Vers la naissance de la GPA en France ?

Selon la genèse, afin de pallier son infertilité, Sarah offrit à son époux Abraham sa servante, Agar, pour obtenir une descendance. Il s’agit de la première gestation pour autrui (GPA) connue et qui est source de conflits encore aujourd’hui.

L’expression GPA désigne un ensemble de situations dans lesquelles une femme, la mère porteuse, accepte de porter et de mettre au monde un enfant à la demande des parents d’intention.

La pratique de la GPA ne cesse de se développer dans plusieurs pays, dont certains sont limitrophes de la France. Pourtant, le législateur français n’entend pas légaliser ce nouveau genre d’assistance. Cette interdiction se dresse ainsi au détriment des enfants nés d’un tourisme procréatif jugé condamnable mais pourtant bien réel.

Cette position ne semble pas vouée à évoluer durant la durée du quinquennat du Président Hollande. Faisant suite au débat public porté par les Etats Généraux de la bioéthique, le Président s’est aligné sur la consultation populaire en réaffirmant son hostilité à la GPA.

La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a rendu deux arrêts condamnant la France (II.) en soutenant que l’état du droit actuel ne permet pas un juste équilibre entre l’intérêt de la collectivité et l’intérêt supérieur de l’enfant (I.).

I. Un mécanisme de défense français implacable

La gestation pour autrui s’écarte radicalement de l’accouchement « classique », il s’agit bien d’une nouvelle alternative de procréation bousculant des concepts réputés immuables. Dans un contexte de rigidité textuelle (A.), de tensions éthiques profondes (B.) et d’une position prétorienne stricte (C.), la GPA devient en France source de conflits et d’incompréhensions.

A. Des textes sans équivoque

Les textes juridiques concernant la GPA ne laissent aucune marge de manœuvre aux juges français. La position du législateur sur la possibilité d’un recours à la GPA est très explicite, et contenue à l’article 16-7 du Code civil : « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ».

Pourtant, une circulaire du 25 janvier 2013 1 est adressée aux tribunaux par la garde des Sceaux, pour leur recommander de ne plus refuser la délivrance des certificats de nationalité française pour des enfants nés à l’étranger, au seul motif qu’ils concernent des enfants issus d’une gestation pour autrui 2. En réalité, la circulaire entend seulement clarifier les pratiques et sécuriser la situation des enfants nés à l’étranger dans des circonstances dont ils ne sont pas maîtres, au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant consacré par l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant.

B. Des tensions éthiques profondes

La GPA ne s’intègre pas dans le système français tant elle bouleverse nos acceptions médicales, juridiques, généalogiques et sociales de la procréation.

Premièrement, notre vision traditionnelle des conséquences juridiques de l’accouchement est complètement biaisée. Que faire du principe romain irréfragable « mater semper certa est » ? (l’identité de la mère est toujours certaine). Désormais, l’enfant qui sort du ventre n’est pas forcément le fils ou la fille de la femme qui l’a porté(e). Que doit comprendre le juriste ? Comment doit se comporter le généalogiste ?

Deuxièmement, la GPA a la particularité de sortir des conceptions médicales traditionnelles. Alors que la plupart des pratiques de conception de l’enfant, en dehors de la voie naturelle, se font en laboratoires comme la PMA, la GPA est réalisée, pour la grande majorité du temps de grossesse, en dehors de toute institution. Ceci a pour conséquence de s’exonérer du protocole de laboratoire très encadré pour se soumettre à la volonté libre des parties. Ceci implique parfois de s’accorder sur certaines clauses qui ne seraient pas acceptées en France au nom de la liberté individuelle. Il peut s’agir de l’interdiction de pratiquer certains sports ou d’adopter des conduites addictives, voire une obligation d’abstinence de relations sexuelles pendant un certain temps 3.

Un dernier aspect de la GPA se situe sur le plan financier. Deux modèles économiques s’opposent : le modèle de type anglo-saxon fondé sur l’autonomie de la décision des parties ; et le modèle français reposant sur le principe de gratuité des dons. Dans les exemples connus de mères porteuses, elles sont en général rémunérées ou au moins dédommagées. Certains estiment que cette pratique s’apparenterait à une nouvelle forme de prostitution dans laquelle la femme ne prête plus son vagin mais son utérus. La GPA se révèle être en ce sens l’ouverture de la commercialisation de la fonction gestatrice des femmes. Il existe aussi des GPA à titre gratuit : grossesse portée par la sœur ou par la mère.

C. Une ligne jurisprudentielle stricte

La première chambre civile de la Cour de cassation a réaffirmé sa jurisprudence très stricte interdisant aux enfants nés d’une gestation pour autrui à l’étranger de disposer de l’état civil français.

L’Etat a verrouillé tout lien de filiation même en état de vérité biologique concernant l’enfant issu d’une GPA à l’étranger. L’enfant est voué à être titulaire du seul état civil étranger. En pratique, le lien de filiation avec le père biologique de l’enfant est toujours établi dans l’état civil étranger mais le second reste plus aléatoire en fonction de la configuration du couple et du pays d’accueil.

