Le marché unique du numérique

L’année 2016 approche et dans son sillage, la promesse européenne d’un marché unique du numérique. La Commission européenne a très récemment lancé une série de consultations sur les modalités de mise en œuvre de ce marché. A titre d’illustration, une « consultation publique sur les normes applicables au marché numérique » est ainsi encore en cours jusqu’au 16 décembre 2015 tandis qu’une « consultation publique relative aux règles contractuelles applicables aux achats en ligne de contenus numériques et de biens matériels » a été clôturée le 3 septembre 2015.

Le numérique est un secteur dans lequel l’Union européenne aurait beaucoup à jouer et le marché unique du numérique devrait en effet être mis en place dès la fin de l’année 2016.
Il nous est donc apparu plus qu’opportun de revenir sur ce qui fait gure de cheval de bataille des instances européennes depuis déjà quelques années.

Les bases de la « stratégie pour un marché unique numérique en Europe »

La Commission, dans sa Communication au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions intitulée « Stratégie pour un marché unique numérique en Europe » (COM(2015) 192 nal), dé nit le marché unique du numérique. Il correspond à un « espace dans lequel la libre circulation des biens, des personnes, des services et des capitaux est garantie. C’est un espace où les particuliers et les entreprises peuvent, quels que soient leur nationalité et leur lieu de résidence, accéder et se livrer à des activités en ligne dans un cadre garantissant une concurrence loyale et un niveau élevé de protection des consommateurs et des données à caractère personnel». Cette définition très large fait apparaître un champ d’action immense de l’Union européenne dans ce domaine. La stratégie pour un marché du numérique reposerait sur une architecture en 3 piliers correspondants eux-mêmes à 3 types d’action :
Améliorer l’accès aux biens et services numériques dans toute l’Europe pour les consommateurs et les entreprises.
Mettre en place un environnement propice au développement des réseaux et services numériques.
Maximiser le potentiel de croissance de notre économie numérique européenne.

Chaque pilier regroupe plusieurs initiatives qui sont au total au nombre de seize. Pour le premier, sont particulièrement attrayantes les « propositions législatives concernant des règles simples et efficaces en matière de marchés transfrontières pour les consommateurs et les entreprises » ou encore les mesures « dans le domaine de la livraison de colis » et les « propositions législatives en vue d’une réforme du régime du droit d’auteur » ; pour le second, les réexamens de la « directive» sur les services de médias audiovisuels» et de la « directive » vie privée et communications électroniques » ; pour le dernier, enfin, les « initiatives concernant la propriété des données, la libre circulation des données et un nuage européen». Ces initiatives devraient trouver leur élan d’ici la fin de l’année 2016. Certains obstacles devront néanmoins être pris en compte si l’Union européenne souhaite mettre en place un marché unique du numérique pleinement efficient.

Les obstacles à franchir pour la construction d’un marché unique du numérique efficient

La multiplication des marchés uniques (marché unique de l’électricité, marché unique du gaz, marché unique des télécommunications…) pose la question de leur articulation. Face à l’afflux toujours croissant de politiques sectorielles, les juristes au premier rang desquels les juristes français, peuvent éprouver de grandes difficultés dans l’analyse de ce droit fragmenté et en perpétuel mouvement.

La tentation est grande de voir dans ce « marché unique du numérique » une nouvelle politique sectorielle à l’image des précédentes. Le parallèle paraît néanmoins trop rapide car ce marché unique du numérique n’est plus sectoriel mais multisectoriel dans la mesure où il pourra trouver application dans les autres marchés uniques. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la Commission des transports et du tourisme du Parlement s’est montrée particulièrement impliquée dans la construction du marché unique du numérique. La question peut alors se poser de savoir si l’appellation de marché unique est utilisée à bon escient tant elle recouvre des formes très différentes.

