Droit et handicap, une égalité des chances ?

Alors qu’il y a plus d’un siècle, la première loi sur le handicap visait «  les infirmes nécessiteux », « les vieillards » et « les incurables », la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, définit pour la première fois le handicap et tente de l’aborder dans tous ces aspects et ses problématiques. Elle pose également les bases de toute l’évolution du droit du handicap.

 

Le handicap consiste désormais en « toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou trouble de santé invalidant » (article 2).

 

La loi de 2005, qui a mis en place des structures ad hoc pour favoriser l’intégration et l’accompagnement des personnes handicapées de manière adaptée et individualisée (I), prévoit également l’accroissement et la réorganisation d’allocations avec la création de la prestation de compensation (II), revoit la politique d’étude et d’emploi des personnes handicapées (III) et tente d’offrir pleinement leur place dans la société aux personnes handicapées (IV).

 

I.   Les Maisons départementales des personnes handicapées : un guichet unique pour une égalité de l’information

 

Les MDPH sont des groupements d’intérêt public réunissant le département, l’Etat et les organismes locaux d’assurance maladie qui en sont membres de droit. Elles peuvent réunir également d’autres acteurs locaux, notamment des représentants d’organismes gestionnaires d’établissements ou de services destinés aux personnes handicapées ou des membres d’associations.

 

Les MDPH ont une mission d’accueil, d’information, d’accompagnement et de conseil des personnes handicapées et de leur famille, ainsi que de sensibilisation de tous les citoyens au handicap. Cette mission s’organise autour de l’organisation des structures d’accompagnement (A) et de l’accès aux droits (B).

 

A.   L’organisation des structures d’accompagnement

 

Les MDPH ont la charge d’organiser l’équipe pluridisciplinaire elle-même chargée d’évaluer les besoins de la personne handicapée et la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) qui détermine le taux d’incapacité et l’attribution des aides.

 

Elles désignent aussi un référent professionnel chargé de l’insertion professionnelle des personnes handicapées ainsi qu’une équipe de veille pour les soins infirmiers ayant en charge l’évaluation des besoins infirmiers et la gestion d’une équipe d’intervention d’urgence.

 

B.   L’organisation de l’accès aux droits

  

La MDPH aide la personne handicapée à construire un projet de vie, l’accompagne, l’informe, l’oriente et désigne un référent pour répondre à ses réclamations de la manière la plus individualisée possible et pour faire le lien avec les personnes publiques ou privées qui serait visées par de telles requêtes ou réserves.

 

Cette mission est plus effectivement assurée par la CPADH qui prend les décisions relatives à l’ensemble des droits de la personne et qui a remplacé les COTOREP et CDES.Elle traite en particulier des questions d’allocations d’aides, d’éducation, de formation et d’orientation professionnelle.

 

II.   Les aides financières pour une égalité des moyens

 

Inadaptées voire insuffisantes, les allocations aux personnes handicapées ont été totalement revues en 2005. Dans la continuation de l’affaire Perruche qui avait reconnu l’existence d’un préjudice découlant de la seule naissance d’un enfant handicapé et de la loi de 2002 qui imposait la prise en charge du handicap par la solidarité nationale, la loi créé la prestation de compensation du handicap (A) ; elle a également modifié les autres dispositifs d’allocation pour mieux prendre en compte les difficultés financières bien souvent rencontrées par les personnes en situation de handicap ou par les parents d’enfants handicapés (B).

 

A.   La prestation de compensation pour une vie autonome facilitée

 

La loi du 11 février 2005 a créé un droit à compensation des conséquences du handicap quelles qu’en soient l’origine et la nature, et indifféremment de l’âge de la personne handicapée ou son mode de vie. Ce droit constitue l’un des principes fondamentaux de la loi.  

 

Cependant, le droit à compensation ne saurait se réduire à un dispositif « anti-Perruche », car cette compensation doit permettre d’apporter une réponse personnalisée à chaque personne en mettant en avant son projet de vie. La compensation doit répondre à une évaluation des besoins de la personne en fonction du projet déterminé avec l’aide de la CPADH. Elle doit pouvoir couvrir les besoins en aides humaines et techniques, l’aménagement du logement, du véhicule, les aides spécifiques ou exceptionnelles ainsi que les aides animalières adaptées en fonction des études ou de l’emploi de la personne.

