« La révision des lois bioéthiques » : le Conseil d’Etat satisfait de la législation française

 


 

« Comment la loi peut-elle faciliter le progrès de la science et de la médecine, tout en garantissant que ce progrès respectera les principes éthiques fondamentaux, qui comptent parmi les acquis les plus précieux de notre civilisation ? » C’est à cette question qu’a répondu le Conseil d’Etat par son étude rendue publique le 6 mai 2009.

 


 

 

Pourquoi une telle étude ?

 

Le Conseil d’Etat a reçu une lettre de mission du Premier ministre, monsieur Fillon, du 11 février 2008, lui enjoignant de procéder à un bilan de l’application de la dernière loi bioéthique en date de 2004. En réalité, cette obligation était contenue dans le texte même de la loi, qui préconisait un réexamen des dispositions après cinq ans d’application.

Avant d’aller plus loin, une petite définition de la bioéthique s’impose : ce serait le « champ des comportements et des jugements relatifs à la pratique du bien et du mal sur tout ce qui concerne la vie », ou encore, la « recherche de normes morales applicables aux sciences du vivant, y compris la médecine ». On saisit tout de suite l’importance du sujet, tant les dernières décennies ont vu se développer des pratiques scientifiques parfois discutables, et d’ailleurs, souvent discutées.

Le Conseil d’Etat a donc eu à traiter plusieurs points abordés par la législation française, dont l’on peut citer des sujets brulants comme les recherches sur l’embryon humain, le prélèvement d’organes, la définition médicale de la mort, l’eugénisme… mais également des sujets proches du domaine envisagé sans pour autant qu’ils soient déjà traités par les lois bioéthiques, comme l’euthanasie.

 

 

 

 

La législation bioéthique en France

La prise en compte par le droit français de la bioéthique remonte à un rapport du Conseil d’Etat de 1988, à l’origine de la loi du 20 décembre 1988 sur les essais thérapeutiques. Sont ensuite adoptées trois lois, dites « lois bioéthiques » du 1er juillet 1994 (relative au traitement de données nominatives ayant pour fin la recherche dans le domaine de la santé), du 29 juillet 1994 (relative au respect du corps humain) et du 29 juillet 1994 (relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain). Ces trois lois ont donné lieu à la célèbre décision du Conseil Constitutionnel du 29 juillet 1994, « Lois bioéthiques », qui a entre autre affirmé le principe à valeur constitutionnelle du respect de la dignité humaine, tiré par une audacieuse construction du préambule de la Constitution de 1946. Intervient ensuite la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique.

Il est à noter que la France est le premier pays à s’être doté d’une telle législation.

 

Les propositions du Conseil d’Etat

Recherche sur des embryons. Les lois bioéthiques limitaient déjà la recherche sur les embryons aux sujets qui étaient en surnombre lors de tentatives d’assistance médicale à la procréation. Le principe est une interdiction, avec une dérogation possible de cinq ans. Selon le Conseil d’Etat, la recherche sur les cellules souches a un fort intérêt thérapeutique, malgré les alternatives qui se développent. Ainsi, il préconise de supprimer ce moratoire pour que les scientifiques puissent travailler correctement sur cette pratique. Le régime d’autorisation obligatoire envisagé serait calqué sur celui déjà mis en place de façon temporaire par les lois bioéthiques. Les conditions posées sont la pertinence scientifique, la perspective de progrès thérapeutiques majeurs, l’impossibilité de mener des recherches dans d’autres conditions, et le respect des principes éthiques.

 

Diagnostic prénatal et diagnostic préimplantatoire. Le diagnostic prénatal concerne « l’ensemble des examens mis en oeuvre pour le dépistage précoce des maladies ou des malformations du fœtus ». Le diagnostic préimplantatoire « consiste à rechercher certaines anomalies génétiques sur des embryons obtenus par fécondation in vitro ». Le Conseil d’Etat a considéré que les limitations assorties à ces deux procédés permettaient de se prémunir contre l’eugénisme (« amélioration des caractères héréditaires de l’espèce humaine par une intervention délibérée, ici génétique »). En effet, le premier est limité la recherche d’une affection d’une particulière gravité, tandis que le second est limité à la recherche d’une maladie génétique incurable d’une particulière gravité déjà présente chez l’un des parents. En revanche, avec le perfectionnement des techniques, il paraît souhaitable de mieux informer la femme enceinte de la portée des résultats quand ils surviennent dans le délai de recours à l’avortement. Enfin, le Conseil se montre beaucoup plus réservé sur la technique dite du « double dépistage préimplantatoire ». Il s’agit d’une situation où l’on sélectionne un fœtus à implanter qui renferme des caractéristiques favorables à la guérison d’un enfant déjà né. Un délai de cinq ans est proposé, au terme duquel une nouvelle étude devra se pencher sur cette question précise. Cette technique serait maintenue malgré les problèmes éthiques qu’elle pose si les avancées médicales sont conséquentes.

 

 

 

Assistance médicale à la procréation. Il s’agit d’une technique visant à remédier à l’infertilité d’un couple. Les lois bioéthiques disposent que cette pratique n’est ouverte qu’aux couples formés d’un homme et une femme, en âge de procréer (pour les concubins, après un délai de deux ans de vie commune). De plus, elles interdisent tout transfert d’embryon post mortem. Ces conditions sont jugées correctes par le Conseil d’Etat, car en conformité avec les objectifs de la législation cherchant à concilier les impératifs techniques et les progrès technologiques et médicaux. L’étude se penche également sur la question de l’anonymat des donneurs de gamètes (spermatozoïdes ou ovocytes). Elle préconise en effet de tenir compte des demandes fondées sur la « souffrance des origines », et de la jurisprudence en la matière de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Ainsi, les enfants nés d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur pourraient avoir accès à des données non identifiantes sur le donneur, à leur majorité. Ces données sont par exemple l’âge, les caractéristiques physiques, la profession…). Seulement si le donneur le permet, l’enfant pourrait avoir accès à son identité.

