Copropriété : comment lutter contre les dérives des locations meublées de courte durée ?

Les plateformes en ligne consacrées à la location saisonnière (airbnb, abritel, homelidays…) ont bâti un succès économique aujourd’hui incontestable. Si elles permettent à certains de constituer un complément financier, elles permettent à d’autres d’en faire leur principale source de revenus.

Ce nouveau mode de consommation du logement exige indubitablement une évolution permanente du système juridique afin de s’adapter aux spécificités de l’économie collaborative (mise en place d’obligations déclaratives, lourde sanction en cas de sous-location irrégulière) [1].

Au-delà d’incertitudes, cette forme contemporaine d’exploitation du logement crée de multiples difficultés.

Pénurie de logement, augmentation des prix, troubles du voisinage sont autant de raisons à même de justifier la volonté d’acteurs privés comme publics d’encadrer ou d’endiguer cette pratique.

En réalité la propriété immobilière individuelle n’est que peu ou pas concernée par ces questions car l’absence de partie commune tend globalement à éliminer tout désagrément.

C’est donc au sein des copropriétés, comportant par essence des parties communes accessibles à tous les occupants que ces troubles semblent les plus présents. Ces derniers sont d’ailleurs accentués par la proximité entre les différents lots.

Dégradations, pollution sonore et incivilités font malheureusement partie du quotidien de certaines copropriétés situées dans des zones particulièrement appréciées des touristes, si bien qu’il semble aujourd’hui primordial d’identifier des moyens de droit, des outils juridiques opérationnels permettant aux copropriétaires de lutter contre ces dérives.

Loin de pouvoir actuellement proposer une solution définitive et globale, la jurisprudence tend à donner des pistes permettant de réfréner les désagréments engendrés par les locations meublées de courte durée.

I) La prohibition des locations meublées de courte durée par le biais du règlement de copropriété

La question de l’incompatibilité entre un règlement de copropriété et la location meublée de courte durée (qui peut aussi être qualifiée de location saisonnière ou de meublé touristique) suppose, a priori, un audit général dudit règlement.

En effet, tout en étant limité par l’alinéa 2 de l’article 8-1 de la loi de 1985 « par la destination de l’immeuble » [2], le règlement de copropriété reste un ensemble auquel la liberté contractuelle laisse une certaine marge d’imagination au profit de ses rédacteurs.

En outre, quand bien même la nature de cet ensemble de règles suscite encore débat (statuts ou règlement conventionnel), son indiscutable caractère obligatoire [3] en fait le premier élément en mesure d’entraver l’essor des meublés touristiques.

C’est en réalité la destination de l’immeuble, encadrée et précisée par le biais de clauses insérées dans le règlement de copropriété telles que les clauses d’habitation bourgeoise (visant à réglementer l’usage des lots privatifs), qui peut menacer l’exercice d’une activité de location de meublés touristiques.

Selon leur rédaction, ces clauses peuvent apparaître comme plus ou moins restrictives. Traditionnellement, on distingue à ce titre deux types de clauses d’habitation bourgeoise : l’absolue et la relative. La première proscrit dans les parties privatives l’exercice de toute activité professionnelle, alors que la seconde, plus souple, peut autoriser l’exercice d’une activité libérale.

Pendant longtemps, l’appréciation de la question de la compatibilité entre un règlement de copropriété et la location meublée de courte durée par le juge judiciaire se fondait sur un parallèle entre les désagréments (allers et venus) provoqués par l’exercice d’une activité libérale et ceux engendrés par la location meublée de courte durée. C’est d’ailleurs sur la base de ce raisonnement que la Cour de cassation a pu décider d’annuler la clause d’un règlement de copropriété soumettant « la location meublée de courte durée à l’autorisation discrétionnaire de l’assemblée générale » [4].

Ce parallèle, contesté [5], a par la suite été abandonné par la jurisprudence.

