Le Conseil constitutionnel : une juridiction ? La CJUE ne tranchera pas

En s’autoproclamant – implicitement il est vrai – « juridiction » dans une décision 642-DC du 15 décembre 2011, le Conseil Constitutionnel a, ce faisant, ranimé le vieux serpent de mer portant sur sa nature juridique. Et, force est de constater qu’il ne faut pas attendre l’aide de la Cour de Justice de l’Union Européenne pour clore ce débat. En effet, alors que l’occasion se présentait enfin le 4 avril 2013, avec sa saisine inédite par voie de question préjudicielle (aff C-168/13 PPU « J.Forrest »), la Cour élude l’examen de la recevabilité du recours alors exercé par le Conseil Constitutionnel et, en conséquence, passe sous silence la question de sa nature réellement juridictionnelle.

 

L’article 267 du TFUE exige en effet de l’entité demanderesse la qualité de « juridiction ». Il s’agit là d’une notion autonome et fonctionnelle du droit de l’Union européenne. Cette qualification est donc indépendante de celle donnée dans l’ordre juridique national et relève d’une appréciation empirique du juge de l’Union. En effet, selon une jurisprudence constante, la Cour recourt à un faisceau d’indices à partir duquel elle détermine la qualité de « juridiction ». Et, c’est précisément cet examen qu’elle n’a pas effectué en l’espèce, alors même qu’il s’agit là d’un moyen d’ordre public, lui permettant de se saisir d’office de cette question.

Ce faisant, la Cour a souhaité s’assurer de l’unité d’application du droit européen et préserver la qualité des relations entre juridictions. Or le risque de requalification du Conseil était trop grand. En effet, au regard des critères organisationnels et fonctionnels dégagés, l’examen du Conseil Constitutionnel et de sa fonction suscite de nombreuses interrogations. Il en va notamment ainsi du critère, déterminant selon elle, que représente « l’indépendance » de l’entité concernée. La Cour a précisé dans un arrêt Wilson du 19 septembre 2006 (aff C-506/04) qu’en vertu de ce critère, « l’entité doit être protégée contre toute pression ou intervention extérieure, elle doit avoir la qualité de tiers par rapport à l’autorité qui a pris la décision contestée et, elle doit être impartiale ce qui suppose l’objectivité et l’absence d’intérêt de ses membres ». Or, si l’article 56 de notre Constitution prévoit des garanties contre toute pression extérieure, avec un mandat non renouvelable et une révocation impossible, il ne permet pas d’assurer la qualité de tiers de l’entité et son impartialité. Ces membres sont en effet désignés par des représentants du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif alors même qu’ils contrôlent les lois que ces derniers votent ou les élections qui les amènent au pouvoir. Leurs anciennes fonctions, souvent politiques, les privent d’objectivité et de la qualité de tiers. Notamment, dans le cadre de la QPC, Lionel Jospin entré au Conseil en 2014 sera sans doute amené à apprécier la constitutionnalité de dispositions législatives dont il a été l’initiateur. Reste alors peut-être la seule issue de la récusation spontanée.

Au total donc, la Cour a choisi de reconnaître implicitement la qualité de juridiction du Conseil Constitutionnel malgré un doute manifeste. Ne s’agit-il pas là cependant d’un choix plus politique que juridique ? C’est qu’il s’agit là d’une question épineuse dont la solution ne saurait venir que de l’ordre juridique interne. Et précisément, pour y parvenir, ne conviendrait-il pas tout d’abord de requalifier le Conseil en Cour constitutionnelle ?

 

Marguerite GUIRESSE

One comment

  1. Intéressant. Par contre, je ne comprends pas la présence du subjonctif « faille », dans le chapeau. Pourquoi pas « faut » ?… A cause du « que » devant ?!
    Ici, nous sommes dans le mode de la certitude, non de l’éventualité.

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