L’ordonnance du 15 octobre 2015 et la réforme du droit de la famille

Prise sur le fondement de la loi du 16 janvier 2015, l’ordonnance du 15 octobre 2015, qui vise à simplifier le droit de la famille dans les domaines du divorce, de la gestion des biens des enfants mineurs et de la protection juridique des majeurs, est entrée en vigueur le 1er janvier 2016.

Après la publication du projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats, le grand mouvement de modernisation et simplification du droit civil se poursuit. Par cette nouvelle ordonnance, l’objectif est de mieux adapter le droit de la famille aux enjeux actuels de notre société. Simplicité et célérité guident l’esprit de cette réforme.

Un régime unique d’administration légale

L’intégralité des règles relatives à l’administration légale ont été revues. Le législateur a, ici, souhaité promouvoir une égalité de traitement entre les familles sans tenir compte de leur mode d’organisation. Disparaissent ainsi l’administration dite pure et simple et celle soumise au contrôle du juge au profit d’un régime unique plus simple et moins discriminant.

Le contrôle systématique du juge des tutelles dans l’accomplissement des actes de disposition était en effet très intrusif et stigmatisant pour les familles monoparentales dont le régime d’administration était proche de la tutelle. L’absence de recensement des familles relevant de ce dispositif rendait, en outre, ce contrôle inutile et inefficace. L’administrateur découvrait, bien souvent de manière fortuite, l’intervention du juge des tutelles. Dans la pratique, seul le conjoint du parent décédé était soumis automatiquement à cette administration légale. L’immixtion du juge était, de toute évidence, trop contraignante.

Le Gouvernement a entendu tenir compte de ces difficultés. L’article 3 du projet d’ordonnance réforme dans son intégralité le chapitre II, du titre IX, du Livre Ier du Code civil. Il aménage, mais maintient, le contrôle du juge dont l’action est désormais recentrée sur les situations les plus à risques. L’administrateur, qu’il soit unique ou non, peut désormais effectuer, sans autorisation judiciaire, les actes conservatoires, les actes d’administration et la plupart des actes de disposition qui concernent le patrimoine du mineur. Fondé sur une présomption de bonne gestion des biens du mineur par les représentants légaux, ce régime allégé de l’administration légale réserve l’autorisation du juge des tutelles aux seuls actes qui pourraient affecter « de manière grave, substantielle et définitive le patrimoine du mineur »[1] (vente d’un immeuble ou d’un fonds de commerce par exemple).

Le juge peut néanmoins exercer son contrôle dès lors que la situation du mineur l’exige (constat de dysfonctionnements dans la gestion de ses biens) et ainsi soumettre un ou plusieurs actes de disposition à son autorisation préalable. Ce contrôle a posteriori apparaît cependant dangereux pour les intérêts du mineur. Il suppose donc un climat de grande confiance familiale susceptible, dans le futur, de faire l’objet d’un important contentieux.

L’ordonnance introduit par ailleurs une exception notable dans le domaine des biens soumis à la jouissance légale : les sommes reçues par le mineur au titre de l’indemnisation d’un préjudice extrapatrimonial dont il a été victime sont exclues de la jouissance légale. Quant à l’époux survivant, il n’est plus dans l’obligation de procéder à un inventaire des biens du mineur.

L’habilitation familiale : une nouvelle mesure de protection des majeurs

La gamme des mesures de protection s’enrichit ainsi d’un nouveau dispositif. Créé sur le modèle des habilitations judiciaires entre conjoints, l’habilitation familiale « tend à permettre aux familles qui sont en mesure de pourvoir, seules, aux intérêts de leur proche vulnérable d’assurer cette protection, sans se soumettre au formalisme des mesures de protection judiciaire »[2]. Elle s’ajoute donc aux quatre autres mesures de protection déjà existantes et s’inscrit dans la philosophie générale des mesures de protection des majeurs fondée sur les principes de nécessité, de proportionnalité et de subsidiarité (article 428 du Code civil).

Pourtant, l’habilitation familiale, dont la durée ne peut excéder 10 ans[3], se veut plus souple et plus facile à mettre en œuvre que la curatelle et la tutelle. Elle extrait la protection des majeurs du processus de judiciarisation. Elle peut porter sur « plusieurs actes que le tuteur a le pouvoir d’accomplir, seul ou avec une autorisation »[4] du juge ou bien être de portée générale si le juge l’estime nécessaire pour l’intérêt du majeur. L’habilitation couvre alors indistinctement l’ensemble des actes patrimoniaux affectant les biens du majeur et peut porter sur sa protection personnelle. Le juge, une fois la personne destinée à recevoir l’habilitation désignée, n’est dès lors plus censé intervenir.

