"Sunshine Act à la française": Volet transparence des liens entre professionnels de santé et industriels de produits de santé

 

Le renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé issu de la loi du 29 décembre 2011 a, entre autres, pour but de regagner la confiance des français dans le système de sécurité sanitaire du médicament. Mais l’une des mesures phares est la transparence des liens d’intérêt, mécanisme innovant en Europe. La France est le premier pays européen à avoir un tel dispositif, comme a pu le rappeler la Ministre de la Santé, Marisol Touraine. La prévention des conflits d’intérêts devient une priorité de santé publique.

 

Le 21 mai 2013 s’est ouvert au tribunal correctionnel de Nanterre le premier procès pénal du Mediator, mis en cause dans le décès de près de 500 patients depuis 1976. Simple coïncidence ou hasard forcé, le décret d’application « Transparence », de la loi du 29 décembre 2011 (dite loi « Bertrand ») venant renforcer la sécurité sanitaire suite à cette même affaire, voit le jour à cette même date, après plus d’un an d’attente.

Les éléments de renforcement de la sécurité sanitaire par la loi « Bertrand ».

L’extension du champ d’application de la loi « anti-cadeaux ».

 

Le scandale du Médiator a été d’une telle ampleur que les pouvoirs publics se devaient d’agir concrètement et rapidement, d’où le vote d’une loi relative au renforcement de la sécurité sanitaires des produits de santé.1

Cette loi n’apparaît pas d’un coup de crayon magique, elle vient renforcer la disposition législative déjà existante dite loi DMOS (Diverses Mesures d’Ordre Social) du 27 janvier 1993, mieux connue sous le nom de « Loi anti-cadeaux »2.

Dans un souci de sécurité sanitaire, il était interdit pour les industriels de produits de santé de proposer et de procurer des avantages en nature ou en espèces, directement ou indirectement, à des professionnels de santé ; et parallèlement il était interdit à ces professionnels de santé d’accepter ces avantages.

Une voie vers la déconnexion des prescriptions effectuées par les professionnels de santé et leurs liens avec les différents laboratoires était lancée, malheureusement l’affaire du Médiator est venue éclabousser cette utopie…

La nouvelle loi dite « Bertrand » vient intégrer dans le champ de la double interdiction les étudiants se destinant aux professions de santé visées à la quatrième partie du Code de la santé publique, ainsi que les associations représentant les professionnels de santé, et celles représentant les étudiants se destinant à ces professions3.

Comme a pu le souligner Xavier Bertrand lors de la conférence à la Chaire Santé de Sciences Po le 19 octobre 2013, les laboratoires n’ignorent pas que les étudiants d’aujourd’hui sont les professionnels de santé de demain…

L’émergence de la transparence des liens d’intérêts.

 

L’avancée la plus remarquable est celle qui a été empruntée au Physician Payments Sunshine Provisions4 (Sunshine Act), mis en place aux Etats-Unis dès les années 1970 et concrétisé en 2010 : celle de la « Transparence », littéralement la loi qui apporte la lumière. C’est un terme qui a son importance car il fait partie d’un des renforcements majeurs qui aujourd’hui bouleversent le monde de la santé.

Désormais chaque « entreprise produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire et cosmétique destinés à l’homme mentionnés au II de l’ article L 5311-1 du Code de la santé publique ou assurant des prestations associées à ces produits »5 doit transmettre un fichier contenant tous les avantages qu’elle a pu consentir à des professionnels de santé, dès lors que cet avantage dépasse 10 euros toutes taxes comprises (TTC), à une autorité publique qui sera responsable d’un site internet public unique sur lequel ces avantages seront publiés.

In concreto l’affaire n’est pas si simple dans la mesure où ce site internet public et unique n’existe toujours pas, son arrivée est prévue en avril 2014.

En tant que mesure transitoire, la transmission de ces données se fait aux différentes instances ordinales, à savoir le Conseil National de l’Ordre des médecins, des pharmaciens, des chirurgiens-dentistes, des sages-femmes, des infirmiers ainsi que celui des masseurs-kinésithérapeutes.