Dans deux arrêts en date du 13 septembre 2013 4 et dans un arrêt en 2014 5, la Cour de cassation s’est fondée sur la fraude de la loi en visant les articles 16-7, 16-9 et 336 du Code civil : « qu’en l’état du droit positif, est justifié le refus de transcription d’un acte de naissance fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays lorsque la naissance est l’aboutissement, en fraude à la loi française, d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui, convention qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public selon les termes des deux premiers textes susvisés ». Le fondement de la fraude à la loi impose l’indivisibilité de la demande relative à l’état civil et de la convention à l’origine de la naissance de l’enfant, il s’agit bien d’un « processus d’ensemble » selon l’expression consacrée. Ce mécanisme se révèle être d’une efficacité redoutable, toute demande de filiation issue de la GPA étant donc impossible en France car se situant en fraude à la loi. Cependant cette défense est blâmable dans le sens où elle repose uniquement sur la tête des enfants issus d’une telle gestation, la filiation de l’enfant dépend directement de l’attitude des parents.

Il s’agit d’un nouveau fondement de la Cour de cassation qui préférait antérieurement le principe d’indisponibilité de l’état des personnes. Ce principe a été qualifié de principe essentiel du droit français, permettant l’intégration dans l’ordre public international faisant ainsi échec à la transcription de tout acte de naissance qui lui serait contraire.

Cette position ferme de la Cour de cassation a pour objectif d’envoyer un signal fort adressé à tous les couples désireux d’avoir recours à la GPA. La Cour pourrait proposer une solution alternative fondée sur la dissociation de la convention de GPA et de la demande de filiation afin de permettre aux enfants issus d’une GPA de bénéficier de l’état civil français, comme cela avait été envisagé par le rapporteur Chartier dès 1991 6.

II. La condamnation timide de la CEDH

Par deux arrêts en date du 26 juin 2014 7, 8 la CEDH condamne la France au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Si la France oppose un refus catégorique à la reconnaissance de la filiation des enfants issus de convention de GPA à l’étranger à l’égard de leurs parents d’intention, la CEDH veille au droit au respect de la vie privée et familiale, et notamment l’intérêt supérieur de l’enfant dont la primauté a été piétinée par la Cour de cassation.

Le juge européen se trouve dans une situation inconfortable, entre le respect de la souveraineté des Etats refusant de légaliser une technique procréative discutée et l’intérêt de l’enfant.

Le CEDH procède à un contrôle de proportionnalité (A.) sur le fondement de l’article 8 de la CEDH tant à propos du droit au respect de sa vie familiale concernant tous les requérants (B.) qu’au regard de la vie privée qui concerne seulement les enfants nés de la GPA (C.).

A. La marge d’appréciation erronée de la France

Le juge européen exerce son contrôle afin de vérifier la légitimité du refus par l’Etat français de reconnaître la GPA et celui de transcrire un acte de naissance fait à l’étranger.

L’ingérence de l’Etat sous couvert de protection de l’ordre public est-elle autorisée? Puisque la CEDH estime que les requérants ne pouvaient ignorer que la convention de mère porteuse relève de la nullité d’ordre public et que les arrêts de la Cour de cassation considèrent que la GPA contrevient aux principes d’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes, la légalité de l’ingérence étatique parait autorisée.

L’ingérence poursuit-elle un but légitime ? Cette condition est remplie dans le sens où le refus de reconnaître le lien de filiation entre les enfants nés d’une GPA à l’étranger et les parents d’intention a pour objectif de décourager les ressortissants français à recourir à une méthode de procréation prohibée en France. Cette interdiction étant opposée tant au nom de la protection de l’enfant que de la mère porteuse.

L’ingérence est-elle nécessaire dans une société démocratique ? Le juge européen entend vérifier si « le juge interne a dûment pris en compte la nécessité de ménager un juste équilibre entre l’intérêt de la collectivité à faire en sorte que ses membres se plient au choix effectué démocratiquement en son sein et l’intérêt des requérants – dont l’intérêt supérieur des enfants – à jouir pleinement de leurs droits au respect de leur vie privée et familiale ». Ceci signifie que la CEDH dissocie dans son analyse la convention de GPA et la demande de reconnaissance de filiation de l’enfant à l’état civil français.

Concrètement le contrôle de proportionnalité dépend de la marge d’appréciation reconnue aux Etats. Or, la CEDH admet qu’il n’existe pas de consensus à propos de la légalité de la convention de GPA ni sur la reconnaissance juridique du lien de filiation entre l’enfant né de cette convention et les parents d’intention. Prudente, la CEDH ne souhaite pas se prononcer sur cette problématique et se contente d’affirmer que « cette absence de consensus reflète le fait que le recours à la gestation pour autrui suscite de délicates interrogations d’ordre éthique ». Ainsi, l’absence de consensus permet d’accorder une très large marge d’appréciation aux États, mais dans la limite du jeu de filiation qui constitue un aspect essentiel de l’identité des personnes.