En effet, dans deux arrêts rendus successivement les 21 mai 2014 [6] et 15 juin 2016 [7], la cour d’appel de Paris a considéré que si la location meublée n’était pas, en elle-même, « contraire à la destination bourgeoise d’un immeuble », le caractère commercial de la location de meublés touristiques la rendait incompatible avec une telle destination.

Cette solution sévère vis-à-vis des loueurs, est fondée sur une analyse factuelle de la nature de l’activité à laquelle s’adonnent les loueurs de meublés touristiques.

Comme l’a clairement énoncé la cour d’appel de Paris à l’occasion de ces arrêts, la location de meublée de courte durée « avec fournitures de services annexes (ménage, fournitures de literie, transferts vers l’aéroport) » s’apparente à une activité commerciale (assimilable à une activité hôtelière) et perd sa nature juridique initialement civile.

Cette position est d’autant plus légitime au regard du statut fiscal d’une telle activité soumise à l’impôt au titre des bénéfices industriels et commerciaux [8].

Il est bon de noter que l’existence de nuisances engendrées par la location meublée de courte durée constitue dans ces deux arrêts un élément pris en compte par le juge pour prohiber ce type d’exploitation du logement.

Cette argumentation étant principalement fondée sur l’exclusion d’une activité commerciale par le règlement de copropriété, la distinction entre la clause d’habitation bourgeoise relative et absolue (et donc la tolérance d’une activité libérale) devient donc sans intérêt.

C’est dans le prolongement de cette argumentation basée sur la destination de l’immeuble, précisée par des clauses insérées dans le règlement de copropriété, que la Cour de cassation a statué le 8 mars 2018 sur une question similaire [9].

En effet, la troisième chambre civile a estimé que « les stipulations du règlement de copropriété » (exclusion de toute activité commerciale) faisaient en l’espèce entrave à la location de meublés touristiques sous forme d’« hôtels studios meublés avec prestations de services ». Par cette décision, la Cour de cassation semble donc rejoindre, dans l’idée, le raisonnement défendu par la cour d’appel de Paris.

Cette solution stricte pourrait cependant subir à l’avenir une résistance des juridictions de fond. Dans ce sens, dans un arrêt rendu le 13 décembre 2017, la cour d’appel de Pau a indiqué que la location meublée de courte durée « pourrait difficilement être prohibée dans une zone touristique comme Anglet où de nombreux logements bourgeois sont loués à la semaine pendant la saison d’été » [10].

En dehors de cette réserve, une action judiciaire menée par le syndicat des copropriétaires fondée sur la destination bourgeoise de l’immeuble, qu’elle soit absolue ou relative, semble aujourd’hui permettre de faire constater et prononcer par le juge l’interdiction dans la copropriété de la location meublée de courte durée et d’enjoindre, sous astreinte, les personnes s’adonnant à ces activités d’y mettre fin.

Si le règlement de copropriété semble permettre, selon sa rédaction, de prohiber les meublés touristiques pour l’avenir et sur le long terme, se maintient la question de la réparation des dommages qu’une telle activité aurait pu engendrer par le passé.

II) La réparation des conséquences préjudiciables des locations meublées de courte durée par le biais de la théorie des troubles anormaux du voisinage

Les incivilités, les dégradations et ou encore la pollution sonore sont autant de dérives préjudiciables pour l’ensemble des copropriétaires.

La théorie des troubles anormaux du voisinage constitue une piste intéressante afin d’obtenir des dommages et intérêts de la part de bailleurs excessifs ou de locataires indélicats (mettant en place une sous-location illicite) en raison de leur activité de location de meublés touristiques.

Si l’application de ce mécanisme jurisprudentiel de responsabilité de plein droit est contestée par certains auteurs qui privilégieraient une responsabilité contractuelle pour faute basée sur la violation du règlement de copropriété, la jurisprudence actuelle semble être particulièrement sensible au fondement des troubles anormaux du voisinage.

