Vers une irresponsabilité pénale du Chef de l’État ?

Sous la monarchie, l’irresponsabilité absolue du souverain était justifiée par l’adage selon lequel « le roi ne peut mal faire ». A cette règle en totale contradiction avec les principes révolutionnaires proclamés à partir de 1789, la IIe République lui substitue un régime de responsabilité très large, englobant « tous les actes du gouvernement et de l’administration ». Par exemple, le fait pour le Président de la République de dissoudre l’Assemblée nationale était un crime de haute trahison et entraînait sa destitution de plein droit(1). A partir de la IIIe République, l’irresponsabilité présidentielle réapparaît dans les lois constitutionnelles de 1875 ; le Chef de l’État devient irresponsable, sauf le cas de haute trahison(2).

Cette irresponsabilité pénale du Président de la République s’est maintenue sous les IVe et Ve République, et s’est encore accentuée avec la loi constitutionnelle du 23 février 2007. Si elle était acceptée sous les IIIe et IVe République, étant donné le peu de pouvoirs octroyés au Chef de l’État, elle a pu paraître davantage malséante sous la Ve République.

Désormais, si les articles 67 et 68 de la Constitution de 1958 prévoient la possibilité pour la Haute Cour de destituer le Président de la République en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat », il ne s’agit toutefois que d’une responsabilité de nature politique, à propos de laquelle la loi constitutionnelle du 23 février 2007 a pris soin d’abolir tous les vocables qui donnaient une connotation répressive à l’ancienne procédure.

Si le principe de la responsabilité politique du Chef de l’État n’est pas remis en question aujourd’hui, qu’en est-il de sa responsabilité pénale ?

I. LA RESPONSABILITÉ PÉNALE DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

L’article 67, alinéa 1er de la Constitution énonce que « le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité ». Le Chef de l’État bénéficie ainsi d’une irresponsabilité totale pour les actes nécessaires à l’exercice de sa fonction. S’il commet une infraction pénale dans ce cadre, il ne pourra en aucun cas être poursuivi, ni pendant son mandat, ni après.

Avant la modification constitutionnelle de 2007, le Président de la République était responsable pénalement en cas de haute trahison commise pendant son mandat devant la Haute Cour de Justice. Aujourd’hui, ce cas de responsabilité pénale a disparu et le Chef de l’État n’est plus responsable pénalement de toutes les infractions commises dans le cadre de ses fonctions, y compris la haute trahison. Cette irresponsabilité absolue est contestée, car elle apparaît contraire aux aspirations contemporaines de justice des citoyens. Dans une réponse écrite à un député, le garde des Sceaux affirmait qu’« un projet de loi constitutionnelle mettant en oeuvre les préconisations […] destinées à mettre fin à l’inviolabilité pénale absolue du Chef de l’État pendant son mandat pour les actes autres que ceux qu’il a accomplis en qualité de Président de la République a été préparé par la Chancellerie et présenté en Conseil des ministres le 13 mars 2013. Le refus de l’opposition d’apporter son soutien à une réforme importante de nos institutions n’a pas permis au Gouvernement de présenter utilement le texte au Parlement »(3). La question d’une accentuation de la responsabilité pénale du Président de la République reste aujourd’hui encore sensible sur le plan politique.

A contrario, le Chef de l’État est responsable des actes détachables de ses fonctions, c’est-àdire des infractions commises à titre personnel, sans rapport avec sa qualité.

Sur le plan international, il peut être jugé par la Cour pénale internationale pour les actes d’une gravité exceptionnelle qu’il aurait pu perpétrer en cette qualité (crime de génocide, crime contre l’humanité, crime de guerre et crime d’agression)(4).

Il demeure responsable de toutes les infractions qu’il aurait pu commettre avant son élection ou après l’expiration de son mandat. En effet, l’irresponsabilité pénale protège la fonction et non la personne.

II. L’EXERCICE DES POURSUITES CONTRE LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

En vertu de l’article 67, alinéa 2 de la Constitution, le Président de la République « ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite ». En conséquence, toutes les poursuites engagées contre un candidat élu lors de l’élection seraient immédiatement suspendues ; elles ne reprendraient qu’un mois après la cessation de ses fonctions. La destitution du Chef de l’État qui a commis une infraction par la Haute Cour permet un engagement anticipé des poursuites, étant donné que son mandat aura pris fin immédiatement après sa décision ; cette procédure participe de l’effectivité de sa responsabilité pénale. Cependant, ce mécanisme est difficile à mettre en oeuvre, en raison notamment de la procédure et de la nécessité d’obtenir une majorité qualifiée des deux tiers. De même, le Chef de l’État pourrait être tenté de dissoudre l’Assemblée nationale pour avorter l’engagement de cette procédure.