B. L’absence de violation de la vie privée

Selon la CEDH, le défaut de reconnaissance en droit français du lien de filiation entre l’enfant issu de la GPA et les parents d’intention affecte nécessairement leur vie familiale, ce qui avait d’ailleurs été relevé dans le rapport du Conseil d’Etat de 2009 relatif à la révision des lois de bioéthique 9.

Le juge européen estime cependant « qu’il faut se déterminer au regard des obstacles concrets que ceux-ci ont dû effectivement surmonter du fait de l’absence de reconnaissance en droit français du lien de filiation ». La CEDH affirme que la condition familiale de fait des requérants est « globalement comparable » à celle des autres familles françaises. Ainsi, le juge français ménage un juste équilibre entre les intérêts des requérants et ceux de l’Etat, pour autant que cela concerne leur droit au respect de la vie privée. Il faut donc comprendre que l’atteinte portée au respect de la vie familiale par le défaut de reconnaissance juridique n’est pas suffisamment grave pour constituer une violation dès lors que cette vie familiale peut s’épanouir en fait 10. La portée de ces arrêts se résume en deux points : Premièrement la CEDH refuse d’imposer la reconnaissance juridique de la vie familiale si cette dernière violerait une règle impérative de l’ordre juridique interne. Deuxièmement, la CEDH écarte toute consécration d’un droit à l’enfant.

C. La reconnaissance européenne du droit de l’enfant à son identité

Selon la CEDH, il y a relation directe entre la vie privée des enfants nés d’une gestation pour autrui et la détermination juridique de leur filiation. Il y a donc atteinte à la vie privée des enfants du fait de l’absence de reconnaissance en France de leur filiation. Les enfants sont enfermés dans une situation d’incertitude juridique quant à leur filiation qui résulte notamment de l’impossibilité pour ceux-ci de se voir reconnaître la nationalité française, ce qui est de nature à affecter de façon néfaste la définition de leur propre identité. La Cour considère très justement que les enfants ne sont pas tenus de subir les conséquences négatives des choix de leurs parents. Elle en déduit que la position prétorienne française semble incompatible avec l’intérêt supérieur des enfants.

Suite à ce raisonnement, la CEDH se concentre sur la filiation paternelle par cette formule : « cette analyse prend un relief particulier lorsque, comme en l’espèce, l’un des parents d’intention est également géniteur de l’enfant ». Le juge européen entend donner un contenu à l’intérêt supérieur de l’enfant, apprécié de manière générale et abstraite, en affirmant qu’on ne « saurait prétendre qu’il est conforme à l’intérêt d’un enfant de le priver d’un lien juridique de cette nature alors que la réalité biologique de ce lien est établie et que l’enfant et le parent concerné revendiquent sa pleine reconnaissance ». Ainsi, la mise en balance des intérêts en présence font que les conséquences pour l’enfant du défaut de reconnaissance de sa filiation paternelle sont trop importantes et constituent une violation du droit au respect de sa vie privée. L’Etat défendeur est allé au-delà de ce que lui permettait sa marge d’appréciation.

Cependant, puisque que la CEDH condamne le défaut de reconnaissance biologique, nécessairement paternel, le défaut de reconnaissance de la filiation maternelle n’est quant à lui pas condamné. Il s’agit bien d’une condamnation relative et prudente, prise en l’absence de consensus européen à propos de la GPA.

Dans ces conditions, il suffirait aux parents précédemment déboutés de demander à nouveau la transcription de l’acte de naissance étranger et que les membres du parquet n’intentent aucune action pour s’y opposer pour obtenir la reconnaissance française de la filiation. Un revirement de jurisprudence en corrélation avec les arrêts rendus par la CEDH serait une suite enviable pour la sécurité juridique de ces enfants issus d’une GPA à l’étranger.

Thomas CHASTAGNER

1 Circ. JUS130152, 25 janv. 2013 : JCP G 2013, act. 161, Libres propos J.-R Binet

2 Isabelle. Corpart, « Entrée en vigueur de la circulaire Taubira relative à la délivrance des certificats de nationalité française », Revue Générale du Droit

3 Philippe Biclet, « La gestation pour autrui », Médecine et Droit, Mars 2014

4 Civ. 1Re, 13 sept. 2013

5 Civ. 1Re, 19 mars 2014, n°13-50.005 : JurisData n° 2014-005309

6 Cass., Ass. Plén. 31 mai 1991, Bull civ. N°4 ; D. 1991, 417, app. Y. Chartier, note D. Thouvenin

7 CEDH, 5e sect., 26 juin 2014, n°65192/11, Mennesson c/ France : Jurisdata n°2014-015212

8 CEDH, 5e sect., 26 juin 2014, n°65941/11, Labassée c/ France : Jurisdata n°2014-015214

9 Rapport Conseil d’Etat, La révision des lois de bioéthique, 2009, ISBN : 978-2-11007712-7

10 A. Gouttenoire, « Convention de gestation pour autrui.- Condamnation mesurée de la Cour EDH au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant », La Semaine Juridique Edition Générale n° 30-35, 28 juillet 2014, 877

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