Assignations à résidence : violation du droit au recours effectif et du principe d’impartialité

Le juge des référés du Conseil d’État a rejeté le 25 avril dernier deux référés visant à suspendre les arrêtés de prolongation d’assignations à résidence. Ces ordonnances permettent de faire le point sur l’évolution du régime juridique de ces assignations à résidence à l’aune de la loi du 19 décembre 2016 prorogeant l’application de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.

Au 18 novembre 2016, 91 personnes demeuraient assignées à résidence[1]. Face aux prolongations de ce régime d’exception se pose la question des limitations aux prorogations successives des mesures d’assignation à résidence dans le cadre de l’état d’urgence.

Une question initialement non envisagée

Les conditions posées à l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 étant incomplètes, le contrôle des assignations à résidence repose principalement sur l’intervention du juge administratif exerçant un contrôle de proportionnalité sur la mesure prise. Celui-ci a donc été amené à suspendre certains arrêtés d’assignation à résidence[2].

Certes, ces arrêtés doivent être renouvelés à chaque prorogation de l’état d’urgence, entraînant dès lors un réexamen des situations individuelles. Pour autant, les personnes assignées à résidence depuis le 13 novembre 2015 ressentent la lourdeur des contraintes résultant des assignations. Ce sentiment est accentué par la durée grandissante de l’état d’urgence rendant l’exigence d’une limitation temporelle des assignations nécessaire.

L’interdiction des assignations à résidence de plus de douze mois

L’article 2 de la loi du 19 décembre 2016 interdit par principe les assignations à résidence d’une durée supérieure à douze mois à compter de la déclaration d’état d’urgence. Le troisième alinéa tempère aussitôt ce principe en permettant au ministre de l’Intérieur de solliciter l’autorisation du Conseil d’État pour prolonger une assignation à résidence au-delà de douze mois.

Cependant, la nécessité d’une autorisation préalable du juge administratif n’a pas résisté au contrôle de constitutionnalité[3]. Les Sages ont considéré que cette disposition portait atteinte tant au principe d’impartialité qu’au droit à un recours effectif. En effet, le Conseil d’État aurait été in fine juge d’une mesure qu’il a lui-même autorisée.

En outre, le Conseil constitutionnel pose deux réserves d’interprétation quant aux modalités de prolongation de la mesure d’assignation à résidence. Premièrement, il est nécessaire que « le comportement de la personne en cause constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics », que l’autorité administrative produise des « éléments nouveaux ou complémentaires » et prenne en compte la situation de la personne assignée eu égard à la durée totale de l’assignation, de ses conditions et des obligations complémentaires éventuellement prévues. Deuxièmement, la durée de l’assignation doit être adaptée, nécessaire et proportionnée par rapport aux raisons ayant conduit au prononcé de l’état d’urgence.

Par deux ordonnances[4], le juge des référés du Conseil d’État a mis en œuvre ces réserves d’interprétation. Il a ainsi estimé que des actes administratifs fondés sur des éléments nouveaux remplissaient l’exigence posée par le Conseil constitutionnel. En l’espèce, le juge des référés fonde son appréciation tant sur des actes administratifs que sur un faisceau d’indices comprenant des condamnations judiciaires ou encore des notes blanches produites par les services de renseignement.

Loïc LANCIAUX

[1] Exposé des motifs, projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955
[2] CE, Ord., n° 396116, 22 janvier 2016 et CE, Ord., n°396570, 9 février 2016
[3] Décision 2017-624, QPC du 16 mars 2017, M. Sofiyan I
[4] CE, Ord., n°409725 et n°409677, 25 avril 2017

Pour en savoir +
– Dossier législatif, Pouvoirs publics : prorogation de l’état d’urgence (décembre 2016), Assemblée nationale, http://www.assemblee-nationale.fr/14/dossiers/prorogation_etat_urgence_decembre2016.asp
– R. Letteron, Assignation à résidence de longue durée : le Conseil d’Etat fait de la résistance, blog Liberté, Libertés chéries, 29 avril 2017, http://libertescheries.blogspot.fr/2017/04/assignation-residence-de-longue-duree.html

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