et transports,  Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne –
Chercheur, Institut de Recherche Juridique de la Sorbonne (IRJS) –
Chercheur, Groupe d’Etude et de Recherche en Droit, Institutions et Intégration Communautaire –
Cadre à la Direction de la facilitation du Conseil National des Chargeurs du Cameroun (CNCC).

 

[1] TCHIMMOGNE (A.), Facilitation des transports internationaux et protection de l’environnement en Afrique Centrale, Mémoire de Master II professionnel en droit international et comparé de l’environnement, Université de Limoges-France, 2015.

[2] TCHIMMOGNE (A.), Le transporteur maritime de marchandises à la lumière des Règles de Rotterdam, Mémoire de Master 2 en Droit des Affaires et de l’Entreprise, Université de Dschang, 2014 ; DELEBECQUE (Ph.), « Les RR, règles de la Haye-Visby, règles de Hambourg, forces et faiblesses respectives », www.10-delebecque_05-base, pdf ; NGNINTEDEM (J.C.), Transports maritimes: responsabilité du transporteur de marchandises, ANT, Tome 1, Paris  2003.

[3] Rapport CNUCED, Etude sur les transports maritimes, 2014, p.2.

[4] CNUCED, Etude sur les transports maritimes 2012, p.6.

[5] Rapport OCDE, « Coûts et avantages de la facilitation des échanges, synthèses », novembre 2005, pp. 2 et 3.

[6] Rapport CNUCED, Conseil du Commerce et du Développement, Commission du Commerce et du Développement, Réunion d’experts pluriannuelle sur les transports et la facilitation du commerce, Deuxième session sur « les règles de facilitation du commerce: options et besoins », Genève, 1er-3 juillet 2014, Note du Secrétariat.

[7] Préambule de l’AFE.

[8] Gabon, Cameroun, Guinée Equatoriale, Congo.

[9] Tchad et République Centrafricaine.

[10] CNUCED, Rapport sur le commerce mondial 2013, p.47.

[11] Banque Mondiale, OCDE, 2011,

[12] Rapport  du Conseil du Commerce et du Développement de la Commission des entreprises, de la facilitation du commerce et du développement de la CNUCED, « Efficacité des transports et facilitation du commerce pour une plus large participation des pays en développement au commerce international »,Huitième session, Genève, 8-12 décembre 2003, p.5.

[13]BAVEREZ (N.), « L’Afrique est au seuil des ‘’trente glorieuses’’», in  Géopolitique Africaine, Les chantiers de l’avenir, Nº55, 3e trimestre 2015, pp.21-30.

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