 

Cette compensation répond à l’idée que la personne handicapée doit pouvoir faire les mêmes choix qu’une personne valide sans qu’elle ait à supporter un coût supplémentaire.

Cette prestation peut se cumuler avec une pension d’invalidité, avec l’allocation compensatrice pour tierce personne ou encore avec l’allocation représentative des services ménagers et les aides en nature du conseil général versées sous formes d’heures d’aides ménagères.

 

B.   Les aides spécialisées pour une réponse adaptée

 

La prestation de compensation du handicap peut se cumuler avec l’Allocation Adulte Handicapé (AAH) instaurée également par la loi de 2005. Elle est un complément pour les personnes au moins âgées de 20 ans et dont les ressources ne dépassent pas 12 fois le montant de l’AAH (24 fois pour un couple). La loi a amélioré le cumul de l’Allocation Adulte Handicapé avec un revenu d’activité en milieu ordinaire ou avec la participation aux frais d’hébergement pour les personnes accueillies en établissement. L’AAH peut être complétée par la majoration pour la vie autonome pour les personnes n’ayant pas de revenus tirés d’activité professionnelle.

 

Les personnes handicapées qui emploient une personne pour des soins ou une assistance quotidienne sont exonérées de cotisations patronales, d’assurances sociales et d’allocations familiales.

 

Certaines allocations profitent aux parents. C’est ainsi le cas de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé qui peut être complétée par une allocation journalière de présence parentale si la présence d’un des parents auprès de l’enfant est nécessaire, sauf si une personne est employée à cet effet. Il existe également une majoration de l’allocation pour les parents isolés d’un enfant handicapé.

 

Cette complexité dans les allocations existantes a été pointée du doigt par le Conseil national consultatif des personnes handicapées, dans un avis du 10 février 2009, qui relève « l’insécurité juridique » dans laquelle se trouvent les bénéficiaires.

 

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III.   L’insertion scolaire et professionnelle pour une égalité de TRAITEMENT

 

L’échec constaté du placement systématique des personnes handicapées dans des établissements spécialisés a conduit le législateur à vouloir favoriser l’intégration en milieu ordinaire pendant toute la durée des études (A) et à imposer aux entreprises l’intégration de travailleurs handicapées dans leurs structures en leurs offrant des dispositifs d’accompagnement (B).

 

A.   Scolarité: favoriser l’intégration en milieu ordinaire

 

Après une évaluation de ses compétences, l’enfant handicapé élabore avec l’aide de la commission pluridisciplinaire des MDPH un projet qui sera réadapté tout au long de sa vie scolaire en fonction de ses compétences. La principale innovation de la loi est d’affirmer que tout enfant, tout adolescent présentant un handicap ou un trouble invalidant de la santé est inscrit dans l’école de son quartier, le lycée ou l’université qui correspond le mieux à son parcours scolaire. Les parents sont pleinement associés aux décisions concernant leur enfant. Des équipes de suivi de la scolarisation et les enseignants référents sont mis en place.

 

La loi veut favoriser l’intégration des personnes handicapées en milieu ordinaire. Elle vient tempérer l’enseignement spécialisé en renforçant la possibilité de prévoir des aménagements et de recruter des assistants d’éducation afin que les élèves handicapés puissent poursuivre leurs études, passer des examens ou des concours.

 

On peut néanmoins regretter que les dispositifs ne soient pas plus allégés pour les personnes dont le handicap ne nécessite que quelques adaptations et qui ne désirent pas se déclarer et se soumettre à une évaluation. Malgré ces mesures, le nombre d’élèves handicapés scolarisés en milieu ordinaire reste insuffisant, d’autant plus que pour 115 000 élèves handicapés au primaire, il ne reste que 10 500 étudiants dans le supérieur qui se déclarent handicapés.

