Exportation des droits à l’assurance chômage : précisions par la Cour de Justice de l’Union Européenne

Le règlement européen n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale au sein des Etats membres de l’Union Européenne (1) a pour objectif d’organiser les procédures de coordination et de versement des prestations de protection sociale lorsqu’un ressortissant d’un Etat membre se déplace vers un autre Etat membre.

Le règlement n°883/2004 concerne notamment les prestations d’assurance chômage visées plus particulièrement au sein du Chapitre 6. À ce titre l’article 64 du règlement dispose que « le droit aux prestations est maintenu pendant une durée de trois mois à compter de la date à laquelle le chômeur a cessé d’être à la disposition des services de l’emploi de l’État membre qu’il a quitté (…) ». Il est ainsi prévu que le ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne bénéficiant des prestations chômage dans ce même Etat a droit au maintien de cette prestation dans un autre Etat membre pendant une durée maximale de trois mois. Aussi, l’article 64 ajoute que la période de trois mois « peut être étendue par les services ou institutions compétents jusqu’à un maximum de six mois ». Le texte mentionne expressément une capacité des Etats à refuser l’extension par l’utilisation du verbe « pouvoir ».

La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) dans un arrêt du 21 mars 2018 ( aff. C-551/16) s’est vue soumettre une question préjudicielle relative à l’application des dispositions concernant l’exportation des droits à l’assurance chômage au-delà de la période de trois mois.

En l’espèce, un ressortissant néerlandais bénéficiant des prestations d’assurance chômage depuis le 2 mai 2011 a informé l’institution de gestion des assurances pour les travailleurs salariés (ci-après UWV) de son intention de se rendre en Suisse afin d’y rechercher un emploi.
À ce titre il demande le maintien de ses droits à prestation d’assurance chômage pendant son séjour en Suisse et pour une période de trois mois allant du 1er septembre 2012 au 30 novembre 2012. Par suite, le ressortissant a demandé à l’UWV l’extension de la période d’exportation de ses prestations au-delà des trois mois sur le fondement de l’article 64 du règlement 883/2004.

L’UWV rejette les demandes du ressortissant sur le fondement d’instructions émanant du Ministre des affaires sociales et de l’emploi des Pays-Bas. Ces instructions demandent aux institutions de ne pas faire droit aux demandes de prolongation d’exportation des prestations d’assurance chômage après la période de trois mois prévue par le règlement 883/2004, « à moins que ce refus, au regard des circonstances particulières de l’espèce, aboutisse à un résultat déraisonnable ». En l’espèce l’institution compétente néerlandaise avait considéré que, nonobstant les initiatives du ressortissant pour trouver un emploi en Suisse, « il n’existait pas de perspectives concrètes d’emploi dans cet État ».

La Cour d’appel compétente en matière de sécurité sociale aux Pays-Bas sursoit à statuer et soumet à la CJUE la question préjudicielle suivante : Un État membre est-il en mesure de refuser, à l’un de ses ressortissants, la prolongation de la période d’exportation des prestations d’assurance chômage au sens de l’article 64 du règlement 883/2004 ?

L’article 64 du règlement n°883/2004 prévoit la possibilité pour l’institution de l’Etat compétent d’accorder une prolongation de 3 mois des prestations d’assurance chômage. (I) La Cour de Justice de l’Union européenne vient confirmer la possibilité pour un Etat membre d’adopter une mesure qui viendrait interdire la prolongation de la période de 3 mois prévue par l’article 64. (II) Cette solution émanant de la Cour de justice de l’Union européenne soulève la question de la marge d’appréciation dont dispose les États membres pour user de cette capacité de refus que leur concède la CJUE. (III)

I- L’exportation des droits à l’assurance chômage au sein de l’Union européenne

En vertu de l’article 64 du règlement 883/2004, le chômeur indemnisé dans son Etat de résidence a la possibilité de se rendre sur le territoire d’un autre État membre afin d’y chercher un emploi. Pour ce faire, le chômeur demande, avant son départ, à l’institution compétente l’autorisation d’aller chercher du travail sur le territoire d’un autre État membre. L’institution lui remet alors le document portable U2 « maintien des droits aux prestations de chômage » – contenant l’ensemble des éléments relatifs à sa situation et lui permettant de s’inscrire auprès des services pour l’emploi de l’État où il se rend. Les services pour l’emploi de l’Etat d’accueil informent le chômeur de ses obligations et adressent à l’institution compétente de l’Etat d’accueil (service de l’emploi) un formulaire U3 « Changements de situation susceptibles d’affecter vos droits aux prestations de chômage ». (2)

L’arrêt de la CJUE du 21 mars 2018 s’intéresse plus particulièrement au maintien de droit à prestations d’assurance chômage dans le cadre de la situation évoquée ci-dessus. À savoir, l’émigration d’un chômeur indemnisé par son État membre d’origine vers un autre Etat membre.

