Les outils juridiques favorables à la lutte contre le cancer

« Le cancer est l’un des plus grands enjeux de santé publique de notre société ». C’est ainsi que la ministre Marisol Touraine a souligné toute l’importance de la lutte contre le cancer dans une interview accordée en décembre 2014 au magazine Vivre. Cette lutte contre le cancer est au cœur de l’actualité, il s’agit d’une problématique essentielle de santé publique. Le plan cancer, actuellement mené par le gouvernement, s’inscrit dans ce mouvement.

 

En effet, la lutte contre le cancer est un objectif primordial dans les politiques de santé publique françaises et européennes. Avec environ 150000 décès chaque année (1), il s’agit de la première cause de mortalité en France. Les difficultés à traiter cette maladie persistent aujourd’hui malgré les évolutions de la médecine. En effet, la principale difficulté du cancer est due à une multiplication cellulaire anormale. Dès lors, il est nécessaire d’endommager ces cellules et l’organisme humain dans son ensemble, d’où la difficulté et la longueur des soins apportés. Il est cependant notable que les traitements anticancéreux sont de plus en plus ciblés afin de limiter ces dommages.

Les enjeux de cette lutte contre le cancer sont nécessairement pluridisciplinaires. En effet, la recherche contre le cancer comme les soins apportés aux patients impliquent des coûts à envisager dans les politiques de santé publique. En outre, le médecin et l’ensemble des acteurs entourant le malade ont un rôle à jouer face à la maladie. Ainsi, le médecin engage sa responsabilité dans les soins apportés. Cependant, cette responsabilité est celle du droit commun et demeure nécessairement limitée. Les assurances sont également impliquées, puisque les antécédents de cancers, à l’échelle de l’individu comme de sa famille, génèrent des risques supplémentaires à couvrir et, par conséquent, des frais supplémentaires.

Ce contexte implique alors des politiques juridiques. Ainsi, deux plans cancer ont été mis en place de 2003 à 2007, puis de 2009 à 2013. Un troisième plan cancer, étendu de 2014 à 2019, est actuellement mis en place par le ministère des affaires sociales et de la santé (2). Il convient alors de se demander quels sont les grands axes mis en place. Ces derniers sont essentiellement relatifs à la prévention contre le cancer (I), ainsi qu’à l’accompagnement des malades, pendant et après la maladie (II).

I-La prévention contre le cancer

La prévention est assurée essentiellement par la lutte contre le tabagisme (A) ainsi que le dépistage (B).

A- La lutte contre le tabagisme

Dans le cadre du plan cancer, l’Assemblée Nationale a voté en avril 2015 l’instauration d’un paquet de cigarettes neutre, identique pour toutes les cigarettes, à partir de mai 2016 (3). Cependant, cette mesure s’expose aux lobbyings des cigarettiers qui y voient une atteinte aux droits de propriété intellectuelle des différentes marques de tabac. La mesure est tout de même en cours d’introduction en France depuis le 20 mai 2016. Aucun nouveau paquet ne répondant pas aux critères du paquet neutre ne peut plus être fabriqué, et les buralistes devront avoir écoulé leur stock avant le 1er janvier 2017. D’autres mesures contre le tabagisme sont envisagées dans le cadre du plan cancer, comme l’interdiction du vapotage dans certains lieux publics.

Le plan cancer s’inscrit donc parfaitement dans la politique juridique contemporaine de lutte contre le tabac. Il tente également des évolutions favorables au dépistage du cancer.

B- Le dépistage du cancer

Le plan cancer vise à inciter les médecins et centres de santé à renforcer leur vigilance dans le cadre du dépistage du cancer. Ainsi, un contrat facultatif entre le soignant et la caisse d’assurance maladie a été mis en place pour favoriser le dépistage du cancer colorectal (4). Cette possibilité de contrat a été prévue par la décision du 10 mars 2016 de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie et publiée au JO du 10 mai 2016.

