Réformes structurelles : la France sous influence de l’UE

Endettement excessif et compétitivité insuffisante, tels sont les maux français diagnostiqués par le Conseil de l’Union européenne dans son examen du programme national de réforme pour 2015. Dans le cadre du semestre européen, la Commission européenne a formulé à la France six recommandations économiques.
Les recommandations ont été approuvées le 14 juillet par le Conseil de l’UE, réuni en commission ECOFIN. Elles s’inscrivent conformément au programme de surveillance économique, instrument de la coopération économique dans l’Union européenne.

 

Le programme de surveillance économique de l’UE

Les États Membres de l’Union européenne ont adopté en juin 2010 le plan stratégique Europe 2020 pour les dix ans à venir, destiné à relancer l’économie européenne. En vertu de la stratégie de coordination des politiques économiques au sein de l’UE, cinq objectifs européens de développement[1] ont été fixés et traduits en objectif snationaux. Pour coordonner et cibler les efforts de chaque État membre, les institutions européennes ont mis en place le Semestre européen. Cycle annuel, il consiste à coordonner en amont les politiques économiques et budgétaires de la zone euro, en lien avec le Pacte de stabilité et de croissance et la stratégie Europe 2020.
Ainsi, au début de chaque année, la Commission européenne réalise une analyse détaillée des plans de réformes budgétaires, macroéconomiques et structurelles des États Membres de l’Union. Elle leur adresse en mai des recommandations pour les 12 à 18 mois suivants, qui sont formellement adoptées par le Conseil de l’UE en juillet.

 

Semestre européen 2015 des coordinations des politiques économiques : le cas français

Sur la base du règlement 1176/2011, précisément le rapport sur le mécanisme d’alerte, la France avait été incluse le 28 novembre 2014 comme État membre qui fera l’objet d’un bilan approfondi.
Dans le cadre du semestre européen 2015, la Commission avait ainsi publié le 26 février 2015 son rapport annuel sur la France. Elle y évaluait les progrès accomplis dans la mise en œuvre des recommandations adoptées l’année précédente, analysait la politique économique, et appréciait les programmes nationaux de stabilité et de réforme. L’analyse effectuée par la Commission l’avait amenée à constater d’importants déséquilibres macroéconomiques en France. L’adoption de mesures décisives et la mise en place d’un suivi spécifique devenaient indispensables. Les recommandations de la Commission européenne visent à remédier au problème de l’endettement jugé excessif et à relancer la compétitivité.

La Commission recommande que les six points suivants soient mis en œuvre :
1. Assurance d’une correction durable du déficit excessif en 2017 au plus tard (renforcement de sa stratégie budgétaire, précision des réductions de dépenses prévues pour ces années)
2. Accentuation des efforts visant à rendre efficace la revue des dépenses (maitrise des dépenses de santé, réduction du coût des collectivités territoriales, réforme des retraites)
3. Maintien des réductions des coûts du travail (baisse du coût du travail, limitation de l’augmentation du SMIC)
4. Élimination des obstacles réglementaires à la croissance des entreprises (révision des critères réglementaires de taille, ouverture des professions réglementées)
5. Simplification et amélioration de l’efficacité du système fiscal pour stimuler l’investissement (transfert de la fiscalité vers la consommation et l’environnement, suppression des impôts inefficaces);
6. Réforme du marché du travail pour lutter contre les rigidités et la segmentation (réforme du droit du travail et du système d’assurance chômage)

 

Un environnement législatif trop lourd

Trois de ces recommandations suggèrent directement une réforme des règles juridiques actuelles. Elles visent principalement la réglementation des entreprises, le droit fiscal, et le droit du travail, dans l’optique d’améliorer la compétitivité des entreprises françaises.

La quatrième recommandation est dirigée dans le sens de l’amélioration de l’environnement des entreprises[2] et le renforcement de la concurrence. La Commission estime que la complexité de la réglementation continue à peser sur l’environnement des entreprises, malgré les efforts de simplification en cours. Bien que le programme gouvernemental commence à produire des résultats[3] sur les entreprises de petite taille, des obstacles importants subsistent, notamment l’effet des seuils en droit du travail et des règles comptables, qui limitent la croissance des entreprises françaises[4].
Le projet de loi dite Rebsamen pour la qualité du dialogue social au sein de l’entreprise constitue une mesure directe en réponse à cette préconisation. Le constat de la faible concurrence dans les professions réglementées est également effectué par la Commission. Selon son rapport, un certain nombre de règles et de tarifs réglementés s’appliquant aux professions réglementées brident l’activité économique[5]. Si des premières mesures ont été prises au travers de la loi Macron[6], la France doit poursuivre en ce sens et adopter des mesures supplémentaires.