Malgré tout, l’habilitation familiale s’inspire fortement de ces deux régimes de protection. Elle organise en effet une incapacité générale d’exercice qui empêche la personne protégée d’exercer les droits confiés à la personne habilitée à peine de nullité. Les cas d’ouverture sont semblables et seuls peuvent saisir le juge des tutelles, sur requête accompagnée d’un certificat médical circonstancié[5], les ascendants, descendants, frères et sœurs, partenaires pacsés ou concubins d’un majeur hors d’état de manifester sa volonté. S’il est justifié que le conjoint marié ne puisse pas représenter le majeur protégé, dans la mesure où il bénéficie des dispositifs propres au régimes matrimoniaux qui lui offrent déjà la possibilité de gérer les biens du ménage, on peut regretter qu’il ne lui soit pas permis de saisir directement le juge des tutelles. En réalité, comme le précise le professeur Gilles Raoul-Cormeil, « les rédacteurs de l’ordonnance ont posé le postulat que le demandeur à l’habilitation familiale serait la personne qui souhaite exercer cette charge »[6]. Dès lors seules sont habilitées les personnes qui ont qualité pour saisir le juge.

La clarification des pouvoirs du juge dans la procédure de liquidation

Par la loi du 12 mai 2009, portant simplification et clarification du droit et d’allègement des procédures, le juge aux affaires familiales, déjà compétent pour prononcer le divorce, s’était vu confié la compétence du TGI en matière de liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux.

Une zone d’ombre persistait néanmoins : le juge pouvait-il, alors qu’il statuait sur le divorce, désigner un notaire en cas de désaccord des époux sur la liquidation de leur régime ? La circulaire du 16 juin 2010[7] était alors venue préciser les conséquences de ce changement. Celle-ci avait strictement séparé les deux procédures : le prononcé du divorce vidait le juge de sa saisine. Il appartenait dès lors aux époux de régler, soit de manière amiable, devant notaire, la liquidation de leur régime matrimonial, soit de saisir à nouveau le juge afin qu’il puisse désigner un notaire pour procéder au partage judiciaire du régime.

Le champ d’application des deux procédures était à peu près fixé lorsque la Cour de Cassation a jeté de nouveau le trouble par deux décisions[8]. La première chambre civile estimait en effet que le juge aux affaires familiales était compétent pour désigner, lorsqu’il se prononçait sur le divorce, un notaire. Ces deux décisions, qui privilégiaient la résolution judiciaire à l’accord amiable, étaient donc contraires à l’esprit de la loi du 26 mai 2004 relative au divorce.

En conséquence le Gouvernement a souhaité intervenir et clarifier la procédure applicable. L’ordonnance du 15 octobre 2015 a souhaité trouver un point d’équilibre. En abrogeant l’article 267-1 du Code civil et modifiant l’article 267, elle pose le principe d’une séparation entre le prononcé du divorce et le partage des biens des époux mais admet que le juge puisse statuer sur la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux si le désaccord subsiste entre les parties. Le débat est désormais clos.

 

Quentin BOUCLET

Pour en savoir plus

  1. Batteur, « La réforme de l’administration légale simplifie tout : mais à quel prix ? », l’Essentiel Droit de la famille et des personnes (n°10), p.1.
  2. Raoul-Cormeil, « L’habilitation familiale ou la tutelle simplifiée », Gazette du Palais (N° 277 à 279), p 5-10

[1] Nouvel article 387-1 du Code civil

[2] Rapport au Président de la République, JO 16 octobre 2015, p. 19 301

[3] Un renouvellement est possible. Sa durée est en principe celle de la mesure initiale.

[4] Nouvel article 494-6, al.2, du Code civil

[5] La mesure est également ouverte au ministère public

[6] « L’habilitation familiale : une tutelle adoucie, en la forme et au fond », Gilles Raoul-Cormeil, D. 2015. 2335

[7] Circulaire CI/10/10 de présentation de l’article 14 de la loi du 12 mai 2009 et du décret d’application 2009-1591 du 17 décembre 2009

[8] Cass. Civ 1ère, 12 avril 2012, n°11-20.195 et Cass. Civ 1ère, 7 novembre 2012, n°12-17.394, Bull. civ, n° 231, p.223

 

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