Il s’agit d’un contrat d’adhésion, il n’est alors pas possible pour le médecin d’en négocier les différents termes. Tout contrat conclu qui ne reproduirait pas le modèle type présent en annexe de la décision du 10 mars 2016 serait alors sanctionné par la nullité.

Le médecin qui choisirait de conclure ce contrat s’engagerait à se renseigner sur les pratiques les plus récentes pour le dépistage du cancer colorectal, notamment sur les outils d’analyse et les conditions des tests. La nécessité de conclure un contrat pour imposer ces obligations aux médecins est discutable. En effet, le médecin est tenu à une obligation d’information vis-à-vis de son patient. Cette obligation est prévue par la loi Kouchner de 2004, le médecin doit ainsi se tenir informé de l’état de santé du patient comme la Cour de cassation l’a souligné en 2015 (5). Dès lors, il ne semble pas concevable qu’un médecin puisse ne pas être au courant des évolutions en matière de cancer s’il doit être capable de diagnostiquer les troubles du patient et l’en informer. Cependant, les médecins ont parfois des difficultés à se tenir informés des avancées les plus récentes si ces dernières ne relèvent pas de leur spécialité. C’est pour cette raison qu’un contrat spécifique a été envisagé.

En outre, le médecin s’engage à commander des kits de dépistage et à les proposer tous les deux ans à certaines catégories de patients à risque, âgés de 50 à 74 ans. Au cours de la consultation, le médecin est alors tenu d’informer le patient du rôle du dépistage et de ses limites. En outre, si le risque est particulièrement élevé, ces kits de dépistage ne sont pas suffisants et le médecin devra rediriger le patient vers un cancérologue. Le fait d’inciter le médecin à commander des kits de dépistage devrait permettre de faciliter la prévention. Les autres clauses semblent relever à nouveau de l’obligation d’information du médecin et ne devraient en aucun cas nécessiter la conclusion d’un contrat.

La contrepartie de ces engagements du médecin est alors financière. Ainsi, l’assurance maladie verserait aux médecins une somme d’argent en fonction du nombre de tests de dépistage du cancer colorectal effectué.

Bien que l’incitation au dépistage soit souhaitable, il est légitime de s’inquiéter d’un détournement de ce contrat. Le médecin pourrait prescrire des tests de dépistage de manière abusive afin d’obtenir des contreparties. Des mécanismes seront probablement envisagés pour éviter cela.

II- L’accompagnement des malades atteints par le cancer

La mesure phare de ce plan cancer est l’introduction d’un droit à l’oubli en faveur des malades atteints par le cancer (A). Une politique juridique globale de réinsertion sociale est également envisagée (B).

A- L’introduction du droit à l’oubli en faveur des malades atteints par le cancer

Ce droit à l’oubli est relatif au domaine des assurances. En principe, un cancer, comme toute maladie grave, doit être déclaré lors de la souscription d’une assurance. Ceci est cohérent dans la mesure où les risques de rechute font peser un risque lourd sur l’assureur, notamment dans l’hypothèse d’une assurance vie.

Cependant, dans le cadre du plan cancer, la convention nationale, dite AERAS (s’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé), conclue entre le Président de la République et un certain nombre de représentants des secteurs de la santé et des assurances (6), permet aux assurés ayant été atteints par le cancer de ne pas déclarer leur maladie à l’assurance passé un délai de dix ans suite au protocole thérapeutique. Si l’assuré était mineur au moment de sa pathologie, le délai est de cinq ans (7). Cette convention concerne tout contrat d’assurance de prêt dont le montant est inférieur ou égal à 320000 euros, dont la durée est telle que l’âge de l’emprunteur soit inférieur à soixante-dix ans en fin de contrat. Une grille de référence des tarifs a été établie et sera actualisée, afin de s’assurer que les anciens malades aient des tarifs similaires aux assurés sains.

Une telle convention est très favorable à l’accompagnement des anciennes victimes du cancer. En effet, les récidives peuvent se produire des dizaines d’années après les manifestations d’un premier cancer, notamment par la présence de métastases. La convention est donc réellement désavantageuse pour les assureurs.

