Asile et immigration, les contours des réformes franco-italienne

La France et l’Italie sont les deux pays voisins qui ont établi à la rentrée de nouvelles dispositions en matière d’asile et immigration. Qu’en est-il du contenu de ces textes ? Afin d’y répondre, une analyse des dispositions les plus significatives est nécessaire.

France. Loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie

Publiée au Journal officiel depuis le 11 septembre 2018, la nouvelle loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, était un texte attendu depuis plusieurs mois après des débats sensibles sur la question de l’immigration. Tout d’abord, dès l’article 1er, la loi sécurise le droit au séjour des bénéficiaires de la protection internationale et des membres de leur famille, en allongeant à quatre ans, au lieu d’un an, la durée du titre de séjour pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire et les apatrides, et cela dès leur première admission au séjour et lors de son renouvellement. Cette disposition uniformise également les conditions de délivrance des titres de séjour prévues pour les membres de la famille des bénéficiaires d’une protection internationale et étend le bénéfice de la réunification familiale aux frères et sœurs du mineur réfugié.

L’article 3 prévoit des dispositions spécifiques à l’égard des mineurs notamment pour les jeunes filles exposées à un risque d’excision, à l’égard desquelles une protection renforcée est prévue. L’article 6, quant à lui, modifie la procédure d’octroi de l’asile en réduisant le délai pour les demandeurs à quatre-vingt-dix jours pour déposer une demande d’asile après leur entrée sur le territoire français, au lieu de cent vingt jours. Au-delà, la demande fera l’objet d’une procédure accélérée.

S’agissant de la procédure d’appel pour le demandeur bénéficiant de l’aide juridictionnelle, l’article 8 dispose que, celui qui sollicite l’aide juridictionnelle dans un délai de quinze jours et qui compte également interjeter appel de la décision rendue par l’OFPRA, le délai d’appel, initialement de trente jours conformément à l’article L731-2 du CESEDA, est réduit à quinze jours au moins, en fonction de la date de notification de l’aide juridictionnelle. De plus, faire appel de la décision de refus ne permettra plus de suspendre une décision d‘expulsion pour les personnes originaires de pays dit “sûrs”. 

La loi se caractérise également par un renforcement des dispositions en matière de lutte contre l’immigration irrégulière puisque l’article 6 étend la durée maximale de rétention administrative des étrangers allant jusqu’à quatre-vingt-dix jours, puis le passage de seize à vingt-quatre heures de la durée maximale de retenue pour vérification du droit au séjour avec autorisation d’inspection et de fouille des bagages tel que prévu à l’article 35. Toutefois, la question des mineurs incarcérés dans les centres de rétention n’a pas fait l’objet d’aménagement dans cette loi (voir article LPJ).

Ensuite, l’article 5 ajoute aux causes légales de refus du statut de réfugiés les cas de condamnations pour des faits graves dans un autre pays de l’Union européenne, et l’article 13 encadre la possibilité d’assigner à résidence ou de placer en rétention des demandeurs d’asile présentant une menace pour l’ordre public.

Enfin, l’article 38 traite de la question du « délit de solidarité », expression propagée dans le cadre de l’affaire de Cédric Herrou, à savoir l’aide directe ou indirecte pour faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en France et sanctionnée aux articles L. 622-1, L. 622-4 du CESEDA. La décision du Conseil constitutionnel du 6 juillet 2018 a permis d’adopter une nouvelle lecture de ces articles puisque les juges ont affirmé que lorsqu’une personne fournit une aide au séjour et à la circulation désintéressée envers des étrangers, elle ne pouvait être poursuivie. Ainsi, le délit n’a pas fait l’objet d’une abrogation mais a été aménagé afin d’exonérer l’aide de « toute personne physique ou morale lorsque l’acte reproché n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et a consisté à fournir des conseils ou accompagnements juridiques, linguistiques ou sociaux, ou toute autre aide apportée dans un but exclusivement humanitaire ». Cette disposition a déjà fait l’objet d’application par les autorités publiques, puisque le parquet de Gap a annoncé le vendredi 2 novembre avoir abandonné des poursuites contre un homme qui avait porté son assistance à une femme migrante sur le point d’accoucher. Toutefois, l’aide à l’entrée d’un étranger sur le territoire français reste sanctionnée par la loi.

