Assurance-construction : Vigilance de mise quant à l’activité et au procédé déclarés à l’assureur décennal

Le législateur a structuré le droit de la construction autour d’un système d’assurances obligatoires, permettant en principe de sécuriser la situation du maître de l’ouvrage en cas de désordres.

Tout maître de l’ouvrage, professionnel comme particulier, trouvera donc un avantage conséquent dans le recours en garantie dirigé à l’encontre de l’assureur, en raison de la solvabilité en principe largement supérieure de celui-ci à celle de l’assuré. Cette sécurité, dont bénéficie le maître de l’ouvrage, a reçu dernièrement une menace de taille au travers de la faillite en série d’assureurs agissant au titre de la libre prestation de services.

En outre, les restrictions à la sécurité apportée par ce système d’assurances obligatoires trouvent une nouvelle application quant à l’étendue de la garantie due par l’assureur décennal au regard de l’activité et du procédé déclarés par l’assuré. Dans ce sens, par le biais de deux arrêts rendus respectivement le 16 octobre 2018 (1) et le 8 novembre 2018 (2), la troisième chambre civile de la Cour de cassation privilégie une analyse stricte du champ de la garantie due par l’assureur décennal, en excluant la mobilisation de la garantie en raison de l’inadéquation entre l’activité déclarée et l’activité réellement pratiquée pour l’un, et le procédé déclaré et le procédé réellement utilisé pour l’autre.

I – De l’inadéquation entre l’activité déclarée et l’activité réellement pratiquée

L’arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 18 octobre 2018 consacre, au détriment du maître de l’ouvrage, une conception stricte de « l’activité déclarée » et en conséquence de la garantie due par l’assureur décennal.

En l’espèce, un particulier avait souscrit auprès d’une société un contrat de construction de maison individuelle ayant précisément pour objet la réalisation d’une maison, d’un garage, d’une piscine, d’un mur de clôture ainsi que la restauration d’un cabanon en pierre.

Consécutivement à l’abandon du chantier par le constructeur, le particulier l’avait dans un premier temps assigné en réparation des désordres et inexécutions, obtenant ainsi la réception judiciaire de l’ouvrage et la reconnaissance de l’entière responsabilité du constructeur. Dans un second temps, suite à la constatation de nouveaux désordres, le particulier avait assigné cette fois-ci l’assureur décennal du constructeur.

Dans la présente affaire, après avoir constaté que le constructeur n’avait pas souscrit de garantie spécifique au titre l’activité de construction de maisons individuelles, le juge de première instance (3) avait débouté le particulier de sa demande tendant à obtenir de l’assureur décennal du constructeur la prise en charge des nouveaux désordres. Par la suite, la cour d’appel d’Aix-en Provence (4) avait confirmé dans toutes ses dispositions le jugement de première instance.

Le particulier a donc formé un pourvoi en cassation, faisant grief à l’arrêt d’appel de ne pas avoir cherché si « les désordres invoqués se rapportaient à l’une des activités de construction déclarées par cette société dans le contrat d’assurance », mais encore, de ne pas avoir cherché si « l’ensemble des activités déclarées par la société ne correspondait pas manifestement » à une activité de construction de maisons individuelles, d’avoir comparé la police souscrite avec d’autres polices proposées par l’assureur, ainsi que d’avoir « laissé sans réponse les conclusions d’appel du particulier soutenant que l’assureur décennal avait, en cours d’instance, admis que le contrat d’assurance s’appliquait aux travaux de construction de la maison ».

Les juges de la troisième chambre civile de la Cour de cassation ont rejeté le pourvoi en estimant que le contenu du contrat d’assurance et l’absence de déclaration d’activité de construction de maisons individuelles ne permettaient pas, en l’espèce, la mobilisation de la garantie décennale. En effet, seuls les travaux de techniques courantes (gros oeuvre, plâtrerie – cloisons sèches, charpentes et ossature bois, couverture- zinguerie, plomberie – installation sanitaire, menuiserie – PVC) étaient couverts par le contrat d’assurance, alors que le constructeur intervenait dans le cadre d’un contrat de construction de maisons individuelles non déclaré à son assureur décennal.

