Le régime juridique des biens concessifs : l’exemple de la distribution d’électricité

Retour sur les contentieux « Commune de Douai » (CE Ass., 21 décembre 2012 ; CE, 11 mai 2016)

Le 11 mai 2016, le Conseil d’État est venu clore un contentieux ancien entre la Commune de Douai et la société ENEDIS (ex ERDF) relatif à la qualification juridique de certains biens relevant de la concession. C’est dans ce contexte que le Conseil d’État a apporté un éclaircissement sur le régime juridique des biens de retour.

Né d’une volonté d’égale répartition de l’électricité sur le territoire français, le service public de l’électricité connait depuis quelques années des transformations. La loi de nationalisation du 8 avril 1946 avait créé un monopole au sein du marché de l’électricité. Seules les entreprises EDF et GDF étaient compétentes dans ce domaine.

Cependant, sous l’influence du droit de l’Union Européenne [1], ce monopole s’est partiellement ouvert à la concurrence. La loi française opère désormais une distinction entre les différentes activités qui jalonnent le marché de l’électricité : la distribution, la production, le transport et la fourniture. Tandis que la production et la fourniture de l’électricité sont soumises à la concurrence, le transport et la distribution restent des marchés régulés soumis à un monopole de Réseau de Transport d’Électricité (RTE) pour le transport et d’ENEDIS (anciennement ERDF pour Électricité Réseau Distribution France) pour la distribution. L’objectif est alors de trouver un équilibre entre concurrence et protection du service public.

C’est ainsi que dans le cadre du transport et de la distribution de l’électricité, la Commune de Douai n’a eu d’autre choix, au regard de la législation, que de sélectionner la société ENEDIS comme co-contractant. Le rapporteur public [2] qualifie alors la société ENEDIS de concessionnaire « obligatoire » de la Commune de Douai.

Le contentieux opposant la Commune de Douai à la société ENEDIS porte sur le contrat de concession de service public et plus particulièrement sur les biens relatifs à ce contrat. Trois catégories de biens peuvent être distingués.

La première catégorie est constituée par les biens de retour. Par principe, la propriété de ces biens nécessaires au fonctionnement du service public est attribuée pour la durée du contrat à la personne privée contractante et revient à l’expiration du contrat à la personne publique concédante. [3] Cette qualification a des conséquences importantes puisque la personne co-contractante ne dispose pas de la propriété sur ces biens et ne peut pas, par exemple, bénéficier d’avantages financiers associés à la propriété de ces biens.

Au contraire les biens propres sont ceux qui appartiennent au délégataire. Cette catégorie rassemble les biens appartenant à l’occupant pendant la durée de l’exploitation et en fin d’exploitation.

Enfin, les biens de reprise regroupent des biens affectés à l’exécution du service public et qui peuvent devenir la propriété de la personne publique à la fin de la concession, moyennant indemnisation. L’intégration du bien dans le patrimoine de la personne publique n’est pas automatique, puisqu’elle doit exercer pour cela son droit de reprise.

Cette distinction semble clairement établie a priori mais le contentieux entre la Commune de Douai et la société ENEDIS démontre que cette classification n’est pas si limpide. Ce contentieux a donc été l’occasion pour le Conseil d’État de clarifier la théorie des biens de retour dans un arrêt du 21 décembre 2012 [4]. Par la suite, un nouvel arrêt est venu poser un régime exceptionnel pour le cas précis de certains biens du service public de la distribution de l’électricité [5]. Que seraient les règles sans exception …

Premier épisode : les fondements de la théorie générale des biens de retour

Le régime concessif impose d’importants investissements pour le concessionnaire de travaux publics et de service public dans l’établissement et l’utilisation de réseaux. Mais la question de la propriété de ces biens peut poser de grandes difficultés.

Comme nous l’avons précisé en introduction, une distinction a été établie entre les biens de retour, les biens de reprise et les biens propres.

