Interview de Marc Barennes : Référendaire au Tribunal de l’Union européenne

Formation :

  • Maîtrise à l’Université Panthéon-Sorbonne.
  • DEA à l’Université Montpellier 1 en Droit des affaires et de la concurrence.
  • Stage au Conseil de l’UE d’une durée de 5 mois.
  • Stage à la DG Concurrence de la Commission d’une durée de 9 mois.
  • Stages en cabinets parisiens de droit des affaires.
  • M. à l’Université de Northwestern à Chicago.
  • Barreau de New-York

Carrière :

  • Collaborateur au sein d’un cabinet d’avocats américain à Bruxelles en droit de la concurrence.
  • Agent à la DG Concurrence de la Commission européenne
  • Référendaire au Tribunal de l’Union européenne dans les cabinets de la juge finlandaise puis estonienne.
  • Référendaire au Tribunal de l’Union européenne dans le cabinet de la juge croate actuellement.

Le Petit Juriste : En quoi consistait votre travail à la Commission européenne ?  

Marc Barennes : Après un peu moins d’un an en tant que collaborateur d’un cabinet d’avocats à Bruxelles dans lequel j’étais occupé principalement à notifier des concentrations, et avoir réussi l’examen d’avocat au Barreau de New-York, j’ai rejoint la Commission après avoir passé un panel. Le chef d’unité avec lequel j’avais fait mon stage recherchait un professionnel intéressé à participer à la lutte contre les cartels et à développer en particulier le nouveau programme de clémence que la Commission avait adopté dans ce cadre.

Les cartels consistent pour des entreprises à s’entendre par exemple sur les prix et à fausser ainsi la concurrence au détriment des consommateurs. Ce sont les infractions les plus graves en matière de concurrence, qu’un ancien commissaire européen à la concurrence qualifiait d’ailleurs de « cancers » pour l’économie. Le programme de clémence quant à lui offre la possibilité aux entreprises membres de cartels d’échapper à toute amende administrative si elle coopère avec la Commission afin de mettre fin à ces pratiques illégales, une sorte de « programme de repentis » en matière d’infractions économiques. À la Commission, j’avais deux principales activités.

D’une part, j’ai exercé une activité de « rapporteur » qui consiste à instruire, notamment en organisant des inspections dans les entreprises ou en rencontrant leurs dirigeants, des dossiers de cartels présumés et à les sanctionner. C’est un travail très vivant, car dans sa phase initiale, il nécessite de se coordonner avec de nombreuses autorités de concurrence en Europe et dans le monde, qui enquêtent sur un même cartel. L’on est aussi amené à rencontrer souvent les avocats des entreprises, en particulier lorsqu’elles demandent une réduction d’amende dans le cadre de programme de clémence. J’ai dans ce contexte rédigé différents types d’actes conduisant à la condamnation d’entreprises ou, au contraire, au classement d’affaires lorsque l’enquête ne permettait pas de conclure à l’existence d’une infraction. Il faut savoir que, en théorie, une infraction de cartel peut entrainer une amende allant jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires d’une entreprise.

D’autre part, j’avais une activité de « policy officer », qui consistait à participer à des groupes de réflexion internes à la DG Concurrence sur l’amélioration des instruments juridiques fixant la politique de la Commission en matière de lutte contre les cartels. Les questions sur lesquelles j’ai été amené à réfléchir et à fournir des propositions visaient en particulier à améliorer le programme de clémence, mais aussi l’adoption d’une procédure de transaction permettant à la Commission d’adopter un plus grand nombre de décisions dans les affaires où les entreprises reconnaissaient leur tort ou la révision des méthodes de calcul de l’amende ou de l’influence du développement des actions en dommages-intérêts sur la sanction par la Commission des cartels. Ce travail « législatif » est passionnant et il n’existe aucun équivalent à cette activité dans le secteur privé.

LPJ : En quoi consiste le métier de référendaire au Tribunal ?

MB : Les référendaires font partie des cabinets de chacun des 28 juges (venant de chaque Etat membre de l’Union) que compte le Tribunal. Chaque juge se voit attribuer un certain nombre d’affaires à traiter chaque année et divise l’examen de ses affaires entre les trois référendaires qui travaillent avec elle ou lui, en fonction de leur spécialisation, du type de dossier en cause et de la charge de travail. Nous sommes donc amenés à travailler sur des dossiers dans toutes les matières de droit européen dont le Tribunal connait, tels que le droit de la concurrence, des aides d’Etat, des marchés publics, l’antidumping, le droit réglementaire, les marques.  Le rôle du référendaire, comme cela a été le mien jusqu’à présent mais cela peut varier d’un cabinet de juge à un autre, est d’instruire une affaire au côté du juge auquel il est rattaché et de rédiger sous sa supervision un projet d’arrêt que le juge acceptera ou modifiera, avant de le communiquer à la chambre, afin de permettre à cette dernière de statuer. Chaque dossier est traité par une chambre composée dans la plupart des cas, de 3 ou 5 juges, en fonction du degré de complexité ou de nouveauté de l’affaire.