Il faudra également nécessairement prendre en compte l’acquis en matière de numérique et notamment la notion de contenus numériques telle qu’envisagée dans la Directive n° 2011/83/UE relative aux droits des consommateurs. Les contenus numériques seront- ils amenés à sortir de ce texte pour être intégrés dans nouveau où ils seront spécifiquement envisagés ? Faudra-t-il modifier la directive existante ou seulement envisager les liens entre ce texte et les réglementations à venir ? De telles questions ont été posées dans la consultation relative aux règles contractuelles applicables aux achats en ligne de contenus numériques et de biens matériels et, les réponses à ce titre très attendues. Aux problématiques spéciquement européennes, il faut ajouter que les droits nationaux disposent déjà pour la plupart d’un arsenal législatif permettant de faire face à cette « révolution » du numérique déjà bien avancée. En France, la législation applicable spéciquement au numérique est déjà abondante et s’ajoute au droit existant.

Un texte nécessaire ?

Un avant-projet de loi pour une « République numérique» a néanmoins été présenté et a été ouvert à consultation publique jusqu’au 18 octobre 2015. Les différences d’agenda rendront sans doute nécessaire une adaptation du texte français au futur droit européen si le premier est voté avant les textes promis par le second. Le texte français semble en l’état assez désordonné et, comporte des mesures pêle-mêle qui, parfois, n’ont pas beaucoup de liens entre elles sauf à faire partie du très vaste ensemble que constitue désormais le numérique.
La question qui se pose est alors de savoir si une législation spéciale en matière de numérique, répondant certes aux grandes tendances actuelles, est vraiment souhaitable pour notre droit mais aussi pour le droit européen. N’existe-t-il pas déjà des instruments suffisants permettant d’intégrer ces problématiques ?
Ne faudrait-il pas davantage adapter le droit existant, l’ « acquis» pour reprendre une terminologie européenne, plutôt que de multiplier les textes à l’excès sans offrir suffisamment de garanties de cohérence ?
Nous terminerons ces quelques précisions par un extrait du Rapport d’information de la Commission française des affaires européennes sur la stratégie numérique de l’Union européenne présenté par H. GAYMARD et A. LEMAIRE le 8 octobre 2013: « Aborder la question du numérique, c’est ouvrir la boite de Pandore, tant est vaste l’éventail des sujets couverts, qu’ils soient de nature culturelle, juridique, industrielle ou fiscale. D’autant que tous les secteurs productifs sans exception sont aujourd’hui concernés par l’essor des communications dématérialisées, qui interviennent dans toutes les fonctions des entreprises, à tous les stades de la chaine de valeur d’un produit ». Il nous faut alors espérer que les contraintes de calendrier affichées ne viennent pas substituer la rapidité à la qualité.

Marie-Emmanuelle DESAUNETTE

POUR EN SAVOIR +
• Rapport d’information déposé par la Commission des affaires européennes sur la stratégie numérique de l’Union européenne, présente par H. GAYMARD et A. LEMAIRE, 8 octobre 2013 (en particulier Annexe n° 4 : Europe numérique, Contribution française au Conseil européen des 24 et 25 octobre 2013 « Les technologies et les nouveaux usages du numérique modifient nos manières de vivre en société, la production et le partage de la connaissance, les façons de créer, produire, distribuer et consommer. Ils redéfinissent les enjeux liés à l’équilibre entre liberté et sécurité ».
• Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comités des régions, « Stratégie pour un marché unique numérique en Europe », COM(2015) 192 final.
• Communiqué de presse de la Commission européenne du 6 mai 2015, « Un marché unique pour l’Europe : la Commission définit 16 initiatives pour en faire une réalité ».
• Draft Opinion of the Committee on Transport and Tourism for the Committee on Industry , Research and Energy and for the Committee on Internal Market and Consumer Protection on Towards a Digital single Market Act, 24 août 2015, n° 2015/2147 (INI).
• Communiqué de presse du Parlement européen du 13 octobre 2015, « Le marché numérique a besoin de la confiance des consommateurs selon les députés ».
• Consultation publique relatives aux règles contractuelles applicables aux achats en ligne de contenus numériques et de biens matériels, du 12 juin 2015 et clôturée le 3 septembre 2015.
• Consultation publique sur l’évaluation et le réexamen du cadre réglementaire pour les réseaux et services de communications électroniques, du 11 septembre 2015 et encore ouverte.
• Consultation publique sur les normes applicables au marché unique numérique : fixer les priorités, obtenir des résultats, du 23 septembre 2015 est encore ouverte.