L’intérêt de cette distinction n’est pas négligeable puisqu’elle conditionne le régime juridique des biens considérés. De même, l’identification de biens propres, de retour, ou de reprise influe sur l’économie générale de la concession.

Cette question épineuse a fait l’objet d’un différend transformé en contentieux entre la Commune de Douai et la société ENEDIS.

Le premier arrêt rendu par le Conseil d’État est daté du 11 mai 2016. Il permet une clarification de la théorie générale des biens de retour.  

Ainsi, tous les biens nécessaires au fonctionnement du service public sont ab initio la propriété de la personne publique et font partie du domaine public. Le Conseil d’État insiste sur ce point en affirmant que relèvent de cette catégorie les « biens qui ont été nécessaires au fonctionnement du service concédé à un moment quelconque de l’exécution de la convention ». La qualification en bien de retour répond à la logique selon laquelle la personne publique doit être à même d’exercer la mission initialement concédée à l’expiration de la concession.

Cependant, le contrat de délégation ou de concession peut attribuer au délégataire ou au concessionnaire la propriété de certains ouvrages, pour la durée de la convention et à de strictes conditions. Enfin, à l’expiration de la convention, le principe du retour gratuit des biens est maintenu. Lorsque le retour se fait avant la fin la date prévue initialement, le délégataire peut demander une indemnisation pour le préjudice qu’il a subi. Cela se comprend dès lors que ce retour anticipé a empêché l’amortissement complet des biens. Le contrat est, en effet guidé par une idée d’équilibre économique entre les deux parties.

Un second arrêt est rendu en la matière le 11 mai 2016. Dans cet arrêt, le Conseil d’État pose un régime juridique spécifique aux biens du service public de la distribution d’électricité. En effet, si le droit communautaire a permis d’ouvrir à la concurrence le service public de production et de fourniture de l’électricité, les activités de transport et de distribution restent soumis à un « monopole naturel » [5].

Deuxième épisode : le cas particulier du service public de la distribution de l’électricité

La société ENEDIS est le concessionnaire « obligatoire » de la Commune de Douai dans le cadre de ce service public de distribution et de transport de l’électricité.

Le régime afférent à ce type de concession est soumis à des règles particulières.

La concession fait l’objet d’un cahier des charges, i.e. « un inventaire reprenant quels biens sont de retour et lesquels sont de reprise [6] ».  Cependant, il arrive que certains biens comme ce fut le cas entre la commune de Douai et la société ENEDIS, ne fassent pas l’objet de la même qualification par les parties. Le juge tranche donc pour l’une ou l’autre des qualifications. Dans le cas de l’arrêt qui nous retient, la commune de Douai menait une argumentation fondée sur une interprétation stricte de l’arrêt du 21 décembre 2012. Cet arrêt, rappelons-le, affirmait que les immeubles ne constituaient des biens de retour que « sous réserve qu’ils soient indispensables à l’exploitation constituée par l’activité de distribution. » Autrement dit, la commune de Douai considérait que les immeubles tels que les bureaux, les restaurants et leurs parkings qui étaient nécessaires au service public de distribution de l’électricité ne pouvaient qu’être qualifié de biens de retour.   

La Cour n’a pas retenu cette analyse puisqu’elle a tenu compte d’un autre élément. En effet, les biens en cause, i.e. les bureaux, les restaurants et leurs parkings étaient affectés à plusieurs concessions. Ainsi ils ne constituaient pas des « biens indispensables à la seule exploitation » de la concession et ne pouvaient être qualifié de biens de retour. En effet, les biens de retour ne seront qualifiés comme tels que s’ils sont indispensables « dans leur intégralité » à l’exploitation de la concession.

Les immeubles litigieux ont donc été qualifiés de biens propres de la société ENEDIS. Cela se justifie notamment par une volonté de cohérence dans la gestion des réseaux publics d’énergie sur le territoire national.