 

Dans l’enseignement supérieur, la loi a été complétée par les chartes Université-Handicap et Conférence des Grandes Ecoles-Handicap de 2008 dans lesquelles les acteurs tentent de déceler les handicaps d’étudiants dès la sortie du lycée et de favoriser leur intégration. Ces chartes, sans véritable valeur juridique, prévoient la mise en place d’une mission handicap ou d’un référent dans chaque établissement. Celle-ci doit assurer le repérage des futurs étudiants handicapés en collaboration avec les établissements du secondaire, leur accueil, leur suivi, la participation à l’analyse des besoins de l’étudiant avec l’aide des MDPH ; elle doit faire le lien entre les différents services de l’université ou de l’établissement, les enseignants et l’étudiant et doit également favoriser l’insertion professionnelle des étudiants en liaison avec l’AGEFIPH, l’ANPE, le FIPHFP, l’APEC.

 

B.   Emploi: favoriser l’intégration en milieu ordinaire

 

 Depuis 1987, les entreprises de plus de 20 salariés ont l’obligation d’employer des personnes handicapées dans une proportion de 6% de leurs effectifs. La loi de 2005 a accru les sanctions pour les entreprises qui ne respectent pas cette obligation en augmentant le montant de la contribution à l’AGEFIPH (Association de Gestion du Fonds pour l’Insertion Professionnelle des Personnes Handicapées). Ces sanctions vont de 400 fois le SMIC à 1500 fois le SMIC par bénéficiaire non employé. Les entreprises peuvent déduire de cette contribution certaines dépenses engagées pour favoriser l’accueil, l’insertion ou le maintien dans l’emploi de personnes handicapées.

 

En dépit de sanctions importantes, à peine plus de la moitié des entreprises concernées respectent le taux de 6% alors que 20 % des entreprises n’emploient aucune personne handicapée.

 

Les travailleurs doivent se faire reconnaître comme travailleurs handicapés, la procédure est automatique dès lors qu’il est fait une demande d’AAH. Ils peuvent alors bénéficier d’aménagements d’horaires et d’une adaptation de l’environnement de travail. A ces fins, l’entreprise pourra bénéficier d’une aide de l’AGEFIPH à laquelle s’ajoutent éventuellement des aides de l’Etat.  Dans le secteur public, les établissements sont soumis aux mêmes obligations et sanctions, le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées (FIPHFP) se substitue à l’AGEFIPH.

 

Les entreprises peuvent également se conformer à leur obligation en accueillant des personnes handicapées en stage dans la limite de 2 % de leurs effectifs, ou en sous-traitant certaines de leurs activités à des établissements particuliers destinés à favoriser l’emploi des personnes handicapées et leur réintégration dans un milieu ordinaire. Ces établissements sont de deux types :

–          Les entreprises adaptées (ancien ateliers protégés) sont des entreprises du milieu ordinaire ayant pour vocation d’employer en priorité des personnes handicapées (au moins 80%) et qui reçoivent à ce titre pour une aide forfaitaire de l’Etat pour chacun d’eux. La rémunération minimum est basée sur le SMIC.

–          Les établissements ou services d’aide par le travail (ESAT) sont des centres médico-sociaux dont la création est soumise à l’autorisation du préfet de région. Les travailleurs sont suivis médicalement et ont droit à une rémunération garantie comprise entre 55 % et 110 % du SMIC, cumulable avec l’Allocation d’Aide au Handicap. La loi améliore les droits aux congés et à la validation des acquis de l’expérience. Le travailleur handicapé intégré à un ESAT n’a pas le statut de salarié. Il ne peut donc être licencié. Toutefois, certaines règles du code du travail lui sont applicables : doivent être respectées les règles relatives à l’hygiène et à la sécurité, à la médecine du travail et aux congés payés.

 

Ces établissements tentent de favoriser l’insertion des personnes handicapées en milieu ordinaire. Depuis 2007, ils peuvent notamment le faire par des contrats de mise à disposition ou des contrats initiative-emploi (2010) qui sont systématiquement accompagnés d’un suivi et d’une aide à l’insertion du travailleur handicapé. Si le contrat est rompu, le travailleur retourne à l’ESAT.

 

IV.   Intégration en société pour une égalité citoyenne

 

Le handicap est certainement une cause importante d’exclusion. C’est la raison pour laquelle la loi impose de plus en plus de contraintes quant à l’accessibilité des locaux pour favoriser l’autonomie des personnes en situation de handicap (A) ; cette accessibilité coûteuse, parfois inadaptée et souvent insuffisante doit nécessairement être complétée par une éducation citoyenne pour favoriser au mieux l’intégration en société (B).