Cette solution s’intègre dans une jurisprudence contemporaine rigoureuse quant à l’adéquation entre l’activité déclarée et la garantie due par l’assureur décennal en matière d’activité de construction de maisons individuelles.

De jurisprudence ancienne (5), il est acquis que la garantie due par l’assureur décennal ne concerne que « le secteur d’activité professionnelle déclaré par le constructeur ». Ce principe, qui peut apparaitre tout à la fois logique et simple, doit pourtant être adapté par la jurisprudence à des situations équivoques et complexes. La question de la couverture assurantielle de l’activité de construction de maisons individuelles fait partie de ces situations complexes à trancher lorsque le constructeur n’est pas spécialement assuré à ce titre.

Dans deux précédents arrêts rendus par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 26 octobre 2017 (6) et le 16 novembre 2017 (7), la juridiction prenait déjà la direction de la position actuelle.

Dans l’arrêt d’octobre 2017, la Cour avait pu affirmer que « la garantie de l’assureur n’était pas susceptible d’être mobilisée » lorsqu’une activité de construction de maisons individuelles (avec fourniture de plan en l’espèce) n’avait, d’une part pas été déclarée à l’assureur décennal et d’autre part été formellement et clairement exclue par la police de responsabilité souscrite.

Dans l’arrêt de novembre 2017, rendu dans la continuité de la précédente argumentation, le Cour de cassation avait déchargé l’assureur décennal de sa garantie, jugeant que la clause excluant l’activité de construction de maisons individuelles (sans fourniture de plan en l’espèce) était conforme aux dispositions du code des assurances et donc licite. Cette position était d’autant plus stricte à l’égard du maître de l’ouvrage, que le contrat à l’origine du contentieux était un marché de travaux et que la Cour a souverainement estimé que l’activité pratiquée correspondait en réalité à une activité de construction de maisons individuelles.

Le raisonnement défendu par le demandeur au pourvoi dans l’arrêt du 16 octobre 2018 s’appuyait quant à lui sur une jurisprudence ancienne, en opposition avec les arrêts précités.

Dans un arrêt du 12 novembre 2003, la troisième chambre civile de la Cour de cassation (8) avait au contraire consacré en l’espèce l’obligation de l’assureur décennal de mobiliser sa garantie, alors que le constructeur n’était pas spécifiquement assuré au titre de la construction de maisons individuelles. La troisième chambre civile avait en effet désavoué le raisonnement de la cour d’appel qui n’avait pas cherché « si les activités déclarées par le constructeur lors de la souscription du contrat d’assurances ne correspondaient pas aux travaux à l’origine des désordres, indépendamment de la forme du contrat conclu avec les maîtres de l’ouvrage ».

La position défendue par la Cour de cassation dans l’arrêt du 16 octobre 2018 peut à la fois être félicitée par certains égards et critiquée par d’autres.

Certains auteurs ont souligné la portée pratique et réaliste de cette position car une décision inverse « compliquerait sérieusement la tâche des assureurs contraints à opérer des déductions subtiles en fonction de la multitude de tâches remplies par telle ou telle entreprise » (9). Cette décision permet de donner une certaine lisibilité à la jurisprudence relative au champ de la garantie due par l’assureur décennal en matière d’activité de construction de maisons individuelles.

Il ressort en effet clairement de cette série d’arrêts que le constructeur s’adonnant à une activité de construction de maisons individuelles doit avoir formellement et précisément déclaré celle-ci auprès de son assureur décennal, sans quoi, sa garantie pourrait ne pas être mobilisée.

