Après le « Boucher de Srebrenica », le Tribunal pénal pour l’Ex-Yougoslavie tire sa révérence

La formule britannique Last but not least s’applique parfaitement au jugement rendu le 22 novembre 2017 (1) par le Tribunal pénal pour l’Ex-Yougoslavie (TPIY), le dernier d’une longue série mais concernant un acteur essentiel de la Guerre de Bosnie, Ratko Mladic, surnommé le « Boucher de Srebrenica » en raison de son rôle dans le massacre de la population civile de la ville en 1995.

Le contexte historique

Alors que le communisme perd de son influence après la chute du mur de Berlin en 1989, laissant ainsi ressurgir les sentiments nationalistes, deux séries de guerres opposent entre 1991 et 2001, les six entités issues du morcellement de l’ancienne République fédérative socialiste de Yougoslavie (Bosnie-Herzégovine, Croatie, Macédoine, Monténégro, Serbie et Slovénie). Ces guerres s’établissant pour une part à l’Ouest et pour une autre part à l’Est et au Sud, trouvent leur origine dans des différends religieux, ethniques, économiques et politiques.

Les guerres de l’Ex-Yougoslavie furent les plus meurtrières en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale, faisant 150 000 morts, principalement des civils, et 4 millions de déplacés. Elle est marquée par des massacres et des épisodes particulièrement violents ainsi que par des réactions contrastées et pusillanimes de la communauté internationale. De plus, les conflits prennent un tournant particulier lorsque resurgit le spectre du génocide, plusieurs des parties belligérantes étant accusées de perpétrer des nettoyages ethniques.

La Guerre de Bosnie-Herzégovine, couramment appelée Guerre de Bosnie, qui s’est déroulée entre 1992 et 1995, fait sans doute figure de paroxysme de la violence, avec notamment le massacre de Srebrenica perpétré entre le 13 et le 16 juillet 1995 et au cours duquel les forces serbes de Bosnie commandées par Ratko Mladic tueront plusieurs milliers de civils.

Créé par une Résolution du Conseil de sécurité de l’ONU le 25 mai 1993, le TPIY est un tribunal ad hoc chargé de juger les différents protagonistes de ce conflit.

L’entreprise criminelle commune

Ratko Mladic était poursuivi pour sa participation entre le 12 mai 1992 et le 30 novembre 1995 à quatre entreprises criminelles communes et devait répondre de onze chefs d’accusation : deux de génocide, cinq de crime contre l’humanité et quatre de violation des lois et coutumes de la guerre.

L’entreprise criminelle commune, concept dégagé par le TPIY à l’occasion du jugement Tadic (2) en 1999 se définit comme « la manifestation d’un comportement criminel collectif » (3). Dans la mesure où les génocides et les crimes contre l’humanité visent à porter atteinte à des groupes et sont perpétrés obligatoirement par des groupes, le tribunal s’est trouvé confronté à la difficulté de juger, au cours d’un procès pénal par définition individuel, une responsabilité essentiellement collective. La notion d’entreprise criminelle commune permet donc de construire une fiction faisant de tous les participants à un crimes contre l’humanité des co-auteurs aux responsabilités interchangeables, ce qui simplifie les procédures. Ainsi, la participation à l’entreprise criminelle se caractérise par la commission d’actes en rapport avec le plan ou en sachant qu’ils serviront le projet criminel. Mais ce procédé juridique est depuis sa création très controversé en ce qu’il fait peser sur des individus une charge qui parfois les dépasse. Aussi, pour y remédier, la Cour pénale internationale (CPI) préfère se référer à au mécanisme de la coaction indirecte.

En ce qui concerne Ratko Mladic, il lui était reproché notamment d’avoir participé aux entreprises criminelles communes de génocide, l’un ayant visé les musulmans et croates de Bosnie, et l’autre ayant visé les habitants de Srebrenica.

Le Tribunal, au cours des 1750 pages du jugement, rapporte et détaille les faits étayant l’accusation. Il est fait état, entre autres, de bombardements aveugles de populations civiles, d’arrestations de jeunes hommes puis d’exécutions sommaires, de barrage empêchant l’aide alimentaire de parvenir dans les villes enclavées, de pillage, de viols et de déplacement de familles.

Les deux crimes de génocide

La Convention internationale pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1951 définit dans son article II ce crime comme étant « l’intention de détruire tout ou partie d’un groupe par [entre autres] le meurtre de ses membres (a) [ou] la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle (c) ».