La cinquième recommandation vise la fiscalité des entreprises. Il est noté qu’en France, le taux moyen effectif de l’impôt sur les sociétés[7] atteint 38,3 %[8], ce qui le classe parmi les plus élevés de l’UE. Des mesures supplémentaires au fiscal et au principe de non-rétroactivité, notamment en matière de simplification des règles et obligations fiscales sont estimées nécessaires.
Le système fiscal français est axé sur une base d’imposition étroite, en particulier s’agissant de la consommation. La fiscalité environnementale reste encore faible en France : la plus faible de toute l’UE en pourcentage des recettes de prélèvements obligatoires fiscaux et sociaux (4,08 % du total des recettes) et la quatrième plus faible en termes de pourcentage du PIB (1,8 % du PIB en 2012).
La Commission européenne remarque par ailleurs que certaines subventions préjudiciables à l’environnement subsistent. Les taxes environnementales n’étant pas indexées, les produits énergétiques non taxés au taux normal de TVA et le système de taxation et de subventions en vigueur nuiraient à une utilisation efficace des ressources. Sont citées comme exemple les modalités d’application de la taxe sur les pesticides qui, selon la Commission, n’inciteraient aucunement les utilisateurs à réduire les quantités utilisées. En plus de la réduction du taux nominal de l’impôt sur les sociétés à 28% prévue pour 2020, mesure saluée par la Commission, la France doit continuer d’accentuer ses efforts à court terme pour rendre la fiscalité des entreprises plus propice à la croissance et à l’investissement.

Enfin, la sixième recommandation concerne la lutte contre la segmentation du marché du travail[9] , avec le droit du travail comme instrument de réforme privilégié par la Commission. Les mesures prises pour réduire cette segmentation, en particulier le relèvement des cotisations sociales sur les contrats de très courte durée, n’ont pas permis d’infléchir la tendance. La révision du cadre juridique régissant les contrats de travail pourrait, selon la Commission, aider à réduire cette segmentation.
De plus, les réformes menées récemment n’ont donné aux employeurs que peu de possibilités pour déroger aux accords de branche. Cela limite la capacité des entreprises à moduler leurs effectifs en fonction de leurs besoins. Il conviendrait selon la Commission d’accorder aux branches et aux entreprises la possibilité de déterminer de façon flexible s’il y a lieu de déroger à la durée légale du travail de 35 heures . Cette décision serait prise au cas par cas et après négociations avec les partenaires sociaux.

En dernière analyse, la loi portant création des accords de maintien de l’emploi n’aurait pas produit les résultats escomptés. Très peu d’entreprises ont fait usage des nouveaux dispositifs permettant un assouplissement des conditions de travail dans le cadre d’accords d’entreprise. La révision de ce
dispositif est suggérée afin de donner plus de latitude aux entreprises pour adapter les salaires et le temps de travail à leur situation économique. Leur cadre juridique a justement été aménagé par la loi Macron.

 

Quelles suites pour ces recommandations ?

Les recommandations de l’Union européenne, définies par l‘article 288 du Traité sur le fonctionnement de l’UE, constituent des actes n’étant pas légalement contraignants pour les États Membres.
Ces mesures servent cependant de base aux négociations entre la Commission et les États lors de l’examen des budgets et du déficit. L’impact des recommandations dans les choix du gouvernement français reste variable[10] . Jusque là, le Gouvernement a axé ses réformes sur la baisse du coût du travail, laissant de côté les libéralisations du marché de l’énergie ou des professions réglementées.

 

Clément COMIS
Magistère de Juriste d’Affaires Européen
Faculté de Droit de Nancy

Pour en savoir +
– Document de travail des services de la commission « SWD(2015) 29 final, Rapport 2015 pour la France contenant un bilan approfondi sur la prévention et la correction des déséquilibres macro économiques »
– Semestre européen
– Recommandations finales

 

1.Touchant à l’emploi; à la recherche et à l’innovation; au changement climatique et à l’énergie; à l’éducation; à l’inclusion sociale et à la réduction de la pauvreté
2. Le macro-environnement des entreprises désigne l’environnement général au sein duquel l’entreprise évolue. Il s’agit des caractéristiques générales de l’économie et de la société qui peuvent influencer l’entreprise, notamment les facteurs économiques, légaux et politiques.
3. Secrétariat d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification (2014), bilan d’étape
4. INSEE Analyses n°2 (2011), «Les seuils de 10, 20 et 50 salariés : un impact limité sur les entreprises françaises» (Ceci-Renaud et Chevalier).
5. Inspection Générale des Finances (2013), Les professions réglementées, Rapport n°2012 M 057 03, mars 2013.
6. Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, promulguée le 6 aout 2015
7. Qui mesure le taux d’imposition effectivement payé par une soci été sur un projet «moyen», //8. ZEW (2014), Effective Tax Levels using the Devereux/Griffith methodology
9.Qui se caractérise par une part croissante de contrats à durée déterminée dans les nouvelles embauches
10. https://www.contexte.com/article/gouvernement-economique-de-la-zone-euro/infographie-bruxelles-recommande-paris-choisit_28594.html

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.