Pour autant, on peut aussi être critique à l’égard de la position peu analytique et presque dogmatique de la juridiction. En se refusant à rechercher si les divers corps d’état assurés ne correspondaient pas, dans les faits, aux désordres invoqués, la Cour appréhende cette question de façon radicale. C’est en réalité la spécificité et l’autonomie de l’activité de construction de maisons individuelles (contrat spécial au régime particulier) qui semblent justifier le refus d’établir une telle analyse.

D’un point de vue purement pratique, il apparaît donc qu’un constructeur, bien qu’assuré pour un très grand nombre d’activités relatives à la construction d’une maison, peut voir son assureur décennal totalement déchargé de sa garantie, car il intervient au titre d’une activité de construction de maisons individuelles.

II – De l’inadéquation entre le procédé déclaré et le procédé utilisé

La tendance à une appréciation stricte de ce que recouvre « l’activité déclarée » par le constructeur à son assureur décennal, semble être prolongée dans un arrêt du 8 novembre 2018 (2) rendu lui aussi par la troisième chambre civile de la Cour de cassation.

En l’espèce, une société avait réalisé des travaux d’étanchéité horizontale sur plusieurs chantiers.
Suite à l’apparition de divers désordres, les maîtres des ouvrages desdits chantiers avaient assigné l’assureur décennal de la société ayant réalisé les travaux.

La société en cause avait bien souscrit une assurance décennale concernant une activité d’étanchéité sur supports horizontaux et exclusivement par procédé « Paralon », mais avait, sur les chantiers en cause, mise en œuvre cette activité d’étanchéité par procédé « Moplas SB » et non pas « Paralon ». Précédemment dans cette même affaire, la cour d’appel de Poitiers (10), avait partiellement infirmé le jugement de première instance, en estimant que « la clause limitative de garantie à l’activité d’étanchéité par procédé PARALON faisait obstacle à la mobilisation de la garantie décennale ».

La société d’étanchéité a alors formé un pourvoi en cassation, faisant grief à l’arrêt d’appel d’avoir refusé de mobiliser la garantie décennale alors que, selon elle, les désordres pour lesquels la garantie de l’assureur était poursuivie correspondaient à l’activité déclarée, la mise en œuvre d’un procédé d’étanchéité particulier ne pouvait servir de motif pour exclure la garantie, la clause en cause était contraire aux articles L. 243-8 et A 243-1 du code des assurances  et devait donc être réputée non écrite, et l’équivalence entre le procédé Paralon et Moplas injustifiait le refus de garantie.

La troisième chambre civile de la Cour de cassation a finalement rejeté le pourvoi en estimant que l’utilisation d’un procédé d’étanchéité autre que celui précisément visé par la police d’assurance faisait échec à la mobilisation de la garantie décennale.

Cette décision intervient dans un contexte jurisprudentiel moins établi que celui de l’arrêt du 16 octobre 2018.
L’exclusion de garantie en matière d’assurance décennale reste en principe marginale. En effet, la liberté contractuelle des assureurs est fortement circonscrite depuis une loi de 1978 subordonnant ces contrats d’assurance à des clauses types annexées aux articles A 241-1 et 243-1 du code des assurances.

A ce titre, l’article A 241-1 du code des assurances autorise limitativement trois cas d’exclusion de garantie. L’argumentation défendue par le demandeur au pouvoir consistait justement à établir que les termes trop restrictifs de l’attestation d’assurance (limitation à un procédé technique d’étanchéité) correspondaient en réalité à une exclusion de garantie indirecte, contraire aux règles d’ordre public précitées.

Les précédents jurisprudentiels semblaient dégager une certaine défiance de la part de la troisième chambre civile à l’égard des motifs d’exclusion de garantie fondés sur les techniques ou les moyens d’exécuter l’activité déclarée. Deux arrêts témoignent en effet de cette tendance.