En ce qui concerne le crime de génocide visant les musulmans et croates de Bosnie à l’échelle de la Serbie, le Tribunal déclare que « l’instruction a montré que les participants à cette entreprise criminelle commune ont préparé leurs troupes, logistiquement et psychologiquement, à l’usage de la violence. […] Qu’ils ont menacé les non-serbes, espérant que ces crimes violents imposeraient nécessairement l’établissement d’une communauté ethniquement homogène » (4).

Pourtant, la Cour déclare « rester prudente quant à considérer une intention collective [de détruire le groupe des musulmans de Bosnie] tirée de déclarations individuelles et sorties de leur contexte » (5). Aussi, si les éléments matériels du génocide sont réunis, les éléments moraux sont quant à eux discutables. Et au-delà de l’intention des instigateurs, le Tribunal retient qu’il n’est pas démontré que « les auteurs physiques de l’entreprise criminelle commune n’avait pas l’intention de détruire une part substantielle du groupe des musulmans et croates de Bosnie lorsqu’ils ont perpétré les actes précédemment mentionnés » (6).

En revanche, le Tribunal reconnaît que Ratko Mladic « a pris part à une entreprise criminelle commune ayant pour objectif de détruire les bosniaques de Srebrenica » (7), après qu’une part significative des habitants a été soumise à des conditions de vie particulièrement dures et que plusieurs milliers de civils (essentiellement des hommes) ont été exécuté et enterré dans des fosses communes. Il est retenu les nombres de 8 372 victimes et 25 000 déplacés (8).
À cela s’ajoute les inculpations pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre que sont les attaques contre des civils, les actes destinés à répandre la terreur ou encore les prises d’otages.

En ce que Ratko Mladic a été l’auteur d’actes déterminants, des actes de commandement militaire, sans lesquels les crimes n’auraient pas été commis comme ils l’ont été, il est considéré comme responsable, quand bien même il n’a pas personnellement et directement pris part aux faits qui lui sont reprochés, et été pour cela condamné à la prison à perpétuité.

Juger l’individu pour le groupe, le fondement du droit pénal international

Ce jugement s’inscrit dans la ligne des précédents, reconnaissant plusieurs responsables serbes coupables de génocide et crime contre l’humanité, notamment pour le massacre de Srebrenica. Mais, la reconnaissance d’un génocide à l’échelle de la Serbie est une question polémique et le TPIY n’a finalement pas franchit le pas de cette reconnaissance.

En 2007 (9), la Cour internationale de justice a jugé que le Serbie n’était pas coupable de génocide, mais avait violé son obligation de prévention du crime de génocide en ne mettant pas en œuvre les moyens suffisant pour empêcher le massacre de Srebrenica.

La logique irriguant le droit pénal international est qu’il faut juger les hommes et non les États. L’exemple du traité de Versailles, signé à l’issue de la Première Guerre mondiale et imposant à l’Allemagne des sanctions très lourdes, profondément vindicatives et ayant dans une certaine mesure conduit à la montée du nazisme et à la Seconde Guerre mondiale, a laissé un goût amer.

Aussi, depuis le tribunal de Nuremberg, institué pour juger les criminels nazis, la responsabilité pénale et personnelle des individus est recherchée, avec notamment la volonté de juger les donneurs d’ordres. Cependant, ceux-ci ayant rarement perpétré de leurs mains les crimes qui leur sont reprochés, c’est avant tout une responsabilité d’organisation, d’inspiration qui est recherchée. Celui qui par ses actes « a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou aidé et encouragé les crimes », tel que le retient l’article 7-3 du statut du TPIY.

De plus, s’il est facile de rechercher la culpabilité d’un État stable à l’administration continue, cela est plus compliqué lorsque les belligérants sont des entités sécessionistes instables, mal définies et souvent non-reconnues.

Enfin, le but ultime des tribunaux internationaux est le retour à la paix par la réconciliation. Or, si trouver et punir des coupables physiques et aisé et salvateur, condamner des États rend plus difficile la réconciliation entre les peuples.

Par ce jugement et la confirmation en appel de la condamnation de Slobodan Praljac, est clos cet épisode particulièrement violent du XXe siècle qu’ont constitué les guerres de l’Ex-Yougoslavie.

Alexis Antois

(1) TPIY, 22 novembre 2017, Ratko Mladic, n° IT-09-92-T.
(2) TPIY, 15 juillet 1999, Dusko Tadic, n° IT-94-1-A.
(3) Ibid, §191.
(4) TPIY, Mladic, § 3709.
(5) Ibid, § 4235.
(6) Ibid, § 4234
(7) Ibid, § 4970.
(8) Ibid, § 4981.
(9) CIJ, 26 février 2007, Bosnie c/ Serbie.

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