Actualités autour de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

 

 

 

 


La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne est un texte proclamé par les institutions européennes – Conseil, Parlement et Commission – lors du sommet de Nice, les 7 et 8 décembre 2000. La Charte était conçue avant tout comme transmettant une valeur identitaire aux citoyens de l’Union, afin qu’ils puissent prendre conscience que les institutions de l’UE respectent les droits fondamentaux dans leurs décisions mais sa valeur contraignante a été reconnue avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en 2009. La Charte est divisée en 7 titres (Dignité, Libertés, Égalité, Solidarité, Citoyenneté et Justice) regroupant en tout 50 articles. Le septième titre est consacré aux dispositions générales, dans lequel on trouve certaines réponses concernant le champ d’application de la Charte (article 51), l’encadrement de la limitation des droits énoncés (article 52) ou encore la « clause de non-régression » (article 53).

 

La Charte est évidemment un outil intéressant car récent en matière de droits fondamentaux. Néanmoins, certaines de ses dispositions peuvent être limitées formellement (I) ou limitées substantiellement (B).


 

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I. Limitation formelle de la Charte

 

 

 

Au titre de la limitation formelle de la Charte, ce sont les dispositions générales du titre 7 qui sont intéressantes puisqu’elles encadrement l’application de la Charte (A) ou la limitation des droits contenus dans la Charte (B).

 

 

 

A- La condition de l’article 51

 

 

 

L’article 51 de la Charte conditionne l’application de la Charte à la « mise en œuvre » du droit de l’UE. La notion de mise en œuvre paraît correspondre au champ d’application du droit de l’UE selon l’arrêt Aklargen[1] de la Cour de justice.

 

 

 

Un cas particulièrement semble poser des difficultés aux juges administratifs français : lorsque la disposition nationale en cause transpose une directive. Premièrement, l’arrêt Kücükdeveci[2] énonce clairement qu’en cas d’absence de transposition passé le délai imparti, la réglementation nationale en question entre dans le champ d’application du droit de l’UE. Deuxièmement, devant le juge national s’est posée la question de savoir si la réglementation nationale transposant une directive est une mise en œuvre du droit de l’UE au sens de la Charte. Cet aspect paraissait évident mais les juges français ont écarté la Charte face à des dispositions nationales de transposition. Ils estiment que l’article L-511-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) qui concerne les mesures d’éloignement des étrangers en situation irrégulière, le plus souvent confronté à l’article 41 alinéa 2 de la Charte sur le droit d’être entendu, est un texte de droit interne qui ne met pas en œuvre le droit de l’UE[3], même si la rédaction est issue de la transposition de la directive 2008/115/CE[4]. Ainsi, ce point n’est pas clair pour les juges français, ce qui a entraîné une question préjudicielle de la part du Tribunal administratif de Melun le 8 mars 2013 sur le droit d’être entendu de l’article 41 de la Charte (droit à une bonne administration), par rapport à la procédure des mesures d’éloignement[5].

 

 

 

B – L’encadrement de l’article 52

 

 

 

L’article 52 de la Charte indique comment les droits énoncés dans la Charte peuvent être limités : « Toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui ». Formulation qui rappelle beaucoup la jurisprudence de la Cour EDH qui utilise trois critères : la limitation est prévue par la loi, elle est nécessaire dans une société démocratique et elle respecte le principe de proportionnalité[6].

 

 

 

L’arrêt Volker und Markus Schecke and Eifert[7] permet de préciser l’application de l’article 52 de la Charte. En l’espèce, les bénéficiaires d’un fonds en matière agricole contestent la publication de données relatant notamment les montants reçus. Cette publication pouvait ainsi aller à l’encontre de l’article 8 de la Charte sur la protection des données à caractère personnel. La première condition de limitation à la loi passe l’épreuve du test car cette publication est prévue par le règlement 259/2008[8]. À ce propos, il est relevé que la notion « prévu par la loi »  peut comprendre un un règlement d’exécution de la Commission. Ensuite, la Charte prévoit que la limitation envisagée doit « respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés ». C’est-à-dire que la limitation doit répondre à un objectif légitime et être respectueuse du principe de proportionnalité. Dans cette affaire, la transparence était soulevée comme objectif d’intérêt général mais ne passe pas le test de proportionnalité car la Cour estime que la limitation en question va au-delà de ce qui est nécessaire[9].