La qualification en biens de retour aurait conféré à la commune délégante la propriété de l’ensemble de ces biens. Cette situation aurait été préjudiciable à la société ENEDIS mais aurait également nui au bon fonctionnement du service public de l’électricité dans la mesure où une gestion de l’électricité sur l’ensemble du territoire aurait été complexe. C’est pourquoi le rapporteur public a logiquement proposé une solution pour le moins intéressante : « l’affectation concurrente d’un bien à plusieurs concessions de distribution d’électricité ou de gaz conduit, en principe, à le qualifier de bien propre du concessionnaire », ce que le Conseil d’État a choisi de valider.

Le régime juridique du service public de la distribution de l’électricité apparait donc de plus en plus spécifique. Au-delà du régime particulier relatif aux tarifs de la distribution d’électricité [2], ce sont désormais les biens de la concession qui seront soumis à un régime particulier. 

Le Conseil d’Etat avait admis que les biens de retour étaient par définition des biens « nécessaires » au fonctionnement du service public. Or, dans le cas particulier de la distribution de l’électricité certains biens tels que les logements et des immeubles de bureaux sont catégorisés en « biens propres » non pas en fonction de leur nécessité au service public mais en fonction des « spécificités du régime de cette concession [7] ». Dès lors, les biens affectés « concurremment à plusieurs concessions » et nécessaires au bon fonctionnement du service public sont des biens propres de la société ENEDIS.

Si cela peut apparaitre comme un paradoxe, la solution adoptée semble la plus adaptée dans le cadre de la bonne continuité du service public de la distribution de l’électricité. Ainsi que l’a résumé le rapporteur public, il convient désormais d’affirmer que « l’affectation concurrente d’un bien à plusieurs concessions de distribution d’électricité ou de gaz conduit, en principe, à le qualifier de bien propre du concessionnaire ». Mais soulignons malgré tout que cette solution reste assez spécifique à certaines concessions particulières.

Stéphanie Parassouramanaik
Université de la Réunion

[1] Les lois de nationalisations de 1946 ont créé un monopole concernant le marché de l’électricité. Le droit communautaire a permis l’ouverture partielle du marché de l’électricité à la concurrence à travers différentes dispositions :

  • la directive 96/92/CE transposée en droit français par la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité,
  • la directive 2003/54/CE transposée par les lois du 9 août 2004 relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières et du 7 décembre 2006 relative au secteur de l’énergie,
  • la directive 2009/72/CE dans le cadre du « 3ème paquet énergie » transposée par l’ordonnance du 9 mai 2011 portant codification de la partie législative du code de l’énergie. Cette codification intervient après la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (NOME) qui a apporté des aménagements importants aux dispositions antérieures

[2] Conclusions du rapporteur public M. Olivier Henrard sous CE, 11 mai 2016, Commune de Douai, n°375533

[3] Les biens nécessaires au fonctionnement du service public appartiennent à la collectivité concédante dès l’origine, sauf parfois en cas de convention d’exploitation d’un équipement, lorsque le délégataire en était propriétaire antérieurement à la passation et qu’il l’a seulement mis à disposition pour son exécution. (Cour administrative d’appel de Marseille, 6ème chambre – formation à 3, 9 juin 2016, n° 15MA04083)

[4] CE, Ass, 21 décembre 2012, Commune de Douai, n° 342788

[5] CE, 11 mai 2016, Commune de Douai, n°375533

[6] Le Petit Juriste,  La distinction classique des biens en délégation de service public », Yezza ZKIRIM, 2 mars 2011.

[7] Si le législateur a posé des règles strictes dans la fixation des tarifs d’utilisation du réseau public de distribution (art. L.341-2 et L. 341-3 du code de l’énergie), cela découle de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité.

Pour en savoir plus.

  • Lexisnexis, « La consécration de la spécificité du régime juridique des biens affectés aux concessions de distribution d’électricité » Jean-Sébastien BODA, Énergie – Environnement – Infrastructures n°7, juillet 2016, comm. 55
  • Droit administratif des biens, J. Morand-Devillier, LGDJ, ed. 2014, p. 25

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