Non seulement la publication de ces informations se fera sur le site internet de chaque profession, mais elle se fera aussi sur le site internet de l’industriel de produits de santé. Il s’agit donc là d’une double publication en attendant la mise en place du site internet public unique.

Une carence regrettable quant à la circulaire du 29 mai 20136 qui n’exprime pas de modalités obligatoires quant à l’affichage de la rubrique « Transparence » sur les sites des ordres concernés et sur ceux des entreprises, elle exige seulement que cette dernière soit « identifiable ». Il apparaît ainsi que cette rubrique est noyée dans d’autres rubriques sur le site de nombre d’entreprises.

Par ailleurs il n’y a pas eu de véritable publicité à destination du grand public quant à l’instauration de l’existence même de ce dispositif ; des informations destinées au public sont « librement et gratuitement » accessibles sans que ce dernier soit même informé du pouvoir d’y accéder.

A quoi bon une telle transparence si l’existence même de cette transparence est quasi-opaque…

Quant au contenu même des données publiées, il s’agit donc des avantages en nature ou en espèces consentis à des professionnels de santé. Cela concerne notamment les prises en charge de frais d’hospitalité pour le déplacement d’un professionnel de santé dans le cadre d’une manifestation professionnelle et scientifique, mais aussi l’inscription à un congrès, des remboursements de frais ainsi que des frais de restauration. En réalité, les informations ne sont pas exploitables en l’état car d’une part elles ne sont pas complètes et d’autre part elles se traduisent le plus majoritairement par des frais de restauration avec de petites sommes qui font douter de leur pertinence.

De surcroît, les montants ainsi que l’objet exact des conventions conclues entre les professionnels de santé et les entreprises ne font pas l’objet de publication au nom du secret des affaires, idem pour les conventions conclues avec les associations représentant les professionnels de santé et représentant les étudiants se destinant à ces professions. Cette dérogation a été déplorée par le Conseil national de l’ordre des médecins, qui d’ailleurs avait exprimé sa volonté d’effectuer un recours devant le Conseil d’Etat contre le décret d’application.7

Concernant la véracité des données publiées, qui est responsable ? La loi Informatique et Libertés du 6 janvier 19788 en son article 6 prévoit que les données à caractère personnel doivent être « exactes et complètes » ; cependant ni la loi du 29 décembre 2011, ni son décret d’application, ni la circulaire, ne définissent le garant de cette exigence.

D’autant plus que les ordres mettent en place un encart explicatif sur leur site internet avant la consultation des données précisant le non-engagement de leur responsabilité quant au contenu.

Les données publiées ne sont donc pas contrôlées, les entreprises se trouvant dans un flou juridique durant cette période transitoire avant la mise en place d’un site internet public.

Au vu de tous ces éléments concernant la transparence des liens d’intérêts, il apparaît une volonté des pouvoirs publics de donner une nouvelle « éducation » aux professionnels de santé ainsi qu’aux industriels des produits de santé, et de moraliser dans une certaine mesure leurs relations.

Néanmoins des insuffisances sont encore à déplorer, donnant lieu à une transparence à géométrie variable.

 

Un impact non négligeable.

 

Loi Bertrand Vs Loi Informatique et Libertés : l’esquisse d’une nouvelle donne.

 

Le traitement de données personnelles est encadré par la loi Informatique et Libertés dont la garante est la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL).

En effet, ces données sont composées principalement du nom, prénom, adresse professionnelle, titre, spécialité, le numéro RPPS (Répertoire partagé des professionnels de santé) du professionnel de santé, puis évidemment la nature, le montant et la date des avantages et seulement la nature et la date pour les conventions.

Une des réalités auxquelles les entreprises du monde de la santé ont dû se confronter est celle de la difficulté de réunir toutes ces informations sur l’identité du professionnel de santé.

Il existe deux moyens de parvenir à récolter ces informations :

  • Le premier consiste à financer un organisme dans le but d’avoir une sorte de logiciel permettant de récupérer aisément ces données ;

  • Le second moyen, beaucoup plus  »archaïque » que le précédent, consiste à rechercher manuellement, sur le site de chaque ordre national de professionnel de santé, l’identité du professionnel de santé.

