Quelle régulation pour Orange et sa nouvelle offre de « mobile banking » ?

Initiée depuis longtemps avec l’entrée des banques sur le marché de la téléphonie mobile, l’entrée des opérateurs de téléphonie sur le marché bancaire amplifie la convergence entre ces deux marchés. Mais ces opérateurs de « mobile banking » ne se contentent plus aujourd’hui de remplacer les banques sur le terrain des services de paiement mais s’attaquent directement à leurs établissements. A ce titre, la double qualification d’opérateur bancaire et des télécoms de ce nouveau type d’acteur de la finance numérique pose la question de la nature de la régulation applicable à leurs activités. Tel sera le cas prochainement en France d’Orange, opérateur de téléphonie mobile qui proposera en avril prochain une nouvelle offre de « mobile banking » : Orange Bank.

La date de lancement d’Orange Bank n’est pas laissée au hasard et répond à un contexte réglementaire favorable : l’entrée en vigueur de l’article 43 de la loi Macron pour le 6 février 2017, modifiant l’article L. 312-1-7 du Code monétaire et financier, qui entend faciliter la mobilité bancaire des consommateurs [1] ainsi que la transposition prochaine de la nouvelle directive sur les services de paiement (« PSD » 2) prévue pour début 2018, qui encourage les procédés de l’agrégation de comptes bancaires et la normalisation de modes de paiements numériques [2] comme Orange Cash, service de paiement sans contact usant de la technologie NFC et utilisable pour les comptes Orange Bank ou d’autres banques, serait un bénéficiaire avisé.

« Orange », opérateur leader dans le domaine des télécommunications, cherche à développer sa nouvelle activité bancaire distribuée par les établissements Groupama Bank, rachetés en 2016 [3]. Dès lors, l’on s’interroge sur la nature de la régulation qui s’appliquera à cet acteur du numérique. Elle sera double. Régulation bancaire et des télécoms s’entrecroisent et s’imposent toutes deux à Orange : la première réglemente l’activité qui se développera sur un support soumis à la seconde.

L’ARCEP, un régulateur sectoriel pour le support mobile

Orange Bank est une activité bancaire et financière ayant la particularité de s’exercer directement sur le support téléphonique de son détenteur/opérateur principal. Les réseaux de téléphonie mobile se développent sur un spectre hertzien, défini depuis quelques années comme un « domaine public » [4] immatériel, et dont toute occupation privative entraîne nécessairement l’application d’un régime d’autorisation administrative soumise au paiement d’une contrepartie financière à l’occupation, la redevance domaniale.

En ce sens, la lettre de l’article L. 42-1 du Code des postes et des communications électroniques donne compétence à l’Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes (ARCEP) pour attribuer les « autorisations d’utilisation des fréquences radioélectriques ». Toutefois, le spectre hertzien n’est pas une ressource illimitée et son utilisation s’effectue tantôt de façon modérée par une distribution réglementée entre les opérateurs, tantôt « au fil de l’eau » selon la disponibilité des fréquences [5]. Ainsi, l’ARCEP détermine non seulement l’assignation des fréquences à usage de communication électronique mais aussi la réglementation de l’utilisation du spectre entre les différents opérateurs [6]. C’est dans ce cadre réglementaire que le support mobile de l’activité bancaire future d’Orange est régulé.

Cette régulation aura de près ou de loin des conséquences sur le développement et l’expansion de l’offre Orange Bank : la rapidité des services proposés, le transfert et les échanges d’informations numériques bancaires ainsi que l’accessibilité aux plateformes par le biais du spectre hertzien dépendront de l’affectation du nombre et de la qualité de fréquences conférée à Orange sous l’autorité de l’ARCEP. Néanmoins, Orange dispose des outils pour s’imposer sur un réseau avantageux comme un acteur bancaire par le biais d’Orange Bank : l’attribution de lots de « fréquences en or » – correspondant à la licence 4G – a en l’occurrence fait l’objet d’une procédure d’enchères à l’issue de laquelle Orange a su obtenir un lot avantageux pour la somme de 891 millions [7].

L’ingérence nouvelle d’un régulateur bancaire dans l’activité d’Orange… mais pour quelle réglementation ?

L’opérateur distribuera son offre sous la marque Orange Bank dans les boutiques Orange, et Groupama Banque dans les agences du même nom, ce qui n’empêchera pas la banque mobile d’être « nativement digitale » [8]. Quelle régulation pour cet établissement bancaire qui n’en est pas un ?

Les banques en ligne de services sur Internet n’ont pas le statut de banque mais sont les filiales numériques de grands groupes bancaires [9]. Orange Bank proposera des prestations qu’un établissement bancaire fournit usuellement, comme l’ouverture d’un compte de dépôt, effectuer des prêts, gérer son épargne, souscrire une assurance, etc. Mais pour produire des fonds à la hauteur de son projet, obtenir un statut de banque et développer une offre « viable », Orange a donc décidé de prendre le contrôle des actifs d’un établissement bancaire existant : Groupama Banque. En principe, l’installation d’une activité bancaire fait nécessairement l’objet d’une régulation en amont, correspondant à une « procédure de demande d’autorisation préalable » [10] encadrée par les régulateurs bancaires nationaux et européens, et prévue lorsqu’une « entreprise souhaite acquérir, augmenter ou réduire une participation dans un établissement de crédit ».