Italie. Décret-loi Salvini

Le Conseil des ministres a approuvé le 24 septembre 2018 un décret-loi, appelé décret Salvini du nom du premier ministre Matteo Salvini, qui se découpe en trois parties distinctes : la première concerne l’asile, la deuxième concerne la sécurité publique et enfin la dernière est relative à la prévention des crimes organisés.

Dans les premiers articles, le décret prévoit la suppression de la protection pour raisons humanitaires. Introduite en 1998, cette protection permet aux autorités d’accorder un permis de séjour aux étrangers présentant des « motifs graves, notamment de nature humanitaire ou résultant d’obligations constitutionnelles ou internationales de l’État italien », ou aux personnes fuyant des urgences telles que des conflits, des catastrophes naturelles ou d’autres événements particulièrement graves dans des pays extérieurs à l’Union européenne. En 2017, sur 130 000 demandes, 25% ont reçu cette protection humanitaire, 52% des demandeurs ont vu leur dossier rejeté et seulement 8% ont obtenu la protection subsidiaire et le statut de réfugié. Avec le décret Salvini, ce permis de séjour ne sera délivré que pour des cas particuliers, notamment aux victimes de violence domestique ou d’exploitation professionnelle grave, aux personnes nécessitant un traitement médical car leur état de santé est sérieusement compromis ou à celles qui viennent d’un pays qui se trouve dans une situation de « calamité exceptionnelle ». Enfin, un permis de séjour est fourni à ceux qui se sont distingués par « des actes d’une valeur civile particulière ».

Concernant la détention des demandeurs d’asile, l’article 3 du décret prévoit une augmentation de la durée de détention légale pour les Centres d’identification allant jusqu’à trente jours. L’objectif de ces centres est de vérifier l’identité des demandeurs. Ensuite, l’article 4 prévoit que la détention dans les centres de résidence pour rapatriements (CPR) est passée de quatre-vingt-dix à cent quatre-vingt jours.

Le dispositif d’accueil des demandeurs a également été réduit puisque les places dans les SPRAR, “Sistema di Protezione per Richiedenti Asilo e Rifugiati”, système d’accueil géré par les autorités locales, seront limitées aux bénéficiaires de la protection internationale. Toutefois, d’autres dispositifs d’accueil existent dans le pays tel que les CAS, “Centri accoglienza straordinari”, qui accueillent 75% des demandeurs d’asile. La difficulté pour ces centres reste la surpopulation et le manque de place, ce qui laisse la place aux initiatives privées, et qui posent des difficultés, tout comme en France, puisque le droit italien dispose d’un arsenal juridique pour sanctionner les aides faites aux migrants.  L’affaire concernant le maire de Riace en Calabre, arrêté en octobre 2018 sur ordre du procureur de Locri, pour aide à l’immigration clandestine, est un écho à l’affaire de Cédric Herrou qui a permis une avancée dans la jurisprudence constitutionnelle française. Cependant, le décret Salvini ne prévoit pas d’exemption à l’égard de cette sanction.

Enfin, l’article 7 du décret étend la liste des causes de révocation ou refus de la protection, tel que les violences sexuelles, la production, possession et trafic de drogue, le vol qualifié, l’extorsion ou encore la menace ou la violence envers un agent public.

Pour l’heure, le décret a été signé par le président de la République Sergio Mattarella, et est entré en vigueur le 5 octobre 2018, lui donnant ainsi force obligatoire. Un décret-loi possède une validité de soixante jours, à moins que ce dernier ne soit converti en loi et cela exige une approbation du Parlement. Toutefois, l’application du décret dans les différentes régions d’Italie pose quelques difficultés. Le Conseil de la ville de Turin a par exemple opposé son refus quant à l’application du décret Salvini et demande la suspension du décret en raison notamment de l’inquiétude des conseillers municipaux du rejet de place en SPRAR pour les demandeurs d’asile. De plus, le 10 novembre 2018, une manifestation nationale à Rome a été lancée pour qu’un dialogue national s’ouvre entre les élus et le gouvernement.

Eléonore ARRIAL

En savoir +
– Loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie – Legifrance.gouv.fr
– Decreto Salvini – altalex.com
– La rétention des mineurs étrangers – Libertés fondamentales – Lepetitjusriste.fr

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