Malheureusement la première solution, étant la plus efficace, a un prix, et les petites et moyennes structures ne peuvent y parvenir. De ce fait, elles optent pour la seconde solution qui leur crée de réelles difficultés dans l’accomplissement de leurs obligations légales.

De plus, il est possible de remarquer une sorte de frein à l’utilisation du site du Conseil de l’ Ordre National des Médecins dans la recherche des Numéros RPPS car ce dernier est muni d’une sonde anti-intrusion qui bloque instantanément l’accès à ces données pendant une durée indéterminée, système qui ne peut être débloqué qu’après demande expresse demandée par email…

Face au désarroi de la majorité des entreprises, un arrêté du 2 octobre 2013 modifiant l’arrêté du 6 février 2009 portant création d’un traitement de données à caractère personnel dénommé « Répertoire partagé des professionnels de santé » (RPPS) est venu offrir une alternative. Désormais à compter du 15 octobre 2013, entrée en vigueur dudit arrêté, les entreprises pourront adresser une demande à l’Agence nationale des systèmes d’information partagés de santé (ASIP Santé) afin d’accéder aux données RPPS. Cependant, les modalités pratiques de cet accès n’ont toujours pas été communiquées par l’ ASIP Santé.

Par ailleurs, l’absence de droit d’opposition des professionnels de santé à la collecte et au traitement de leurs données est rappelé par la circulaire du 29 mai 20139. Ce droit n’a pas vocation à s’appliquer dans la mesure où le dispositif « Transparence » représente une obligation légale, conformément à l’article 38 de la loi Informatique et Libertés.

Ainsi, la domination des dispositions de la loi Bertrand sur la loi Informatique et Libertés n’est pas à négliger, dans la mesure où ce recul de protection des droits des personnes dans le traitement de données les concernant annonce une véritable ligne directrice, qui se crée au gré des crises sanitaires : Les exigences de santé publique s’imposent, dans cette situation, aux libertés individuelles.

Quid de la responsabilité des médecins en cas de conflit d’intérêts.

 

Les médecins « ne seront pas les payeurs (…)Ce ne sont pas les médecins qui ont produit le médicament, ils l’ont prescrit, même parfois hors autorisation de mise sur le marché, mais il faut un maximum d’informations sur la façon dont les visiteurs médicaux ont travaillé avec les médecins »10 avait soutenu Xavier Bertrand, alors Ministre de la Santé, à propos de l’affaire Médiator. Il est clair que les médecins avaient un fervent soutien de l’ Etat quant au non-engagement de leur responsabilité civile dans la mesure où des visiteurs médicaux du laboratoire Servier ne les auraient pas dûment informés sur l’effective dangerosité du médicament.

Rappelons néanmoins que l’utilisation du Médiator comme coupe-faim représente plus de la moitié des prescriptions, certaines prescriptions étaient peut-être même le fruit d’un conflit d’intérêt, cas dans lequel le médecin verrait sa responsabilité engagée.

Il est donc nécessaire de porter la réflexion sur la pertinence des publications de ces liens d’intérêt. Effectivement, dans le cas d’une potentielle seconde affaire Médiator, il serait intéressant d’étudier ces liens et d’en déceler d’éventuels conflits d’intérêts mettant en cause l’indépendance des médecins, mais encore faut-il que les médecins voient leur responsabilité engagée, ce que l’affaire Médiator ne semble pas amorcer.

 

Nesrine Benyahia

Master 2 Droit des industries des produits de santé,

Université Paris Descartes.

 

1 Loi n° 2011-2012 en date du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.

2 Loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social « DMOS ».

3 Article L. 4113-6 du Code de la santé publique.

4 The Physician Payments Sunshine Provisions fait partie du « Patient Protection and Affordable Care Act » du 23 mars 2010.

5 Article L. 1453-1 du Code de la santé publique.

6 Circulaire N° DGS/PP2/2013/224 du 29 mai 2013 relative à l’application de l’article 2 de la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.

7 Communiqué de presse du Conseil National de l’ Ordre des Médecins du 23 mai 2013.

8 Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

9 Circulaire N° DGS/PP2/2013/224 du 29 mai 2013 relative à l’application de l’article 2 de la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.

10 Intervention Xavier Bertrand, Emission  »C Politique » 8 mai 2011.

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