La prise de contrôle de la filiale bancaire de Groupama par Orange devait donc répondre à un certain nombre de conditions prévues au titre du « Mécanisme de supervision unique » (MSU), lequel vise à prévenir l’instabilité du système bancaire européen. A ce titre, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) assure cette supervision au regard de ses différentes compétences prévues par l’article L. 612-1 du Code monétaire et financier : elle délivre, seule ou avec le concours de la Banque centrale européenne (BCE), « les agréments ou autorisations des organismes du secteur de la banque opérant en France », et exerce, entre autres, une « surveillance permanente » de la situation financière des personnes soumises à son contrôle. Pour ce faire, l’opérateur de la téléphonie mobile a dû déposer un dossier d’autorisation conséquent auprès de l’ACPR et de la BCE du fait de son introduction nouvelle dans le secteur de la banque.

Le cadre de cette régulation ex ante est donc posé. Mais la nature du cadre ex post laisse davantage place à l’incertitude. La question s’est évidemment posée s’agissant des FinTechs, ces sociétés employant les technologies de l’information et des communications pour proposer des services financiers, et au regard du statut particulier dont bénéficiera Orange Bank, l’on est en droit d’assimiler cette réflexion à la situation de l’opérateur des télécoms.

Les regards divergent sur cette question. Pour certains, l’avenir semble à la recherche d’une adaptation de la réglementation [11] : tantôt elle fera œuvre de sévérité quant à l’entrée des nouveaux arrivants dans le secteur bancaire qui devront fournir des garanties plus poussées de solvabilité et d’assurance des dépôts [12], tantôt elle cherchera à s’assouplir à l’image de la « PSD » 2 va intégrer de nouvelles protections des données du consommateur par exemple. Pour autant, d’autres prônent l’application d’une réglementation équivalente pour ces nouveaux acteurs afin de parfaire l’exigence d’une concurrence loyale avec les opérateurs bancaires historiques [13].

Cette incertitude du cadre réglementaire dont feront l’objet ces nouveaux acteurs de la finance numérique oblige les régulateurs à opérer un véritable tour d’équilibriste, pour rendre à la fois attractives les mesures nationales afin et attirer des capitaux, mais tout en encadrant un minimum pour assurer une concurrence effective. Les régulateurs français privilégient aujourd’hui une réglementation ex post souvent plus sévère selon les comportements – hors conditions d’entrée sur le marché qui imposent une réglementation ex ante –, tandis que les régulateurs anglo-saxons prônent l’instauration d’un « sandbox » réglementaire [14] adaptable en fonction des différents opérateurs.

Finalement, plusieurs questions restent en suspens. Sur le plan juridique, d’abord : au regard du flou réglementaire existant pour cet acteur hybride du secteur bancaire d’une part, et de la multiplicité des régulateurs qui lui sont imposés d’autre part, ne devrait-on pas établir une supervision rationnalisée, centrée autour d’un organe unique de régulation adapté à ces nouveaux opérateurs financiers à double visage ? Sur un plan économico-sémantique, ensuite : assiste-t-on à une bancarisation du secteur de la téléphonie mobile, ou inversement ? Si la langue française le permettait, parlerait-on davantage de « mobilation » du secteur bancaire car dans le cas d’Orange Bank, c’est l’opérateur de la téléphonie mobile qui a acquis à hauteur de 65% Groupama Bank pour développer sa nouvelle offre bancaire, et non le contraire. Quel sera le prochain opérateur mobile à s’inscrire dans ce contexte où la finance digitale repousse progressivement les frontières de la réglementation commune des établissements bancaires pour en établir une évolutive ?

Benoit CHAMBON
Master 2 Droit Public des Affaires – Université Toulouse 1 Capitole

[1] « Le marché bancaire en France », Hélène Meziani, rapport Xerfi France – grâce à cette loi, « ce sera aux banques de prendre en charge les formalités administratives de changement d’établissement sous un délai réduit de 22 jours maximum »
[2] Et ce, par des moyens accrus de sécurité du consommateur et de nouvelles politiques de confidentialité de leur vie privée permettant une facilité de transfert
[3] « Orange Bank se met en ordre de marche », Véronique Chocron, Les Echos
[4] Loi n°96-659 du 26 juillet 1996 relative à la réglementation des télécoms
[5] « Les fréquences en France », les grands dossiers de l’ARCEP
[6] Article L.36-7 6° du Code des postes et des communications électroniques
[7] « Nous sommes très heureux du résultat, nous avons obtenu le meilleur bloc au meilleur prix, et également celui le plus éloigné du spectre de la TNT », Delphine Ernotte, directrice exécutive Orange France
[8] « Orange Bank se met en ordre de marche », op. cité
[9] Exemple : Société générale pour Boursorama banque ; « Innovation, concurrence et réglementation pour la fourniture de services bancaires en ligne », Marianne Verdier, Revue d’économie financière 2015/4
[10] La modification de l’actionnariat, ACPR
[11] « Innovation, concurrence et réglementation pour la fourniture de services bancaires en ligne », op. cité
[12] Idem
[13] « Quelle régulation pour les nouveaux entrants dans l’industrie des paiements ? », Olivier Guersent, Revue d’économie financière 2015/4
[14] « L’avenir des fintechs : quelle réglementation pour ces startups ? », Christine Lejoux, La Tribune

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