L’apparition de la notion de préjudice écologique en droit français

A l’occasion de l’affaire Erika, le 25 septembre 2012, la chambre criminelle de la Cour de cassation en sa formation plénière, a rendu un arrêt très attendu concernant la réparation du préjudice écologique mettant fin à la procédure relative au naufrage du navire.

Si le préjudice écologique pur a été reconnu par la jurisprudence, l’inscription du préjudice écologique dans le code civil semble se confirmer. Une proposition de loi vient d’être adoptée en séance publique au Sénat.

 

« Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » Une consécration déjà annoncée…

 

Le 28 février 2005 a été adopté la Charte de l’environnement, par le Parlement réuni en congrès à Versailles, avec plus de 95% des suffrages.

Avec la Charte de l’environnement, le droit à l’environnement devient une liberté fondamentale de valeur constitutionnelle. La Charte place en effet, désormais, les principes de sauvegarde de notre environnement au même niveau que les Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et les droits économiques et sociaux du préambule de 1946. Si la Charte reconnait à chacun le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, le droit d’accéder à l’information détenue par les autorités publiques et le droit de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement, ce texte impose également des devoirs. Ainsi, chacun doit contribuer à la préservation et à l’amélioration de l’environnement et, le cas échéant, contribuer à la réparation des dommages qu’il a causés.

La consécration du préjudice écologique pur par l’arrêt du 25 septembre 2012 n’est donc pas une surprise dans la mesure où elle s’est faite progressivement.

Dans un premier temps, la loi du 1er août 2008, ainsi que les lois Grenelle 1 et 2 ont indéniablement encouragé cette reconnaissance jurisprudentielle. En effet, la consécration par ces lois du préjudice environnemental pur à mis en évidence l’autonomie de ce préjudice nouveau et a ainsi incité le juge à réparer sur le terrain de la responsabilité civile. Même si cette loi du 1er août 2008 n’a quasiment donné lieu à aucun cas d’application.

Ensuite le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 8 avril 2011, a déduit des articles 1 et 2 de la Charte de l’environnement, dont le respect « s’impose non seulement aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leur domaine de compétence respectif mais également à l’ensemble des personnes » que « chacun est tenu à une obligation de vigilance à l’égard des atteintes à l’environnement qui pourraient résulter de son activité » et qu’ « une action en responsabilité peut être engagée sur le fondement de la violation de cette obligation ».

Si le Conseil a reconnu qu’il était loisible au législateur de définir les conditions dans lesquelles cette action pouvait intervenir, il a souligné qu’il « ne saurait, dans l’exercice de cette compétence, restreindre le droit d’agir en responsabilité dans des conditions qui en dénaturent la portée ». Le Conseil constitutionnel a ainsi explicitement posé le principe d’une action en responsabilité liée aux atteintes à l’environnement sans les rattacher à la personne d’une victime, directe ou indirecte.

Avec l’arrêt « Erika », la jurisprudence judiciaire semble suivre cet objectif en appréhendant de facto  le préjudice écologique « pur » en employant les mécanismes de droit commun.

 

erika

 

L’affaire Erika : de la protection de l’individu à la protection de l’espèce humaine

Pour rappel, le samedi 11 décembre 1999, le navire citerne Erika, battant pavillon maltais et transportant plusieurs tonnes de fioul lourd, avait subi une défaillance de sa structure à la suite d’une tempête durant sa traversée du golfe de Gascogne. Le lendemain, le navire a fait naufrage alors qu’il était situé en zone économique exclusive (ZEE). Une partie important de sa cargaison s’était déversée dans l’océan affectant plus de 400 kilomètres de côtes du littoral français depuis la pointe de la Bretagne jusqu’à la Charente Maritime.

Des actions civiles et pénales ont été exercées par plusieurs associations, collectivités territoriales et particuliers à l’encontre notamment du propriétaire du navire, son affréteur, son fréteur au voyage, la société gestionnaire technique et nautique.

Dans son jugement du 16 janvier 2008, le tribunal de grande instance de Paris, a condamné l’ensemble de ces personnes pour le délit de pollution des eaux ou voies navigables françaises le long du littoral atlantique à la suite d’un accident de mer dans la ZEE par un navire citerne étranger d’une jauge brute égale ou supérieure à 150 tonneaux. Quant à l’action civile, les juges ont considéré que la Convention internationale sur la responsabilité civile, pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures du 29 novembre 1969 modifiée par le protocole de 1992 (Conv. CLC 69/92), limitant et canalisant la responsabilité civile sur le propriétaire du navire, ne pouvait pas s’appliquer. Enfin, ce jugement est le premier à reconnaître l’autonomie et l’indépendance du préjudice écologique au regard des préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux.

La cour d’appel de Paris, de son coté, dans son arrêt du 30 mars 2010, a confirmé le jugement sur l’action publique. En revanche, elle a qualifié Total SA d’affréteur et lui a ainsi fait bénéficier, en l’absence d’une faute de témérité, de l’immunité de responsabilité civile relative à l’obligation à la dette et instituée par la Convention CLC 69/92 (art. III, pt 4).