 

A.   L’accessibilité, un préalable nécessaire

 

 La loi de 2005 a réaffirmé le principe d’accessibilité pour tous, qui a été dégagé en 1991 et qui impose la mise en conformité sous dix ans des établissements recevant du public et des transports collectifs. Elle prévoit aussi la mise en accessibilité des communes et des services de communication publique.

 

La loi de 2005 a apporté d’autres avancées très diverses en matière d’accessibilité en reconnaissant la langue des signes comme langue à part entière et en permettant son utilisation devant les juridictions ou lors du passage du permis de conduire. Elle a également imposé l’ouverture de tous les lieux publics aux chiens guides d’aveugles ou d’assistance.

 

En outre, les personnes en situation de handicap peuvent bénéficier de cartes de stationnement ou de cartes « station debout pénible » servant de cartes de priorité.

 

B.   L’éducation citoyenne, une insertion efficace et peu coûteuse

 

La loi de 2005 a imposé aux enseignants d’éducation civique d’aborder la question du handicap dans les classes de collège afin de sensibiliser tous les élèves aux difficultés que peuvent rencontrer leurs camarades en situation de handicap. Ils doivent recevoir à cet effet une formation adéquate. Bien qu’encourageant, ce dispositif peut paraître insuffisant lorsqu’on renouvelle sans cesse le constat selon lequel le problème d’exclusion rencontré par les personnes en situation de handicap est essentiellement lié à la méconnaissance du handicap et de ses problématiques.

 

Par ailleurs, en entreprise, du fait de l’obligation d’emploi de personnes handicapées, de nombreuses initiatives sont prises pour sensibiliser les salariés afin de favoriser leur intégration. Ces initiatives peuvent être comprises dans les mesures favorisant l’emploi des personnes handicapées susceptibles de diminuer le montant de la contribution à l’AGEFIPH pour les entreprises n’atteignant pas les 6%.

 

CONCLUSION

 

Si des efforts considérables ont été faits depuis 2005 pour repenser le handicap, prendre la mesure de ses problématiques et de sa diversité, les mesures mises en place sont bien souvent insuffisantes et restent inadaptées.

 

L’intégration des personnes en situation de handicap souffre comme beaucoup de domaines de manque de moyens ou de la complexité des dispositifs. Cependant, elle connait essentiellement des difficultés propres, liées à la méconnaissance du handicap.

 

En effet, l’étendue des hypothèses recouvertes par le terme handicap est bien souvent ignorée. Ce terme juridique inclut tant les personnes handicapées physiques (surdité, cécité, problèmes de motricité…) que les personnes handicapées psychiques (troubles bipolaires, syndrome Gilles de la Tourette…), mentales (autisme, trisomie…) ou encore les personnes atteintes de maladies chroniques (sida, fort diabète…).

 

Cette diversité de situations est encore accrue par la multiplicité des sensibilités qui fait qu’un même handicap peut générer des besoins différents. Un aveugle va parfois pouvoir lire parfaitement le braille mais rencontrer plus de difficultés à se repérer seul lorsqu’un autre sera dans la situation contraire.

 

Par ailleurs, l’intégration est également rendue plus difficile par une méconnaissance tant par les personnes valides que par les personnes handicapées des moyens techniques, technologiques et humains existants qui favorisent l’intégration de ces derniers.

 

Jérôme Giannesini

Master 1 Droit des affaires, Université Paris II Panthéon Assas

Administrateur de l’Association Starting-block qui organise la campagne Handivalides

 

 

Pour en savoir plus

www.campagne-handivalides.org

http://informations.handicap.fr/decret-loi-fevrier-2005.php

 

Guide Néret Droit des personnes handicapées, Lisiane FRICOTTE, Groupe Liaisons

Rapport Gohet du 27 août 2007 sur le bilan de la loi du 11 février 2005 et la mise en place des MDPH

 

Charte Université-Handicap du 5 septembre 2007

Charte Conférence des Grandes Ecoles-Handicap du 23 mai 2008

 

www.agefiph.fr

 

Sénat, rapport d’information de M. Paul Blanc et Mme Annie Jarraud-Vergnolle, n°485-24, juin 2009

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