 

 

 

II – Limitation substantielle de la Charte

 

 

 

Par limitation substantielle il faut comprendre que certains droits de la Charte ne peuvent pas être invoqués dans les litiges, soit parce qu’ils sont des principes nécessitant un texte de droit dérivé (A), soit parce qu’ils ne sont a priori pas applicable dans des litiges entre particuliers (B).

 

 

 

A – La distinction entre principes et droits

 

 

 

La Charte étant un texte de compromis entre les États membres, certains droits n’ont pas fait l’objet de consensus et pour les maintenir les rédacteurs ont opté pour une distinction entre droits et principes précisée au paragraphe 5 de l’article 52, les « (…) principes peuvent être mis en œuvre par des actes législatifs et exécutifs pris par les institutions, organes et organismes de l’Union, et par des actes des États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. Leur invocation devant le juge n’est admise que pour l’interprétation et le contrôle de la légalité de leurs actes [10]».

 

 

 

Les droits sociaux sont les plus affectés par cette qualification de « principes » et nécessitent donc des consécrations internes, car il s’agit d’un domaine dans lequel les États souhaitent conserver leur souveraineté[11]. Ce qui relève concrètement des principes n’est pas très clair, hormis les exemples donnés par les explications du Praesidium, comme par exemple, les articles 25 (droit des personnes âgées) et 26 (intégration des personnes handicapées). La découverte des principes peut être casuistique, comme l’expose l’avocat général Trstenjak au sujet du droit aux congés annuels payés qu’il estime « a été conçu comme un « droit fondamental », ce qui exclut d’office tout rattachement aux « principes » (…)[12] ».

 

 

 

Cette différenciation obscurcit quelque peu la reconnaissance de ces droits fondamentaux, principalement des droits sociaux[13]. L’impact de cette distinction se retrouve quant à leur effet et la possibilité de leur invocation devant le juge. Les principes ne fixent que des objectifs à atteindre par les législateurs nationaux et européen[14], donc ne peuvent être invoqués que pour interpréter un texte mettant en œuvre le principe.

 

 

 

B – Application de la Charte aux seuls litiges horizontaux ?

 

 

 

La question des effets horizontaux des droits fondamentaux illustre l’évolution qu’ont pu connaître ces types de droits, qui avaient été imaginés comme cadre à respecter par les États, mais sont devenus exploitables dans les litiges entre particuliers, surtout pour les droits sociaux[15].

 

 

 

La Cour de cassation a posé une question sur l’effet horizontal de l’article 27 (droit à l’information et consultation des travailleurs)[16]. Les mêmes faits ont d’ailleurs fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité[17], pour laquelle le Conseil constitutionnel a décidé que la disposition du droit du travail en cause était conforme à la constitution, cette affaire illustrant le fait que le juge national ne se prive pas du contrôle de conventionnalité lorsque la disposition nationale a été déclarée constitutionnelle. Deux demandes sont formulées : d’une part, la Cour de cassation veut savoir si les articles 51 et 52 de la Charte limitent les effets horizontaux, sachant que cela n’est pas formulé dans ces articles ; d’autre part, savoir si l’article 27 de la Charte, tel que précisé par la directive 2002/14/CE[18] s’oppose à l’exclusion de certains types de contrats (par exemple de professionnalisation ou d’apprentissage) dans le calcul des seuils des effectifs d’une entreprise.

