Nouvelle application du principe de loyauté : le stratagème visant l’interpellation

Par un arrêt du 15 décembre 2015, la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé loyal un stratagème ayant pour but d’interpeller l’auteur d’une infraction. En effet, le procédé utilisé par des enquêteurs consistant à se faire passer pour des acheteurs potentiels d’un véhicule en répondant à une annonce de vente pour fixer un rendez-vous avec l’auteur d’un vol dans le but de l’appréhender n’est pas un stratagème ou une machination dès lors qu’il n’avait pas pour but de provoquer l’auteur à commettre une infraction mais de l’interpeller.

Le 6 mars 2015 (1), l’Assemblée plénière s’était déjà penchée sur le principe de loyauté de l’enquête en affirmant que «le placement (…)de deux personnes retenues dans des cellules contiguës préalablement sonorisées, de manière à susciter des échanges verbaux qui seraient enregistrés à leur insu pour être utilisés comme preuve, constitue un procédé déloyal d’enquête mettant en échec le droit de se taire et celui de ne pas s’incriminer soi-même et portant atteinte au droit à un procès équitable et au principe de loyauté des preuves » (voir l’article « Sonorisation de locaux de garde-à-vue et loyauté de la preuve »).
Moins d’un an plus tard, dans un arrêt du 15 décembre 2015 (2), la chambre criminelle de la Cour de cassation étudie à nouveau le principe de loyauté non pas du point de vue du mode de preuve mais du moyen d’interpellation de l’auteur d’une infraction.

LA FIN NE JUSTIFIE PLUS LES MOYENS

La loyauté des comportements policiers dans la conduite de leurs enquêtes est une question d’actualité faisant l’objet de plusieurs arrêts récents.
Les infractions pénales sont des faits juridiques qui peuvent être librement prouvés comme le définit l’article 427 du Code de procédure pénale. Le principe de loyauté de la preuve, corollaire du principe de liberté de la preuve, signifie que pour administrer la preuve on ne peut pas utiliser des procédés déloyaux comme des manœuvres, stratagèmes, ruses, violences, tortures ou chantages.
La Cour de cassation est particulièrement regardante sur les pratiques lorsqu’il s’agit d’agents dépositaires de l’autorité publique, alors que concernant les parties privées, elle a pu accepter des preuves déloyales voire des preuves illicites.

La jurisprudence a permis petit à petit de dessiner les contours de ce principe en distinguant tout d’abord la provocation à l’infraction de la provocation à la preuve. Ainsi, dès 1996, la Cour prohibe les machinations visant à déterminer les agissements délictueux d’un individu qui auraient vicié la recherche et l’établissement de la vérité (3). Il est donc interdit pour les policiers de provoquer la commission de l’infraction mais la provocation à la preuve est possible (4). Le critère pris en compte par la Chambre criminelle est la passivité des forces de l’ordre dans la provocation à la preuve.
La Cour Européenne des Droits de l’Homme s’est elle aussi saisie de la question du principe de loyauté de la preuve en 1998 en condamnant le comportement actif des policiers poussant l’intéressé à commettre l’infraction (5).

« LES COUPS BAS SONT INTERDITS, LES SIMPLES RUSES DE GUERRE NE LE SONT PAS »

Cette phrase du Doyen Carbonnier révèle bien l’état du droit positif en matière de loyauté.
En l’espèce, M. X. a été interpelé après que des enquêteurs aient répondu à une annonce diffusée sur internet de la vente de son véhicule et lui aient donné rendez-vous en se présentant comme des acheteurs potentiels. Il a été placé en garde à vue, puis mis en examen des chefs d’association de malfaiteurs, tentatives de vols qualifiées, vols qualifiés et refus d’obtempérer.

Devant la Cour de cassation, le requérant invoquait la violation des articles 5 et 6 de la CEDH en estimant qu’il y avait eu déloyauté dans le procédé utilisé pour l’interpellation car les policiers avaient dépassé la passivité requise en répondant à l’offre de vente de la voiture.

La Chambre criminelle a rejeté son pourvoi en rappelant que « le procédé qui n’a en rien déterminé les agissements d’une personne mise en examen ne porte pas atteinte à la loyauté entrant dans les garanties du droit à la liberté et à la sûreté et du procès équitable ». En l’espèce, l’intéressé avait déjà posté son annonce sur internet ce qui prouvait bien sa détermination à vendre l’objet litigieux.
De plus, le procédé utilisé par les policiers « n’avait pas pour but de le provoquer à commettre une infraction mais de l’interpeller en dehors de son lieu de résidence, compte tenu de sa dangerosité et de l’impossibilité de l’arrêter sur les lieux où il était susceptible de se trouver sans risquer de porter gravement atteinte à l’ordre public ».
Si nous ne sommes pas en présence d’un stratagème déloyal, ne pourrait-on pas voir ici une appréciation plus tolérante du principe de loyauté vis à vis d’enquêteurs ne pouvant procéder autrement ?

Laura BEN KEMOUN

1. Cour de cassation, Assemblée plénière, 6 mars 2015 n° 14-84.339
2. Cour de cassation, Chambre criminelle, 15 décembre 2015 n° 15-84373
3. Cour de cassation, Chambre criminelle, 27 février 1996 n° 07-87633
4. Cour de cassation, Chambre criminelle, 7 février 2007 n° 96-87753
5. CEDH 9 juin 1998 Teixeira de Castro c. Portugal

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.