En effet, dans un arrêt rendu par la troisième chambre civile le 11 mai 2017 [11], la Cour de cassation a estimé qu’un « syndicat des copropriétaires peut agir à l’encontre d’un copropriétaire sur le fondement d’un trouble anormal du voisinage ».

La réussite d’une action intentée par le syndicat des copropriétaires sur ce fondement suppose cependant la réunion de plusieurs conditions.

L’élément le plus complexe à établir semble être le caractère anormal du trouble.

Si le caractère anormal de la nuisance s’analyse in concreto, c’est à dire en « fonction des circonstances de temps et de lieu » [12], il s’apprécie in abstracto quant à la personne victime, une sensibilité particulière de cette dernière n’étant pas prise en compte.

C’est en réalité l’aspect qualitativement et quantitativement excessif de la nuisance qui établit « l’anormalité » du trouble allégué. Dès lors, la démonstration de l’anormalité du trouble suppose l’établissement d’un ensemble étoffé de preuves (témoignages multiples, constats d’huissier…).

A titre illustratif, dans l’arrêt précédemment évoqué rendu par la cour d’appel de Paris le 21 mai 2014 [13], le syndicat des copropriétaires, sollicitant du juge, en plus de l’interdiction des meublés touristiques, l’octroi de dommages et intérêts pour troubles anormaux du voisinage, mettait en avant un ensemble complet de nuisances.

Ce dernier invoquait en effet la « sur-occupation des logements » des « arrivées tardives ou matinales avec de grosses valises encombrant l’ascenseur », de « fréquentes allées et venues », des « bruits nocturnes, cris et galopades d’enfants jusqu’à tard dans la nuit », un « manque de soins et de considération pour les voisins », le « jet de détritus par les fenêtres ou dans les parties communes » ou encore des « odeurs de cuisine à toute heure ».

La cour d’appel avait, à cette occasion, estimé que le caractère anormal du trouble était établi et avait sur ce fondement condamné le bailleur à verser la somme de 7 000 euros de dommages et intérêts.

Une autre condition indispensable à la réussite d’une telle action repose dans le caractère collectif des nuisances. Pour que le syndicat des copropriétaires puisse ester en justice sur ce fondement, ce dernier doit présenter un intérêt légitime pour agir au nom des copropriétaires.

Dans ce sens, comme l’a clairement indiqué la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 27 janvier 2010 [14], « les dommages […] doivent revêtir un caractère collectif, soit que les nuisances atteignent indivisiblement l’ensemble des parties communes et privatives, soit que les désordres sont généralisés à l’ensemble du bâtiment ».

En revanche, la qualité de « locataire » des véritables auteurs des troubles ne fait pas obstacle à une action, et donc une condamnation, à l’encontre du propriétaire bailleur [15]. En effet, si la succession des différents locataires sur de très courtes périodes empêche en pratique toute action contre ces derniers, les bailleurs pourront être tenus comme responsables en leur qualité de garant du fait du preneur.

Si ces moyens de droit ont été présentés comme complémentaires l’un de l’autre, il n’en demeure pas moins que les conséquences qu’impliquent l’application de la théorie des troubles anormaux du voisinage pourraient permettre indirectement et même directement la cessation des meublés touristiques au sein de la copropriété.

D’une part, les sanctions consécutives aux troubles anormaux du voisinage vont du simple octroi de dommages et intérêts à la cessation même du trouble. Dans cette seconde hypothèse correspondant à une réparation en nature, cette solution reviendrait à interdire purement et simplement la location meublée de courte durée.

Cependant, la pratique judiciaire privilégiant le plus souvent les dommages et intérêts à une réparation en nature, l’efficacité d’un tel moyen dans le but d’obtenir l’interdiction des meublés touristiques est à nuancer.

