L’adoption des lois du 22 juillet 2016 et 19 décembre 2016, leurs répercussions sur l’état d’urgence

À la suite de l’attaque de Nice, qui a eu lieu le 14 juillet 2016, le Parlement français a promulgué une loi le 22 juillet 2016 prolongeant l’état d’urgence.

Cette loi se compose de deux titres, l’un relatif à l’état d’urgence, le second relatif à la lutte antiterroriste. Le Parlement ne s’est pas arrêté là, puisque le 19 décembre 2016 une cinquième prolongation a été votée, ce qui amène de nouvelles implications jusqu’en juillet 2017.

I. Les nouvelles dispositions relatives à l’état d’urgence

L’article 3 de la loi du 22 juillet 2016 complète les dispositions de l’article 8 de la loi du 3 avril 1955 en ouvrant la possibilité au ministre de l’intérieur, ainsi qu’au préfet, d’ordonner la fermeture « des lieux de culte » dans lesquels « sont tenus des propos constituant une provocation à la haine ou à la violence ou une provocation à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes ».

L’alinéa 2 ajoute à ce même article 8 la question des « cortèges, défilés et rassemblement de personnes sur la voie publique ». Il est prévu qu’ils « peuvent être également interdits, à titre général ou particulier », seulement si la l’administration reste proportionnée dans sa démarche, notamment en démontrant « ne pas être en mesure d’en assurer la sécurité compte tenu des moyens dont elle dispose ».

L’article 4 introduit un nouvel article 8-1 qui permet au préfet d’autoriser les forces de l’ordre à « procéder aux contrôles d’identités prévus au huitième alinéa de l’article 78-2 dudit code de procédure pénale », c’est-à-dire « toute personne, quel que soit son comportement ». L’article prévoit également « l’inspection visuelle », «  la fouille des bagages » ainsi que « la visite des véhicules circulant, arrêtés ou stationnant sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au public ». La décision du préfet doit être motivée et les lieux concernés devront être « précisément définis » ; de plus, cela ne peut excéder vingt-quatre heures et l’acte doit obligatoirement être transmis « sans délai au procureur de la République ».

Enfin, l’article 5 permet aux autorités administratives de saisir les données informatiques durant des perquisitions prévue à l’article 11 de la loi du 3 avril 1955, dans sa rédaction du 20 novembre 2015. Le Conseil constitutionnel avait déjà été saisi d’une question prioritaire constitutionnalité le 19 février 2016 à ce sujet. Le Conseil juge que cette mesure n’est pas conforme à la Constitution et qu’elle s’apparentait à une saisie. Par conséquent, l’intervention du juge était nécessaire et des garanties notables devaient être apportées. Ainsi, l’article 5 est venu renforcer les garanties exigées. Dès l’alinéa 2, il est précisé que « les données et les supports saisis sont conservés sous la responsabilité du chef de service ayant procédé à la perquisition. A compter de la saisie, nul n’y a accès avant l’autorisation du juge ». À présent, il est prévu que « l’autorité administrative demande, dès la fin de la perquisition, au juge des référés du tribunal administratif d’autoriser leur exploitation », cela, dans un délai de quarante-huit heures à compter de sa saisine. En cas de refus du juge des référés, la loi prévoit la destruction des copies et la restitution des supports à son propriétaire.

Au regard de ces diverses dispositions, la loi du 22 juillet 2016 apporte un cadre légal nécessaire au vu de l’étendue des pouvoirs accordés aux autorités.

II. Les avancées dans la lutte antiterrorisme

La loi du 22 juillet 2016 introduit dans la loi pénitentiaire de 2009 la possibilité de mettre sous vidéo-surveillance les cellules des individus faisant l’objet de mesure d’isolement, dont le suicide ou l’évasion auront un impact important sur l’ordre public. Cette disposition a mis fin aux doutes sur la légalité d’un arrêté du garde des Sceaux en date du 9 juin 2016, posant les bases de la décision du 17 juin mettant sous vidéo-surveillance l’auteur présumé des attentats de Paris et Saint-Denis le 13 novembre 2015.
À la suite de cette décision, le Tribunal administratif de Versailles a été saisi d’une procédure du référé-liberté par l’intéressé. Dans une ordonnance du 15 juillet 2016, le juge a rejeté la demande.

