L’indemnisation du dommage résultant d’une infection nosocomiale

Dans deux arrêts des 29 et 30 décembre 2014, le Conseil d’Etat est venu rappeler la méthode de détermination du caractère nosocomial d’une infection. Cette définition jurisprudentielle d’une infection nosocomiale présente un intérêt fondamental en matière de réparation du préjudice subi du fait de ces infections.

I. La définition jurisprudentielle d’une infection nosocomiale

L’article R. 6111-6 du Code de la santé publique dispose :

« Les infections associées aux soins contractées dans un établissement de santé sont dites infections nosocomiales ».

Force est de constater que cette définition lacunaire est peu satisfaisante. La jurisprudence a donc dû se charger de délimiter les contours de la notion d’infection nosocomiale.

Le Conseil d’État est déjà venu préciser cette notion en affirmant que l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique fait peser « sur l’établissement de santé la responsabilité des infections nosocomiales, qu’elles soient exogènes ou endogènes, à moins que la preuve d’une cause étrangère soit rapportée, seule une infection survenant au cours ou au décours d’une prise en charge et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de la prise en charge peut être qualifiée de nosocomiale »1.

Plus récemment, le 29 décembre dernier, la haute juridiction administrative a fait à nouveau preuve de pédagogie en rappelant tout d’abord la législation en vigueur en matière d’infections nosocomiales pour ensuite rappeler la définition d’une infection nosocomiale :

« aux termes du I de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique : « Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère » ; qu’en vertu de l’article 101 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, ces dispositions sont applicables aux infections nosocomiales consécutives à des soins réalisés à compter du 5 septembre 2001 ; que si ces dispositions font peser sur l’établissement de santé la responsabilité des infections nosocomiales, qu’elles soient exogènes ou endogènes, à moins que la preuve d’une cause étrangère soit rapportée, seule une infection survenant au cours ou au décours d’une prise en charge et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de la prise en charge peut être qualifiée de nosocomiale »2.

Le lendemain, le Conseil d’Etat a fait application de cette définition :

« en écartant ainsi la qualification d’infection nosocomiale tout en constatant que le prélèvement de la veine saphène avait provoqué la stase lymphatique à l’origine de l’infection, et alors que celle-ci était survenue au cours de la prise en charge médicale et que la circonstance qu’elle avait été favorisée par l’état du patient n’était pas de nature à lui ôter son caractère nosocomial, ni d’ailleurs à la faire regarder comme résultant d’une cause étrangère. »

La définition d’une infection nosocomiale est manifestement assez large afin de privilégier les patients victimes de telles infections. En effet, comme cela sera étudié plus longuement ci-après, la détermination du caractère nosocomial d’une infection implique d’importantes conséquences en matière d’indemnisation du préjudice pour les victimes.

II. L’indemnisation du préjudice subi du fait d’une infection nosocomiale

En matière de santé, le dernier domaine où perdure une obligation de sécurité de résultat concerne les infections nosocomiales. Cela n’a pas toujours été le cas. En effet, jusqu’au milieu des années 1990, les infections nosocomiales étaient soumises au droit commun de la responsabilité médicale. Dès lors, le patient se devait de démontrer l’existence d’une faute de la part du professionnel ou de l’établissement de santé pour engager sa responsabilité.

Cette solution particulièrement désavantageuse pour les patients victime d’infection nosocomiale a été progressivement abandonnée par la Cour de cassation.

Dans un premier temps, en mai 1996, la première chambre civile de la Cour de cassation a affirmé qu’ « une clinique est présumée responsable d’une infection contractée par un patient lors d’une intervention pratiquée dans une salle d’opération, à moins de prouver l’absence de faute de sa part »3. Cette inversion de la charge de la preuve a été une vraie progression en matière de droit des patients dans la mesure où la preuve de la faute en matière d’infection nosocomiale est particulièrement difficile.

En juin 1999, la Cour de cassation est allée encore plus loin en matière d’infections nosocomiales en affirmant que :

« le contrat d’hospitalisation et de soins conclu entre un patient et un établissement de santé met à la charge de ce dernier, en matière d’infection nosocomiale, une obligation de sécurité de résultat dont il ne peut se libérer qu’en rapportant la preuve d’une cause étrangère »4.

A compter des années 2000, la jurisprudence n’a fait que confirmer cette position en matière d’infections nosocomiales sans distinction entre établissements et professionnels de santé5.

Ce n’est qu’en 2002 que le législateur a, pour partie, consacré cette jurisprudence. En effet, l’article L. 1142-1 I du Code de la santé publique dispose:

« Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute.

Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère ».

La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a préféré distinguer la situation des professionnels de santé et celles des établissements.

La position actuelle tant du législateur que de la jurisprudence, en ce qui concerne les infections nosocomiales, est favorable au patient afin que celui-ci voie son préjudice indemnisé avec d’une part une définition assez large de ce qu’est une infection nosocomiale et, d’autre part, une exclusion de responsabilité limitée à la seule hypothèse de la « cause étrangère », dont la preuve doit être apportée par l’établissement de santé.

Par ailleurs, il convient de rappeler également qu’à compter de l’entrée en vigueur de la loi ABOUT du 30 décembre 2002, les préjudices liés aux infections nosocomiales sont pris en charge, sous certaines conditions, par la solidarité nationale via l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM).

Dans un souci de clarté, il convient de faire une distinction entre deux types d’infections nosocomiales.

Les premières, à savoir les infections provoquant une incapacité permanente inférieure ou égale à 25 % engagent la responsabilité sans faute de l’établissement comme cela a été développé précédemment.

Les secondes, celles provoquant une incapacité permanente supérieure à 25 % sont indemnisées au titre de la solidarité nationale. Dans ce cas, et uniquement dans ce cas, l’ONIAM dispose d’un recours à l’encontre de l’établissement de santé où le patient victime a développé son infection. En revanche, dans ce cas, l’ONIAM devra démontrer l’existence d’une faute à l’origine du dommage.

Ici encore, cette notion mériterait d’être précisée dans la mesure où le Conseil d’Etat a déjà pu se prononcer sur la question en affirmant que « la circonstance que le centre hospitalier ne puisse démontrer, par la production des protocoles de préparation et de désinfection pré-opératoire et d’entretien des sondes, avoir respecté les règles d’hygiène et d’asepsie ne suffit pas à établir l’existence d’une telle faute »6. Il semblerait ici que la jurisprudence cherche à favoriser l’indemnisation du patient sans pour autant pénaliser les établissements de santé.

                                                                         Gwendoline DA COSTA GOMES

1 CE, 21 juin 2013, n° 347450

2 CE, 29 décembre 2014, n° 367312

3 Civ.1ere, 21 mai 1996, n° 94-16586

4 Civ. 1ere, 29 juin 1999, n° 97-14254.

5 EXEMPLES : Civ.1ere, 13 février 2001, n° 98-19433 ; Civ.1ere, 21 juin 2005, n° 04-12066 ; Civ.1ere, 18 octobre 2005, n° 04-14268 ; Civ.1ere, 14 juin 2007, n° 06-10812.

6 CE, 21 mars 2011, n° 334501

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