Saisies issues d’une perquisition administrative : une intervention en amont du juge administratif

Par sa décision du 19 février 2016[1], le Conseil Constitutionnel a déclaré non conforme à la Constitution les dispositions relatives à l’exploitation des saisies effectuées lors d’une perquisition administrative. Cependant, la loi du 21 juillet 2016 a réintroduit cette faculté en lui apportant de nouvelles garanties.

L’article 11 de la loi du 3 avril 1955, modifié par la loi du 21 juillet 2016 prorogeant l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste instaure une nouvelle procédure de saisie et d’exploitation des données saisies ou copiées lors de perquisitions administratives. Cette quatrième prolongation de l’état d’urgence introduit, dans sa nouvelle rédaction, les saisies de terminaux informatiques et les copies de données, autorisées lorsqu’il existe des éléments relatifs à la menace que constitue pour la sécurité et l’ordre public le comportement de la personne concernée.

Une réponse aux griefs d’inconstitutionnalité

Dans sa décision, le Conseil Constitutionnel avait estimé que le législateur n’avait pas prévu de garanties légales propres à assurer une conciliation équilibrée entre l’objectif à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et le droit au respect de la vie privée. En effet, il relève deux griefs principaux. D’une part, pouvaient être copiées les données de toute personne ayant fréquenté le lieu objet de la perquisition, sans son consentement et alors même qu’aucune infraction ne serait relevée. La loi du 21 juillet 2016 corrige cette lacune en imposant un certain nombre de conditions. Ainsi, afin de saisir du matériel ou copier des données, la perquisition doit avoir révélé l’existence d’éléments relatifs à la menace que constitue le comportement de la personne, seuls les éléments répondant à cette définition pourront être exploités. Tout équipement informatique ou terminal présent peut être saisi à la condition que la copie ne puisse être réalisée ou achevée pendant le temps de la perquisition.

Des garanties inspirées de l’article 56 du Code de procédure pénale sont également insérées. En effet, cet article prévoit que l’officier de police judiciaire inventorie et place sous scellés les objets saisis. Avec l’autorisation du procureur, seuls sont conservés « les objets, documents et données utiles à la manifestation de la vérité ». Dans le cadre des saisies consécutives à une perquisition administrative, la copie ou saisie des équipements est réalisée en présence d’un officier de police judiciaire et un procès-verbal de saisie relatant les motifs de la saisie accompagné d’un inventaire est rédigé par l’agent responsable de la perquisition. En outre, le Procureur de la République est informé de cette saisie.

D’autre part, le Conseil Constitutionnel sanctionnait l’absence de recours à un juge pour autoriser l’exploitation des données, notamment lorsque la personne présente s’oppose à celle-ci. La loi du 21 juillet 2016 résout cette difficulté en prévoyant que les matériels saisis et données copiées sont placés sous la responsabilité du chef de service ayant procédé à la perquisition sans pouvoir être exploités par les enquêteurs avant que le juge administratif saisi en référé n’autorise leur exploitation.

L’autorisation préalable du juge administratif

Le juge administratif saisi en référé a quarante huit heures à compter de la demande de l’administration pour statuer. Il se prononce sur deux points. Il s’interroge quant à la régularité de la procédure de saisie ainsi que sur le lien de l’objet saisi ou copié avec la menace pour la sécurité et l’ordre public que représente le comportement de la personne. Conformément à la lettre du texte, les juridictions administratives limitent leur autorisation aux éléments présentant un lien avec la menace pour la sécurité et l’ordre public que représente le comportement de la personne[2]. Une fois l’autorisation obtenue, les équipements et terminaux saisis sont restitués à leur propriétaire dans un délai de quinze jours. Il en va de même, immédiatement, en cas de refus de l’autorisation d’exploiter du juge administratif. Dans toute hypothèse, les données collectées n’ayant aucun rapport avec la menace de la personne sont détruites dans un délai de trois mois à compter de la date de perquisition ou d’autorisation. Toutefois, lorsque survient une difficulté dans l’exploitation des données, le juge administratif peut être saisi afin de délivrer une autorisation de prorogation pour les mêmes durées.

Une difficulté est soulevée quant à l’étendue du contrôle du juge administratif. S’il doit se prononcer sur la procédure de saisie, il semble lui appartenir également de vérifier que les conditions de légalité de la perquisition administrative, préalables à la saisie, soient remplies[3].

L’intervention a priori du juge administratif est originale en ce qu’elle remet en cause le privilège du préalable dont jouit l’administration. Il appartenait néanmoins au législateur de prendre toute mesure visant au respect des libertés fondamentales. Deux possibilités s’offraient alors à lui : soit il confiait ce contrôle à un magistrat de l’ordre judiciaire, garant de la liberté individuelle et de la protection du droit de propriété, soit il confiait ce contrôle à un magistrat administratif auquel le Conseil Constitutionnel renvoie la compétence dans le cadre de l’état d’urgence s’agissant d’un régime de police administrative. Cette deuxième solution a donc été privilégiée.

Constituant un changement de circonstances de droit, le Conseil Constitutionnel pourrait être amené à se prononcer à nouveau sur ces saisies si une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité, posée dans les conditions de l’article 61-1 de la Constitution, lui était transmise. Cependant, le Conseil d’État a estimé que les conditions légales ainsi que les modalités d’autorisation et d’exploitation « apportent conjointement les garanties légales propres à assurer une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et le droit au respect de la vie privée. »[4]

Loïc LANCIAUX

[1] Décision n° 2016-536, QPC du 19 février 2016
[2] voir pour un exemple : CE Ord, 5 août 2016 N° 402139, considérant 6
[3] voir CE, ord, 12 août 2016 N° 402348, considérant 3
[4] avis du Conseil d’Etat sur le projet de loi prorogeant l’état d’urgence du 18 juillet 2016 (N° 391834)

Pour en savoir plus
– Legifrance > Les autres textes législatifs et réglementaires > Loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste
– Assemblée Nationale > Dossiers législatifs > Pouvoirs publics : prorogation de l’application de la loi sur l’état d’urgence (projet de loi, Assemblée nationale, juillet 2016)

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