C’est à la suite de cette ordonnance que les parlementaires ont dû remédier à la situation en prenant un amendement donnant ainsi une base légale à cet arrêté. Pour autant, le requérant a interjeté appel de l’ordonnance. Cela a permis au Conseil d’État de rendre une ordonnance le 28 juillet 2016. Il a été jugé que l’illégalité de l’arrêté ne pouvait être soulevée. Il est rappelé que dans le cadre d’un référé-liberté, le juge analyse les éléments présentés « en l’état de l’instruction devant lui, que l’autorité administrative, opérant la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l’ordre public, n’a pas porté d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ». Étant donné que la loi est en vigueur depuis le 22 juillet 2016, l’illégalité de la décision ne pouvait être retenue.

Ensuite, devant le juge, s’est posé la question de l’atteinte à la vie privée. Le Conseil d’État a jugé qu’il n’y avait pas d’atteintes excessives. Tout d’abord, le juge a estimé que la mesure prise revêtait « un caractère nécessaire », qu’au vu des attentats, le but recherché et la conciliation avec d’autres intérêts, tel que le maintien de l’ordre public, rendaient indispensable la décision prise par le garde des Sceaux. De plus, le juge rappelle que la loi garantit un contrôle, si la mesure n’est plus nécessaire, elle cesse.

En ce qui concerne l’atteinte à la vie privée, là aussi le Conseil d’État juge qu’il n’y a pas d’atteinte manifestement disproportionnée étant donné que l’intimité du requérant est préservée par un pare vue, qu’il n’y a ni transmission, ni enregistrement sonore et qu’une limitation de la conservation des images est prévue. On peut se demander quelle aurait été la position de la Cour européenne des droits de l’Homme. Dans sa jurisprudence, elle admet que les autorités puissent tenir compte de la personnalité du détenu, de sa dangerosité ou des actes particulièrement graves commis, afin de prendre les mesures adéquates (Ramirez Sanchez c. France, 4 juillet 2006). Pour autant, la Cour n’a jamais eu l’occasion d’apporter une réponse claire concernant la mise sous vidéo-surveillance d’un détenu. Dans l’affaire Riina contre Italie du 11 mars 2014, la requête était irrecevable. Ainsi, une interprétation européenne reste encore possible.

III. Une cinquième prolongation adoptée

À présent, la prolongation de l’état d’urgence va bien plus loin. Le 19 décembre 2016, le Parlement a entamé une cinquième prolongation. Cette loi est plus courte et ne comporte que quatre articles. Le premier proroge l’état d’urgence jusqu’au 15 juillet 2017. Cela couvre l’ensemble des campagnes électorales jusqu’à l’élection du Président de la République et celle des députés de l’Assemblée nationale.

L’article 2 modifie le régime de la succession des assignations à résidence. En effet, l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 ne pose aucune limite concernant la succession des assignations. Ainsi, un administré pouvait être assigné à résidence sur une très longue durée. Dès lors, cet article prévoit une limite maximale de 12 mois afin de respecter au mieux la liberté d’aller et venir des individus. Toutefois, en cas de doutes sérieux, l’administration peut se voir accorder trois mois supplémentaires par le juge des référés.

L’article 3 se borne à supprimer la référence faite à la loi du 21 juillet 2016 et intègre la nouvelle loi du 19 décembre 2016.

Enfin, le dernier article de cette loi rend inapplicable les dispositions de la loi du 3 avril 1955 qui rendait caduque une loi prolongeant l’état d’urgence à la suite de la démission du Gouvernement, telle que prévue par l’article 8 de la Constitution de 1958.

Éléonore ARRIAL
Master I Droit international et européen

En savoir + :

L’intégralité des lois : Légifrance – loi n°2016-987 du 21 juillet 2016 – LOI n° 2016-1767 du 19 décembre 2016

QPC 19 février 2016 : Conseil constitutionnel – décisions – 2016-536 QPC
Ordonnance Conseil d’État : Conseil-d’ État – Décisions – ordonnance 28 juillet 2016

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