Bioéthique : Une insémination post mortem inédite

La loi est sans équivoque. L’article L. 2141-2 du Code de la santé publique précise avec clarté que le couple ayant recours à l’assistance médicale à la procréation doit être vivant. Ces dispositions révèlent le souci du législateur d’éviter toute conception délibérée d’enfant orphelin[1].

Et pourtant, le Conseil d’Etat s’est prononcé, le 31 mai 2016, en faveur du transfert des gamètes en vue de procéder à une insémination post-mortem.

De prime abord, cette décision inédite semble non seulement faire voler en éclat une jurisprudence établie depuis plus de 25 ans[2], mais également faire volte-face à la condition posée par l’article L. 2141-2 et à l’ensemble des dispositions de l’article L. 2141-11-1 du code de la santé publique. En effet, au sein de ce dernier, le transfert des gamètes, conservées en France, pour un usage allant contre les lois de la bioéthique est expressément interdit[3].

Toutefois, il convient de souligner qu’il s’agit, ici, d’une décision d’espèce résultant d’une situation factuelle extraordinaire. En effet, la veuve souhaitant recourir à une assistance médicale à la procréation est de nationalité espagnole tandis que le défunt est italien. Vivant à Paris au moment où il tombe gravement malade, le futur défunt, qui avait pour projet de concevoir un enfant, n’a eu comme seule possibilité de faire congeler ses gamètes en France. Au sein de son testament, il a explicitement consenti à l’utilisation de ses gamètes à titre posthume par son épouse en vue de réaliser une insémination artificielle en Espagne.

Si la loi française interdit expressément l’utilisation et le transfert de gamètes pour effectuer une assistance médicale à la procréation posthume, il en est tout autre en Espagne. Ce pays autorise l’insémination post mortem à condition qu’elle intervienne dans les douze mois suivant le décès du mari et que celui-ci ait préalablement donné son accord.

Face à cette situation, le Conseil d’Etat a d’abord jugé conforme à la convention européenne des droits de l’homme l’interdiction française d’insémination ou de transfert de gamète en vue de concevoir un enfant post mortem.

Puis, effectuant un contrôle in concreto cette fois-ci, le conseil relève que l’urgence de la situation n’a pas permis au couple de préserver les gamètes du défunt en Espagne. De plus les membres de ce couple n’étant pas de nationalité française et la veuve, vivant de manière durable en Espagne auprès de sa famille, n’entretien plus aucun lien avec la France. Ainsi, cette demande n’aurait pas pour objectif de contourner la législation française.

Au regard des circonstances particulières de la situation, le Conseil d’état a estimé que l’application de la loi française porterait une atteinte manifestement excessive au droit au respect de la vie privée et familiale. Ainsi, il est ordonné de « prendre toutes les mesures nécessaires pour permettre l’exportation des gamètes vers l’Espagne ».

Si cette décision tient compte du caractère extraordinaire de la situation factuelle et de la législation en vigueur dans le pays dont est issu et vit le demandeur, elle constitue une brèche à la législation française autour de l’assistance médicale à la procréation.

C’est vrai qu’il ne s’agit pas pour le moment, et comme indiqué ci-dessus, d’une profonde remise en cause de notre droit[4]. Néanmoins, cette décision écarte des règles juridiques explicites et fermes à ce propos. La voie de l’exception est ainsi ouverte. Rien ne semble s’opposer à ce qu’une décision semblable à celle ci soit de nouveau prise au regard d’une autre situation factuelle particulière, pour ne pas dire spécifique. Dans ce cas, la volonté triompherait sur la mort[5].

Si la conciliation entre un droit fondamental, le droit français et le droit espagnol est délicate, cette décision inédite est bien en contradiction avec la législation française[6] qui s’efface.

Ce sujet récurrent de bioéthique, portant sur l’utilisation et le transfert des gamètes ou des embryons, n’a pas fini de faire naitre des débats.

Ambre de Vomécourt

 

[1] A ce propos, J. Hauser estime que « L’enfant, c’est un avenir (qui) ne se résume pas à un monument in memoriam », RTD civ., 2010, p. 95 ; Voir également : J.-R. Binet et A. Mirkovic, « Procréation post mortem : ne pas copier les injustices de la nature », Bioethica Forum – Journal suisse d’éthique biomédicale, 2011/4, n°2, Point de vue, p. 29 ; B. Beignier et J.R. Binet, Droit des personnes et de la famille, Collection cours, LGDJ, Lextensoeditions, 2014, spé. P.329, n°1161

[2] TGI Toulouse, 26 mars 1991, JCP G 1992, II, 21807, note Ph. Pédrot ; CA Rennes, 22 juin 2010, RGDM, 2010, 35, obs. J.-R. Binet, CEDH, grande chambre, 10 avril 2007, n° 6339/05, Evans contre Royaume-Uni, JCP-G, 2007, II, 10097, comm. B. Mathieu

[3] Pour aller plus loin : voir également : D. Bakouche, Le transfert d’embryon post mortem in Mélanges M. Gobert : Economica, 2004, p. 153-167, spéc. n° 14 ; A. Mirkovic, Le transfert d’embryon post mortem : comment sortir de l’impasse ?, Dr. Famille, 2009, étude 23

[4] Selon les propos rapportés par le site du figaro, Me D. Simhon a précisé que « cette décision d’espèce n’aura pas de conséquences sur la législation française »

[5] Pour l’expression : G. Raoul-Cormeil, Le sort des embryons in vitro, post mortem patris, JCP G, n° 21, 23 mai 2011, 608, p. 1022.

[6] Voir en ce sens les propos recueillis de J. R. Binet par le site lefigaro : http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2016/05/31/01016-20160531ARTFIG00208-insemination-post-mortem-le-conseil-d-etat-valide-le-transfert-de-gametes-vers-l-espagne.php ; Prochainement voir comm. J.R. Binet, dr.famille, Juillet 2016

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