La responsabilité pénale du Président de la République, lorsqu’elle est encourue, est engagée devant les juridictions de droit commun. Cette solution a été consacrée par la Cour de cassation dans son arrêt Breisacher en date du 10 octobre 2001(5). Selon certains auteurs, elle prenait le contrepieds de la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999(6), qui semblait donner compétence à l’ancienne Haute Cour de justice pour juger le Chef de l’État pour toutes les infractions commises par lui pendant son mandat.

L’immunité accordée est justifiée par la séparation des pouvoirs et permet l’exercice serein de la fonction présidentielle, sans subir une éventuelle ingérence de l’autorité judiciaire. Étant donné la grande notoriété de ce personnage public, un risque de multiplication de procédures infondées serait à craindre, entravant ainsi sa fonction de manière excessive.

Toutefois, cette immunité est à sens unique, puisque la Cour de cassation a décidé que le Président de la République pouvait se constituer partie civile durant son mandat(7). Cette solution a pu être critiquée, puisqu’elle crée une rupture de l’égalité des armes entre les parties : le Chef de l’État peut agir en justice alors que l’on ne peut agir contre lui, même en matière civile. De surcroît, selon l’article 64 de la Constitution, étant « garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire », le fait d’agir en justice pourrait mettre à mal son rôle constitutionnel.

Force est alors de constater, comme l’a souvent souligné la doctrine, que le premier responsable politique est le premier irresponsable juridique(8).

Dans son arrêt Urechean et Pavlicenco c/ Republique de Moldova(9) du 2 décembre 2014, la Cour européenne des droits de l’Homme a considéré qu’il y avait eu une violation du droit d’accès à un tribunal par la Moldavie en ce que le requérant n’a pas pu exercer d’action contre le Président de la République pour diffamation, en raison de son immunité. La Cour relève en effet que l’immunité accordée était « perpétuelle et absolue » (§ 50), puisque les requérants n’auraient pas pu avoir accès à une juridiction, même à l’expiration du mandat du Chef de l’État. Elle ajoute que l’inviolabilité et l’immunité totales sont à éviter (§ 52) et condamne la Moldavie. Toutefois, il est important de souligner que la décision n’a été prise qu’à une courte majorité (4 voix contre 3). L’arrêt est
cependant définitif et n’a pas été renvoyé devant la Grande Chambre.

En France, le Président de la République dispose d’une inviolabilité uniquement durant son mandat. Il redevient un justiciable comme les autres un mois après l’expiration de celui-ci. Cependant, le Chef de l’État est perpétuellement irresponsable des actes commis dans l’exercice de sa fonction présidentielle, et ce, même après la cessation de son mandat. Il semblerait qu’une telle irresponsabilité pourrait conduire à une violation du droit d’accès à un tribunal au sens de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

Cependant, la condamnation prononcée contre la Moldavie tenait essentiellement à l’appréciation de l’espèce réalisée par la Cour, et il est difficile de transposer la solution retenue au cas de la France. Il faudra donc attendre d’autres décisions pour qu’il soit statué sur la compatibilité ou non avec la Convention du système français de protection du Président de la République.

Jimmy HARANG

(1) : Article 68 de la Constitution du 4 novembre 1848
(2) : Article 6 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 relative à l’organisation des pouvoirs
(3) : Question écrite avec réponse n° 3206, du 21 août 2012
(4) : Article 5 du statut de Rome du 17 juillet 1998
(5) : Cass., ass. plén. 10 octobre 2001, Bull. crim. 2001, N°11, p. 25, n°01-84.922
(6) : Cons. const., 22 janvier 1999, n° 98-408 DC
(7) : Cass., ass. plén. 15 juin 2012, P-B+R+I, n°10-85.678
(8) : G. Carcassonne, La Constitution introduite et commentée par Guy Carcassonne, Points, 2013,
§ 447
(9) : CEDH, 3e sect., 2 décembre 2014, n° 27756/05 et 41219/07

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