 

La gestation pour autrui. Cette pratique est interdite par les lois bioéthiques. Le Conseil d’Etat ne souhaite pas revenir sur cette interdiction. En revanche, il propose de faire évoluer la réglementation concernant les enfants nés à l’étranger d’une telle pratique. Ces derniers pourraient se voir reconnaître la filiation paternelle du père biologique, et la possibilité d’accepter la délégation d’autorité parentale du père à la « mère d’intention ».

Les tests génétiques. L’étude relève deux innovations majeures. La première est le développement des « tests de prédisposition », permettant d’analyser les probabilités de développement d’une maladie. La seconde est l’offre toujours plus importante et incontrôlée de tests de paternité en ligne. Le Conseil d’Etat en appelle ici aux instances européennes pour renforcer la législation communautaire. Il s’agirait de soumettre ces pratiques à une « autorisation administrative de mise sur le marché ». La législation européenne est la seule pertinente ici parce que ce type de commerce échappe totalement aux frontières et mêle les compétences de nombreux Etats. Les autorités françaises quant à elles pourraient mettre en place ce que l’étude appelle des « référentiels de qualité », indiquant aux utilisateurs la fiabilité de ces procédés. A part cette particularité, le Conseil d’Etat juge que les conditions entourant les tests de paternité sont satisfaisantes, sauf peut-être en ce qui concerne les tests génétiques post-mortem. Ces derniers sont interdits, sauf demande expresse de l’intéressé lorsqu’il était en vie. Il serait question ici de permettre au juge de les autoriser à la demande des parties, si toutefois l’intéressé ne s’est pas expressément opposé à cette possibilité de son vivant.

 

Le don d’organes. La législation actuelle est jugée satisfaisante par le Conseil d’Etat, même s’il remarque une augmentation des cas où le prélèvement de l’organe se fait après arrêt cardiaque. Dans ce cas-ci, l’étude préconise, non seulement d’interdire le prélèvement si le patient fait l’objet d’un arrêt de traitement, mais aussi de définir les conditions de l’arrêt de la réanimation, en cas d’arrêt cardiaque réfractaire. Une attention particulière est portée sur la question du sang de cordon (lors d’une naissance, le cordon ombilical est récupéré pour ses cellules). L’utilité des cellules du cordon n’est pas encore démontrée, et ce même alors que des banques privées de sang de cordon se développent à l’étranger. Tout en disposant que les banques publiques françaises doivent augmenter leur stock de sang de cordon, le Conseil d’Etat prévoit qu’en cas d’autorisation de création de banques privées, celles-ci devront affecter les greffons en priorité à d’autres personnes que le donneur en cas de besoin.

 

La fin de vie. Ici, l’étude revient sur la loi du 22 avril 2005, dite « Loi Leonetti ». Le Conseil d’Etat en interprète les termes concernant l’arrêt de traitement, les suppléances vitales, et la mise sous sédation. Aussi, il préconise de modifier les dispositions relatives à l’autorisation collégiale d’interruption des traitements à l’égard d’un patient inconscient. Il souhaite rendre effectif le recours aux soins palliatifs, et de créer à cette fin une procédure administrative de demande d’accès à ces soins, pour le patient ou sa famille. Une discipline universitaire sur les soins palliatifs pourrait également être mise en place. Enfin, le dispositif T2A de tarification à l’activité aux soins palliatifs étant jugé comme difficilement conciliable avec les principes éthiques, le Conseil d’Etat propose son réexamen. Auparavant, les établissements de santé ou médecins recevaient en dotation un budget défini par l’Etat. Avec le T2A, chaque médecin ou établissement qui prescrit un acte le signale à l’Etat, qui le rembourse après coût. De fait, les médecins ou établissements sont tentés de prescrire des actes moins coûteux ou plus rentables, sans parler de l’idée de marchandisation de la santé, ce qui motive la proposition de révision. L’idée est de rendre plus effectif le recours aux soins palliatifs comme dérivatif aux demandes de législation sur l’euthanasie.

 

 

 

 

A noter enfin que le Conseil d’Etat indique comme souhaitable l’instauration d’un mécanisme d’examen éthique des projets français de recherche menés dans des pays étrangers.

 

Conclusion

L’étude livre une conclusion favorable au droit de la bioéthique. Ce dernier aurait atteint un équilibre difficile entre promotion de la recherche, et encadrement strict de celle-ci. On sait comme cet équilibre est complexe à atteindre, tant les questions soulevées sont intrinsèquement philosophiques et touchent à l’essence même de l’humanité. Les principes instaurés en 1994 sont assurés, effectifs et acquis. En revanche, le Conseil pointe du doigt un phénomène connu dans la plupart des autres branches du droit : la concurrence des législations étrangères. Dans un contexte de mondialisation où le droit devient un paramètre économique, un facteur de concurrence comme un autre, la bioéthique nécessite des accords internationaux et une coopération internationale accrue. Le Conseil indique d’ailleurs qu’il ne faut en aucun cas que cette concurrence des législations aboutisse « à une remise en cause des principes inscrits dans la loi et qui se veulent la traduction du primat de la dignité humaine ».

Antoine Faye

 

Pour en savoir plus :

Dossier de presse

Etude complète : « La révision des lois bioéthiques ».

Texte des lois bioéthiques par thèmes.

Un site entièrement dédié à la question : http://www.bioethique.com/

Etats généraux de la bioéthique.

 

 

 

 

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