L’article 64, paragraphe 1, c., du règlement n° 883/2004 accorde aux chômeurs indemnisés d’un État membre, afin de chercher un emploi dans un autre État membre, le droit au maintien de leurs prestations de chômage pour une période de trois mois, période qui, sur le fondement du dernier alinéa de cet article, « peut être étendue par les services ou institutions compétents jusqu’à un maximum de six mois ».
La limitation à une durée de trois mois signifie qu’à l’expiration de cette période, le travailleur n’ayant pas trouvé d’emploi dans l’État où il s’est rendu doit, en principe, retourner sur le territoire de l’État compétent, pour pouvoir continuer à bénéficier du versement des prestations d’assurance chômage, à défaut de quoi il perdra tout droit à ces prestations.

II- L’absence d’obligation du maintien des droits à prestation d’assurance chômage au-delà de la période de 3 mois, confirmée par la CJUE

La CJUE commence par rappeler en matière d’interprétation d’une disposition de l’Union que, de jurisprudence constante, il convient de tenir compte des termes mais également du contexte et des objectifs poursuivis (3). C’est pourquoi, la Cour de justice de l’Union européenne, dans plusieurs considérants, évoque les travaux préparatoires ayant conduit à l’adoption de l’article 64 du règlement n°883/2004.

Aussi, comme le relèvent les gouvernements néerlandais, danois, suédois et norvégien dans leurs observations écrites « l’emploi du terme “peut”(dans l’article 64) n’impose pas aux institutions compétentes d’étendre jusqu’à un maximum de six mois la période au cours de laquelle les prestations de chômage perçues par une personne en chômage complet qui se rend dans un autre État membre pour y chercher un emploi sont maintenues ». Par ailleurs, la Cour invoque également les travaux préparatoires ayant conduit à l’adoption de la disposition. La proposition initiale de la Commission visant à rendre obligatoire une période d’exportation d’une durée de six mois n’a pas reçu l’assentiment du Conseil de l’Union européenne. Les États membres se sont alors accordés sur la formule présente aujourd’hui à l’article 64 du règlement 883/2004 qui mentionne expressément une simple possibilité de prolongation de la période d’exportation des droits à l’assurance chômage.

Il s’en suit qu’au regard du contexte de l’adoption de l’article 64 du règlement 883/2004, la volonté de la Commission n’était pas de créer une obligation à l’égard des Etats membres concernant la prolongation de la période d’exportation des prestations d’assurance chômage.

III. La marge d’appréciation laissée aux Etats membre par la CJUE

La CJUE juge, dans l’arrêt commenté, que l’article 64 « ne s’oppose pas à une mesure nationale, telle que celle en cause au principal, imposant à l’institution compétente de refuser par principe toute demande d’extension de la période d’exportation des prestations de chômage au-delà de trois mois, à moins que ladite institution n’estime que le refus de cette demande conduirait à un résultat déraisonnable. »

Le règlement n°883/2004 ne prévoit pas les conditions dans lesquelles l’extension de la période d’exportation des prestations d’assurance chômage au-delà de trois mois doit ou non être accordée à un chômeur qui se rend dans un autre État membre pour y chercher un emploi. La CJUE confirme qu’il n’y pas d’obligation à la charge des États de prolonger le délai de maintien des prestations d’assurance chômage sans pour autant préciser la marge d’appréciation à laisser aux institutions compétentes.

Faut-il alors considérer que l’État membre doit adopter des mesures nationales qui encadrent la marge d’appréciation des institutions compétentes ? La Cour de justice semble aller en ce sens. Sans préciser la marge d’appréciation, la Cour vient tout de même poser une limite en considérant que l’institution se doit de ne pas refuser la prolongation dès lors que ce refus « conduirait à un résultat déraisonnable ». Aucune disposition de droit européen, ni de jurisprudence de la CJUE ne définit la notion de résultat déraisonnable. Si la CJUE confirme la possibilité pour les Etats membre de refuser la prolongation du droit à l’exportation des prestations d’assurance chômage, elle n’en définit pourtant pas les limites via l’utilisation d’une formule sibylline.

A la suite de cet arrêt il est conseillé aux chômeurs, souhaitant se déplacer vers un autre État membre, de se renseigner sur les pratiques de l’État de destination en matière de prolongation des prestations d’assurance chômage au-delà de la période de 3 mois garantie par l’article 64 du règlement 883/2004. En effet, le risque étant qu’après le délai de 3 mois écoulé, le ressortissant, qui souhaite continuer ses recherches dans l’Etat membre où il s’est rendu, perde le bénéfice du versement des droits à prestation d’assurance chômage.

Yasmina BESSAH, Etudiante en Master Droit de la protection sociale d’entreprise à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Apprentie chez Safran

Quantin FLOMET, Etudiant en Master Droit de la protection sociale d’entreprise à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Apprentie au cabinet Fromont Briens

(1) Il convient de préciser que la Suisse entre dans le champ d’application du règlement n° 883/2004 depuis la décision, 1/12 du 31 mars 2012, en vertu de laquelle les règlements (CE) n°883/2004 et (CE) n° 987/2009 sont applicables dans les relations entre la Suisse et les États membres de l’Union européenne

(2) art. 55, rglt. N°987/2009
(3) CJUE, 8 novembre 2016, Ognyanov, C 554/14

 

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