Si la chambre partage le raisonnement et la solution proposés, l’arrêt est adopté. S’il y a un désaccord entre les juges de la chambre, de nouveaux projets seront proposés par le juge rapporteur jusqu’à ce que l’arrêt satisfasse la chambre.

Le juge s’appuie donc, et réfléchit avec, le référendaire, mais il revient au seul juge de décider, avec la chambre à laquelle il appartient, du raisonnement et de la solution à donner à une affaire, le référendaire n’ayant donc qu’une fonction de conseil.

LPJ : Quelles sont, selon vous, les qualités à avoir pour exercer votre métier ?

MB : Ce métier requiert beaucoup d’exigence puisque c’est un travail de recherche, de réflexion et de rédaction, qui implique également d’excellentes connaissances juridiques. Il faut donc être extrêmement méticuleux pour arriver à construire un raisonnement solide.

LPJ : Sur un plan plus personnel, quels sont les points les plus positifs et négatifs de votre métier ?

MB : Le point le plus positif de ce travail est le défi intellectuel qu’il entraîne, puisqu’il faut sans cesse traiter de nouvelles affaires souvent extrêmement complexes, dans des domaines variés, tout en respectant les délais impartis. Le point le plus négatif serait que c’est un travail globalement assez solitaire, à tout le moins dans la phase initiale du traitement d’un dossier. En pratique, on ne commence à discuter d’une affaire qu’après avoir bien débroussaillé le dossier, souvent après plusieurs semaines de réflexion et de rédaction. L’échange d’idées avec d’autres référendaires, notamment en raison du fait que nous n’avons souvent pas les mêmes spécialisations, et avec « son » juge pour rédiger un rapport ou un arrêt correspondant à ses attentes, est ensuite très important.

LPJ : Pour les étudiants, comment obtenir un stage au sein des institutions de l’Union européenne ?

MB : Tout d’abord, je voudrais souligner que le stage dans les institutions me semble un « must » pour tous ceux qui souhaitent se diriger vers une carrière de juriste européen. Il faut savoir toutefois que ces stages ne s’effectuent qu’à la fin des études et qu’ils sont très demandés. Ils sont utiles pour deux raisons distinctes à mon avis. Dans les cas où un étudiant souhaiterait travailler dans le secteur privé européen en tant qu’avocat, juriste d’entreprise ou lobbyiste par exemple, un stage lui permettra de comprendre comment fonctionnent en pratique les institutions européennes. Une telle expérience lui sera extrêmement utile durant toute sa carrière pour comprendre comment interagir avec les institutions. Dans les cas où un étudiant se destine plutôt à la fonction publique européenne, auquel cas il devra passer un concours afin de devenir fonctionnaire européen, ce sera alors l’occasion de se rendre compte du type et de l’environnement de travail qui sont offerts au sein des institutions.

A la Commission, comme au Conseil et au Parlement européen notamment, il existe des stages de quatre ou cinq mois rémunérés qui commencent à date fixe chaque année. Il me semble que la Commission a d’ailleurs un site internet dédié au recrutement des stagiaires.

Au Tribunal et à la Cour de Justice en revanche, les stages dans les cabinets de juges ne sont pas rémunérés, mais certains stagiaires obtiennent des bourses dans leur État membre pour effectuer ce stage.

En pratique, pour celles et ceux qui souhaitent faire un stage en cabinet de juges, il faut qu’ils leur adressent directement leur candidature. Pour être recrutés, il faut avoir terminé le premier cycle d’études en droit. La langue de travail au Tribunal étant le français, les stagiaires francophones ayant une spécialisation en droit européen et ayant déjà un peu d’expérience pratique en droit européen sont très recherchés. Compte tenu aussi de l’importance sans cesse croissante du nombre d’affaires en droit communautaire des marques, certains cabinets sont également susceptibles d’être intéressés par des stagiaires ayant une formation spécifique dans ce domaine. Les besoins varient toutefois d’un cabinet à un autre.

Pour ma part, mes stages au Conseil et à la Commission ont été déterminants dans mon choix de poursuivre ma carrière dans le milieu européen, et m’ont laissé de très bons souvenirs et de belles amitiés.

Propos recueillis par Ines Rodriguez

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