Vers une reconnaissance autonome du préjudice écologique « pur »

Si l’indemnisation du préjudice écologique pur a été confirmé, l’intérêt premier de l’arrêt de la Cour d’appel est d’avoir conceptualisé les différents préjudices à travers une nouvelle classification. Ainsi, les préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux, subis par des sujets de droit, relèvent des « préjudices subjectifs » et le préjudice écologique, non subi par un sujet de droit mais lésant un intérêt que le droit protège, appartient au « préjudice objectif ».

L’originalité de cette classification venait du fait que contrairement aux préjudices patrimoniaux et extra patrimoniaux, appréhendés classiquement par le droit de la responsabilité civile, possédant un caractère certain, direct et personnel, le préjudice écologique quand à lui souffre d’une lacune nuisant à sa réparation. En effet, le préjudice écologique souffre d’une absence de caractère personnel, les dommages environnementaux n’étant pas subis par des sujets de droit pouvant revendiquer le statut de victime. La nature étant dans l’incapacité de demander réparation de son dommage personnel car elle n’est pas une personne juridique.

Reconnaître le préjudice écologique impliquait la consécration d’un nouveau droit subjectif à l’environnement, capable d’offrir un statut juridique à la nature pour lui permettre de se défendre ou d’être défendue.

La consécration jurisprudentielle de la notion de préjudice écologique

Plusieurs pourvois en cassation on été formés tant par les parties civiles que par les prévenus. Et dans une décision de plus de 300 pages, la Chambre criminelle de la Haute juridiction, le 25 septembre 2012, a rejeté la plupart des moyens soulevés. Elle a reconnu la compétence juridictionnelle française et le défaut d’immunité civile de l’affréteur en raison de sa faute de témérité. L’appréciation retenue, ici, de la faute de témérité témoigne de la volonté d’une responsabilisation accrue en matière de protection de l’environnement.

Mais c’est plus précisément une double consécration du préjudice écologique pur que cet arrêt est venu confirmer.

Dans un premier temps par l’existence même de ce préjudice, la Cour de Cassation reconnaît son autonomie par rapport aux préjudices personnels et subjectifs des associations et collectivités territoriales demandeurs à l’action. En effet, elle rejette le moyen des pourvois qui invoquait l’atteinte au principe de la réparation intégrale, arguant de la double réparation, par la prise en compte du préjudice écologique et des préjudices personnels des demandeurs. Il est donc clairement consacré un préjudice distinct du préjudice personnel subi par l’association ou la collectivité territoriale titulaire de l’action.

La seconde consécration est celle de son caractère réparable par les règles de la responsabilité civile, en dépit de son caractère objectif. Effectivement, le moyen des pourvois qui consistait à dénoncer l’absence de caractère personnel de ce préjudice objectif, se voit également écarté par la Chambre criminelle.

Cependant, ces préjudices qui touchent la nature peuvent être eux même à l’origine des préjudices matériels et moraux classiques touchant les sujets de droit. La confusion entre le dommage écologique et le préjudice moral des parties civiles est manifeste. En ce sens, cette juxtaposition des préjudices vient entraver la reconnaissance de l’autonomie conceptuelle du préjudice écologique pur par rapport aux préjudices subjectifs dérivés. La mise en oeuvre du principe de réparation intégrale par le juge risquant donc d’être compromise. Ainsi, le problème n’est peut être celui de la reconnaissance du préjudice écologique mais celui de sa réparation.

Vers la reconnaissance légale du principe

La notion de « préjudice écologique » ne trouvait jusqu’alors aucun fondement juridique certain et un vide juridique subsistait. C’est pourquoi, depuis plusieurs années, de nombreuses voix s’élevaient afin que cette jurisprudence soit inscrite dans le code civil.

Le 16 mai 2013, le Sénat a adopté à l’unanimité une proposition de loi, déposée par le sénateur de Vendée, Bruno Retailleau, visant à inscrire la notion de préjudice écologique dans le code civil.

L’article principal de la proposition de loi prévoit que « toute personne qui cause un dommage à l’environnement est tenue de le réparer. ».  La réparation des dommages causés devra se faire prioritairement en nature et sinon par une indemnisation financière versée à l’Etat ou à un organisme désigné par celui-ci, et affecté à la protection de l’environnement. Une première modification a déjà été apportée et permet d’appliquer le texte même en l’absence de faute de la part de l’auteur de l’acte.

Cependant la loi va encore devoir subir quelques modifications afin d’éclaircir certains points. Par exemple, quelle mise en oeuvre pour l’action en réparation? A qui offrir un intérêt à agir? Comment évaluer le préjudice? Quels devraient être les droits et les devoirs des personnes habilitées dans ce domaine? Ces points d’incertitude doivent être résolus par le législateur. Un projet de loi devrait être présenté en fin d’année.

Alexis Deborde

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