Par un arrêt rendu en date du 10 septembre 2008 (11), la troisième chambre civile semblait considérer, de façon générale, que le champ de la garantie due par l’assureur décennal devait être apprécié uniquement au regard de l’objet de l’activité déclarée, et non des modalités d’exécution de cette dernière.

Par un autre arrêt rendu en date du 19 juin 2007 (12), la même juridiction a pu considérer que les termes d’un contrat d’assurance subordonnant la garantie décennale à l’utilisation de certains matériaux et à certains modes de construction admis par des institutions professionnelles, constituaient une clause trop restrictive, contraire aux règles d’ordre public relatives à l’étendue de l’assurance de responsabilité obligatoire et devait donc être réputée non écrite.

L’arrêt rendu le 8 novembre 2018, sans pour autant être en véritable opposition avec les jurisprudences précitées, semble tout de même s’inscrire à contre-courant puisque les juges ont écarté la garantie décennale en estimant que la clause bien que limitative, était implicitement licite.

Une fois de plus, cette jurisprudence concentre des aspects positifs comme négatifs.

Il est vrai que la position défendue par la troisième chambre civile de la Cour de cassation est juridiquement fondée. En effet, le caractère circonscrit de la clause limitant la couverture à un procédé bien particulier rend cette clause précise et spéciale. N’est donc évidemment pas consacré ici un droit au profit de l’assureur décennal d’introduire de façon générale et imprécise des clauses limitatives quant au procédé utilisé. D’un point de vue rationnel, il semble compréhensible qu’un assureur veuille se préserver des conséquences préjudiciables de l’utilisation d’une technique pas encore fiable ou peu reconnue.

Pour autant, cette solution, certes pragmatique, porte une atteinte importante à la sécurité du maître de l’ouvrage. Il semble en effet difficile pour le non averti de saisir les nuances subtiles entre les différents procédés utilisés par les constructeurs et le cas échéant refuser la substitution d’un procédé à une autre afin de préserver sa garantie.

L’exigence quant à la diligence du maître de l’ouvrage semble donc être poussée à son paroxysme au regard de ces arrêts.

Le maître de l’ouvrage doit en effet, à titre préliminaire, se renseigner sur l’assureur de son constructeur afin de ne pas subir les conséquences préjudiciables d’une faillite, mais encore, vérifier que le constructeur de maisons individuelles est bien assuré à ce titre et ne pas céder à l’illusion d’une assurance divers corps d’état, puis enfin, contrôler la conformité des procédés utilisés par ce dernier. Pourtant, le maître de l’ouvrage étant le plus souvent un particulier dépourvu de connaissance technique et juridique, cette exigence semble être réduite au rang de vœu pieux.

Raphaël BUCHBERGER
Etudiant en Master 2 droit de l’urbanisme, de la construction et de l’immobilier
Université de Bordeaux

1 : Cour de cassation , chambre civile 3, 18 octobre 2018, n°17-23.741
2 : Cour de cassation, chambre civile 3, 8 novembre 2018, n°17-24.488
3 : Tribunal de grande instance de Draguignan, 29 septembre 2015 n° 14/04314
4 : Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 3e chambre a, 27 avril 2017, n° 15/17799
5 : Cour de cassation, chambre civile 1, 29 avril 1997, n°95-10.187
6 : Cour de cassation, chambre civile 3, 26 octobre 2017, n°16-24.025
7 : Cour de cassation, chambre civile 3, 16 novembre 2017, n°16-24.28
8 : Cour de cassation, chambre civile 3, 12 novembre 2003, n°02-11.931
9 : David Noguero RDI p 602 « L’étendue du secteur d’activité déclarée en assurance responsabilité décennale et la construction de maison individuelle »
10 : Cour d’appel de Poitiers, chambre 1, 30 juin 2017, n°15/03089
11 : Cour de cassation, chambre civile 3,10 septembre 2008 n°07-14.884
12 : Cour de cassation, chambre civile 3, 19 juin 2007, n°06-14980

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