D’autre part, une condamnation du bailleur à verser des dommages et intérêts entraînerait, ipso facto, soit une modification des modalités de location (sous-exploitation, prévention accrue vis-à-vis des locataires) induisant une diminution importante des nuisances, soit un arrêt pur et simple de l’activité de location de courte durée, la condamnation à de nouveaux dommages et intérêts menaçant l’équilibre économique parfois fragile (remboursement d’un prêt) du montage financier du « bailleur-investisseur ».

Cette seconde portée de l’action en réparation pour troubles anormaux du voisinage est renforcée par l’impossibilité pratique du bailleur de se retourner contre ses locataires saisonniers (le trouble étant trop global pour identifier individuellement les auteurs), contrairement aux locataires classiques contre lesquels il serait plus aisé d’exercer un recours.

Ces différents fondements constituent donc des moyens de droit à même de contrer efficacement les inconvénients provoqués par les meublés touristiques.

Pour autant, ces moyens contentieux peuvent en pratique être difficiles à mettre en œuvre. En effet, une action judiciaire menée par le syndicat des copropriétaires suppose d’engager des dépenses importantes (honoraires d’avocats, frais d’huissiers…) et nécessite l’autorisation de l’assemblée générale à la majorité de l’article 24 de la loi du 10 juillet 1965, soit la majorité des voix exprimées par les présents et représentés.

En amont ou à défaut d’une majorité suffisante, des moyens amiables doivent donc être envisagés.

Dans ce sens, des mises en demeure ainsi que l’adoption, dans le cadre des assemblées générales, de résolutions tendant à rappeler aux bailleurs le règlement de copropriété ou encore à faire constater l’existence de nuisances peuvent, dans certains cas, permettre de faire sensiblement baisser le niveau de nuisances.

Dans tous les cas, ces éléments pourront constituer un bagage probatoire additionnel dans le but de prouver l’existence de nuisances dans le cadre d’une procédure judiciaire.

Enfin, sur le fondement de l’article L.631-7 du Code de la construction et de l’habitation, en cas d’absence d’obtention d’une autorisation de la mairie pour modifier l’usage du logement (qui ne concerne pas toutes les communes), le syndicat des copropriétaires peut procéder à un signalement auprès de la commune compétente.

Or, dans un arrêt rendu le 8 juin 2012 par la cour d’appel de Paris [16], la juridiction a ordonné, à la suite d’une telle dénonciation, le retour à l’usage d’habitation des locaux sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.

Ce panel complet de solutions juridiques en faveur des copropriétaires pourrait, en tout état de cause, alimenter le contentieux de la copropriété. Pour autant, ces solutions étant jurisprudentielles et la Cour de cassation ne s’étant prononcée qu’à de rares occasions, une évolution des réponses actuelles est à envisager.

Raphael BUCHBERGER

[1] « Airbnb : l’heure des comptes a sonné », Gaz. Pal. 11 sept. 2018, n° 330z5, p. 55 Marine Parmentier, avocat au barreau de Paris,
[2] Loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis
[3] Civ. 3e, 22 mars 2000, n°98-13345 : illustration du caractère obligatoire
[4] Civ. 3e, 8 juin 2011, 10-15891
[5] « Les meublés touristiques dans les immeubles en copropriété évolutions jurisprudentielles récentes – Étude rédigée par Hugues Périnet-Marquet », La Semaine Juridique Notariale et Immobilière n° 26, 30 Juin 2017, 1216
[6] CA Paris, 21 mai 2014, 12-17679
[7] CA Paris, 15 juin 2016, 15-18917
[8] Article 35-I-5bis du Code Général des Impôts
[9] Civ. 3e, 8 mars 2018, n° 14-15864
[10] CA Pau, 1ère chambre, 13 décembre 2017, 17-02992
[11] Civ 3e, 11 mai 2017, 16-14339
[12] Civ 3e, 3 nov. 1977, 76-11047
[13] Supra n°6
[14] CA Paris, Pôle 4, 27 janvier 2010, 08-24304
[15] Civ 3e, 17 avril 1996, 94-15876
[16] CA Paris, Pôle 1, 8 juin 2012, 11-13256.

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