 

 

 

Tania Racho

 

Doctorante en droit européen

 

Paris II – Panthéon-Assas

 

 

 

POUR ALLER PLUS LOIN

 

Paul CASSIA et Suzanne VON COESTER, « L’application de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne par le juge national », JCP G, 5 Mars 2012 n° 10, n° 298

 

Bertrand FAVREAU, La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne après le Traité de Lisbonne, Avant-propos de Vassilios SKOURIS, Bruylant, 2010, Bruxelles, Institut des avocats européens

 

J. KOKOTT et C. SOBOTTA, « The Charter of fundamental rights of the Europen Union after Lisbon », EUI Working Papers, AEL 2010/6.

 

K. LENAERTS, « Exploring the Limits of the EU Charter of Fundamental Rights », European Constitutionnal Law Review, 2012, vol. 8, p. 375

 

C. PICHERAL et L. COUTRON (dir.), « Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et Convention européenne des droits de l’homme » , Bruylant, Bruxelles, 2012.

 

A. ROSAS et H. KAILA, « L’application de la Charte des droits fondamentaux de l’Union par la Cour de justice : premier bilan », Il diritto dell’Unione Europea, 2011, fasc 1-2011

 


[1] CJUE, 26 février 2013, Aklargen c/ Hans Akerberg Fransso, aff. C-617/10, spéc. points 19 et 21.

[2] CJUE, 19 janvier 2010, Kücükdeveci, aff. C-555/07, Rec. I-365, spéc. point 25.

[3] CAA Paris, 11 avril 2013, n°12PA04396.

[4] Directive 2008/11/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, JO CE, L 348/08 du 24 décembre 2008.

[5] TA Melun, 8 mars 2013, Mme Mukarubega, n°1301686/12. Affaire pendante devant la Cour de justice, C-166/13.

[6] Voir par exemple CEDH, 30 juin 2009, Verein gegen Tierfabriken c/ Suisse, req. 32772/02.

[7] CJUE, 9 novembre 2010, Volker und Markus Schecke and Eifer, aff. jtes C-92/09 et C-93/09, Rec. I-11063 et K. LENAERTS, « Exploring the Limits of the EU Charter of Fundamental Rights », op. cit.

[8] Point 66 de l’arrêt CJUE, 9 novembre 2010, Volker und Markus Schecke and Eifer, op. cit.

[9] Point 85 de l’arrêt CJUE, 9 novembre 2010, Volker und Markus Schecke and Eifer, op. cit.

[10] Nous soulignons.

[11] Voir A. GRUBER, « La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et les droits sociaux », LPA, n°257, 2010, p. 6.

[12] Point 76 des conclusions de l’avocat général Trstenjak du 8 septembre 2011, sous l’affaire C-282/10, Maribel Dominguez.

[13] Voir F. PICOD, « Pour un développement durable des droits fondamentaux de l’Union européenne », in Liberté, justice, tolérance, Mélanges en hommage au doyen Cohen-Jonathan, Bruylant, Bruxelles, 2004.

[14] Voir article 52 § 5 de la Charte, ajouté au moment de la signature du traité de Lisbonne et K. LENAERTS, « Exploring the Limits of the EU Charter of Fundamental Rights », op. cit,, spéc. p. 400.

[15] Voir A. SEIFERT, « L’effet horizontal des droits fondamentaux. Quelques réflexions de droit européen et de droit comparé », RTDE, 2013, p. 801.

[16] C.Cass, chbr. soc., 11 avril 2012, n° 11-21609. La Cour de justice n’a pas encore rendu sa décision mais le rôle a attribué le numéro C-176/12 à cette affaire.

[17] Voir C.cstnel, Décision n°2011-122 QPC du 29 avril 2011, C.Cass, 16 février 2011, n° 10-40062 et A. JAURÉGUIBERRY, « L’influence des droits fondamentaux européens sur le contrôle a posteriori », RFDA, 2013, p. 10.

[18] Directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, JO CE, L 80/29 du 23 mars 2002.

 

 

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