Crèches de Noël : interdiction constitutionnelle versus « tradition locale ininterrompue »

Les 8 et 13 octobre 2015, les Cours administratives d’appel (CAA) de Paris et de Nantes ont rendu deux arrêts aux réponses contradictoires[1] à la question de la légalité des crèches de Noël dans les bâtiments publics.

La difficulté est de déterminer si une crèche de Noël est un emblème religieux ou une décoration traditionnelle. Si la CAA de Paris s’arrête à la définition même d’une crèche, la représentation de la nativité, pour y voir un signe ou emblème religieux, la CAA de Nantes choisit de prendre en considération des critères matériels (sa taille, sa situation, l’absence d’éléments religieux annexes) pour décider que ceux-ci en font non pas un signe religieux mais une décoration traditionnelle.

 

Une interdiction constitutionnelle

Outre l’article 1er de la Constitution de 1958 qui prévoit que la République est laïque, l’article 28 de la loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905 impose le principe de neutralité des bâtiments publics[2]. Les deux arrêts retiennent indistinctement les mêmes bases légales : l’article 1er de la Constitution et l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905. Dans une décision Q.P.C. du 21 février 2013[3], le Conseil constitutionnel avait précisé le contenu et la portée du principe de laïcité prévu à l’article 1er de la Constitution en constitutionnalisant le principe de neutralité de l’État en tant que conséquence du principe de laïcité. Il est depuis impossible pour le législateur, et a fortiori pour le juge, de déroger à l’obligation de neutralité des bâtiments publics et ça n’est que par le biais de la qualification de la crèche de Noël en décoration traditionnelle que celle-ci peut échapper à l’interdiction des signes religieux au sein des bâtiments publics.

 

Une exception à titre de tradition : des critères contestables

La CAA de Nantes, écartant expressément la nécessité d’un « particularisme local », autorise l’installation d’une crèche de Noël dès lors qu’il s’agit d’une décoration traditionnelle, c’est-à-dire sous certaines conditions appréciées in concreto : une taille raisonnable, une situation non ostentatoire et l’absence de tout autre élément religieux, faisant ainsi de la crèche une installation de nature culturelle et non plus cultuelle. Or, ces critères de taille et de situation montrent vite leurs limites. D’une part, ériger des critères de discrétion à propos d’une installation destinée à être regardée, a fortiori au sein d’un bâtiment public, semble paradoxal. D’autre part, c’est au sein des « particularismes locaux » de crèches artisanales que la nature décorative d’une crèche est la plus flagrante. Ces critères de taille et de situation, s’ils permettent de tolérer les crèches discrètes au titre d’une tradition française abstraite de crèches au sein des bâtiments publics, interdisent cependant les crèches plus développées relevant d’une tradition culturelle et décorative plus affirmée tels que les santons de Provence[4]. La reconnaissance de cette tradition abstraite s’articule d’ailleurs difficilement avec le principe de neutralité puisque le concept même de la crèche est de représenter la nativité. A contrario, dissocier emblème religieux et crèche serait beaucoup plus aisé en s’appuyant sur l’aspect à la fois artisanal et touristique de celle-ci, autrement dit en s’appuyant sur un « particularisme local ». La notion déjà connue de « tradition locale ininterrompue » ne pourrait-elle pas servir à qualifier une crèche de décoration traditionnelle?

 

Florent Brunet

 

[1]CAA de Paris, 1ère chambre, 8 octobre 2015, n°15PA00814 et CAA de Nantes, 4ème chambre, 13 octobre 2015, n°14NT03400

[2] Article 28 de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat du 9 décembre 1905 : interdit « d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions ».

[3]Décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013

[4] Les Santons de Provence relèvent d’une tradition qui a poussé à l’extrême le concept de crèche : 54 mètres et 600 personnages pour la crèche provençale d’Avignon. Alors même que cette crèche a fait de la nativité un élément subsidiaire en organisant avant tout une rencontre entre un travail artisanal et l’œil du touriste, cette crèche traditionnelle ne rentrerait pas dans le seuil de tolérance.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.