B- La réinsertion sociale des malades atteints par le cancer

Les statistiques montrent qu’il est difficile pour un patient atteint d’un cancer de retrouver du travail par la suite. En effet, un malade sur trois perd son emploi dans les deux ans qui font suite à la déclaration de sa maladie (8). En outre, un malade sans emploi ayant été atteint d’un cancer voit ses chances de retrouver un travail largement amoindries par rapport à un individu sain dans la même situation.

Pour lutter contre ces problèmes de réinsertion, le pacte 06 initié par la Ligue contre le cancer comporte un partenariat avec Pôle Emploi (9). Ainsi, Pôle Emploi s’engage, dans chacune de ses agences, à permettre à la Ligue contre le cancer de former un référent qui guidera les anciens malades dans leurs démarches pour accéder à l’emploi. L’objectif est de mieux appréhender les attentes de ces personnes fragilisées, et de mettre en place un accompagnement personnalisé similaire à celui existant déjà pour les chômeurs subissant les conséquences d’un licenciement économique. L’accompagnement personnalisé des anciens malades est un des objectifs du plan cancer et ce pacte 06 vise à y répondre.

Cependant, l’accompagnement des anciens malades aura une efficacité limitée si les entreprises ne sont pas en mesure de les embaucher. Or, dans les circonstances économiques actuelles, il n’est pas aisé d’embaucher ces salariés qui pourraient avoir des difficultés à réintégrer le monde du travail.

Dès lors, le pacte 06 vise également une information des entreprises afin de les aider à réinsérer leurs salariés suite à une période de cancer. Il est également possible de mettre en place des modules en partenariat avec la Ligue contre le cancer pour former les salariés de l’entreprise aux comportements à avoir vis-à-vis de leurs collègues malades.

Le plan cancer actuellement mis en place permet donc d’apporter des outils politiques et juridiques pour renforcer la lutte contre le cancer, aussi bien en matière de prévention que d’accompagnement des malades. Cette lutte est nécessairement interdisciplinaire et porte sur plusieurs problèmes de société tels que la dépendance liée au tabagisme ou les difficultés d’accès à l’emploi. Bien que l’évolution du cadre juridique ne soit pas suffisante pour endiguer la maladie, cette dernière illustre une prise de conscience face aux difficultés et ne peut qu’être profitable aux malades.

                                                                                                                                 Antoine Jarlot

(1) Estimation donnée par la Ligue contre le cancer : Les cancers en France en 2015 : l’essentiel des faits et chiffres

(2) Projet du gouvernement contre le cancer porté par Marisol Touraine

(3) Décret n° 2016-334 du 21 mars 2016 relatif au paquet neutre des cigarettes et de certains produits du tabac

(4) Contrat d’amélioration des pratiques en faveur du cancer colorectal

(5) Civ. 1ère 5 mars 2015 n°14-13292 Publié au bulletin

(6) Grille de référence : Conditions d’accès à une assurance emprunteur dans le cadre du titre IV de la convention, sans surprime ni exclusion de l’affection, par type d’affections Adoptée par la Commission de suivi et de propositions sur proposition du groupe de travail « droit à l’oubli » 04 Février 2016

(7) Article L1141-5 du code de la santé publique créé par la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016

(8) Enquête VICAN2, 2012 (La vie deux ans après le diagnostic de cancer), publiée dans le rapport 2013 de l’Observatoire sociétal des cancers

(9) Pacte 06- Programme action cancer toutes entreprises de la Ligue contre le cancer

POUR EN SAVOIR PLUS

Le site Internet de la Ligue contre le cancer, régulièrement mis à jour, permet de se tenir au courant des problématiques d’actualité en lien avec la thématique du cancer. Cependant, le site manque parfois d’objectivité dans le traitement de l’information 

Pour les plus intéressés, le magazine Vivre apporte des informations plus détaillées, avec un souci d’objectivité plus élevé.

Ces deux références contiennent de nombreux articles ciblés sur l’actualité juridique autour de la thématique du cancer.

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