Un « droit d’asile » pour les œuvres d’art menacées

Tel est l’engagement pris par François Hollande le 17 novembre dernier à l’occasion de la 70e conférence de l’Unesco. L’idée est de permettre aux États subissant un conflit armé de saisir la France afin qu’elle héberge temporairement des biens culturels menacés de manière grave et imminente.

 

La dimension culturelle de la guerre

Ce mécanisme juridique innovant vient notamment en réponse à la destruction par l’EIIL (Etat islamique en Irak et au Levant) du site antique de Palmyre en août 2015, qualifiée de « crime contre l’humanité » par la présidente de l’Unesco (1).

L’anéantissement de ce joyau du désert syrien est devenu le symbole de la guerre culturelle menée par les groupes djihadistes. De l’Irak au Mali, les fanatiques religieux orchestrent savamment ces pillages, afin d’amnésier les populations et de reconfigurer leur identité, avec comme dessein ultime de mieux les contrôler. La volonté d’imposer une hégémonie culturelle, en plus d’une hégémonie politique et religieuse, est l’une des composantes du mouvement djihadiste (2) . Il faut détruire tout ce qui, aux yeux de l’ennemi, est sacré.

Le « mémoricide »(3) n’est pas un phénomène nouveau. L’Histoire relate nombreuses tentatives d’annihilation de la mémoire des peuples. Les autodafés des livres arabes de l’Inquisition espagnole du XVe siècle, de l’Allemagne nazie ou de la Chine maoïste en sont autant d’exemples.

 

La réponse internationale

Le droit s’est alors progressivement épris de la question, de sorte qu’aujourd’hui nombreuses conventions internationales garantissent la conservation du patrimoine mondial, à l’instar de la Convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé. Ces conventions sont pour la plupart insufflées à l’initiative de l’Unesco, organisation des Nations Unies pour la culture, les sciences et l’éducation créée en 1945.

Plus récemment, les juges de la Cour Pénale Internationale ont également élevé leurs voix, en faisant comparaître un dirigeant d’AQMI (Al-Quaïda au Maghreb Islamique), instigateur de la destruction à Tombouctou en 2012 d’édifices religieux et de monuments historiques (4). Mais la procureure Fatou Bensouda a affirmé son impossibilité de poursuivre les crimes commis en Irak ou en Syrie, États non parties au Statut de Rome portant création de la Cour Pénale Internationale. Cet aveu d’impuissance de La Haye rend plus que jamais nécessaire une coopération des États.

 

L’ébauche d’une législation française

Avant de chercher à punir, faut-il encore prévenir.  C’est pourquoi François Hollande a confié l’été dernier au directeur du musée du Louvre, Jean-Luc Martinez, la mission d’initier des mesures concrètes pour garantir efficacement la préservation du patrimoine culturel mondial. Ainsi, cinquante propositions pour protéger le patrimoine de l’humanité ont été déposées sur le bureau du Président de la République en novembre 2015. Parmi elles, la proposition 47, qui consiste à instaurer un « droit d’asile » pour les œuvres d’art menacées. Ce cadre juridique permettrait aux États en proie à un conflit armé de saisir la France, afin qu’elle héberge leurs œuvres d’art le temps du conflit via la création de « musées-refuges ».

C’est à la Tribune de l’Unesco que François Hollande annonce publiquement ce dispositif, qui figure désormais dans le projet de loi « Liberté de création, architecture, et patrimoine » déposé en juillet 2015 et toujours en cours de discussion devant le Parlement et porté par la Ministre de la Culture, Fleur Pellerin. La résonance symbolique de cette mesure est d’autant plus forte qu’elle n’intervient que quelques jours après le 13 novembre. « A la barbarie des terroristes, nous devons opposer l’invincible humanité de la culture (…) La culture, voilà pourquoi la France se bat aujourd’hui » entonne le Président devant un auditoire encore consterné par les attaques qui viennent de frapper la capitale.

Il semble falloir encourager cette législation nationale naissante, prenant acte des conventions internationales, souvent aussi vite signées qu’oubliées. Si répondre à la guerre par la guerre demeure contestable, répondre à la guerre par la culture et la mise en place de dispositifs juridiques concrets pour sa sauvegarde est la condition sine qua non de journées moins sombres.

 

       Juliette Vigouroux

                                   

  1. D’après les mots d’Irina Bokova, directrice générale de l’Unesco, sur Europe 1 le 24 août 2015
  2. Daech fonderait ses actions à l’encontre des biens culturels sur un traité intitulé « Gestion de la barbarie », écrit par le théoricien du djihad Abu Bakr Nahi en 2004
  3. D’après l’expression de Fernando Baez, intellectuel vénézuelien dans son ouvrage « Histoire universelle de la destruction des livres », paru aux éditions Fayard en 2008
  4. Ahmad Al Faqi Al Mahdi d’un groupe islamiste lié à AQMI (Al-Qaida au Maghreb Islamique) a comparu le 30 septembre devant la Cour pénale internationale à la Haye

 

 

POUR EN SAVOIR +
Site lexpress.fr → Site bibliobs.nouvelobs.com → Interview de Fernando Baez du 16.11.2015
Site élysée.fr → Rapport des 50 propositions pour la protection du patrimoine mondial de l’humanité 

 

http://bibliobs.nouvelobs.com/en-partenariat-avec-books/20150515.OBS9024/la-destruction-culturelle-fait-partie-integrante-du-djihad.html

http://www.elysee.fr/assets/Uploads/Cinquante-propositions-francaises-pour-proteger-le-patrimoine-de-lhumanite.pdf


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