Les chantiers navals de Saint-Nazaire : l’État et l’agilité actionnariale

Le 27 juillet dernier, Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, a annoncé l’exercice du droit de préemption de l’État sur STX France comprenant les chantiers navals de Saint-Nazaire. Si cette opération s’inscrit dans le cadre des négociations avec Fincantieri, un repreneur italien, elle paraît être une prémisse d’une nouvelle politique actionnariale de l’État.

Élément du patrimoine maritime français, la question de l’avenir des chantiers navals de Saint-Nazaire est récurrente. Intégrés en 1976 dans le groupe industriel Alsthom, les Chantiers de l’Atlantique ont été revendus en 2006 au groupe norvégien Aker qui les a cédés en 2008 au groupe sud-coréen STX, l’État conservant 33,34 % des parts de l’entreprise, soit une minorité de blocage. Le groupe STX placé en redressement judiciaire en 2016, les deux tiers des parts de cette filiale devenue STX France ont été mis en vente par le tribunal de commerce de Séoul par appel d’offres que le groupe italien Fincantieri, seul candidat, a remporté le 3 janvier 2017.

Une opération fondée sur le pacte d’actionnaires

Ce rachat devait toutefois respecter les conditions du pacte d’actionnaires conclu entre le groupe STX et l’État français en 2008. En effet, il autorise l’État, en cas de vente de la participation du groupe coréen, à préempter ses parts, c’est-à-dire à se substituer à l’acquéreur potentiel dans un délai donné, en général aux prix et conditions de la cession projetée.

Souhaitant conserver la maîtrise sur ce secteur, le projet du précédent Gouvernement était de modérer l’influence du repreneur italien, en limitant sa participation à 48 % et en confiant à la Fundazione CR Trieste, financièrement proche, les 7  % restants. Ce projet de pacte d’actionnaires était critiqué par sa faible protection des intérêts stratégiques de la France.

En réalisant cette opération, l’État se place ainsi en position de force dans la négociation menée avec le repreneur désigné, l’italien Fincantieri, numéro 1 mondial de la construction de navires. D’un coût d’environ 80 millions d’euros, cette somme est faible par rapport au chiffre d’affaires que les chantiers rapporteront au cours de la prochaine décennie, mais également face à la force financière de l’État.

Toutefois, dans la gestion de la cession des parts dans les chantiers navals de Saint-Nazaire, l’État n’a pas souhaité utiliser ses armes unilatérales, exorbitantes du droit commun, mais a habilement fait usage des prérogatives de l’actionnaire. En effet, il aurait pu employer la procédure de l’autorisation préalable prévue à l’article L. 151-3 du code monétaire et financier, significativement renforcée par le décret n° 2014-479 du 14 mai 2014, pris à l’initiative du ministre du redressement productif suite à l’affaire « Alstom ».

Sont ainsi soumis à autorisation préalable du ministre chargé de l’économie, qui peut être assortie de conditions, les investissements étrangers dans une activité de nature à porter aux intérêts de la défense nationale, ce qui se justifie eu égard à l’activité militaire de STX France, notamment dans la construction des porte-hélicoptères mistrals. Le ministre dispose de pouvoirs plus contraignants que ce dont il dispose au titre de la minorité de blocage. Ceci est d’autant plus vrai qu’en cas de violation des directives de l’État pour la cession, le ministre a la possibilité d’infliger « une sanction pécuniaire dont le montant maximum s’élève au double du montant de l’investissement irrégulier ».

La perspective d’un accord de reprise

Pour autant, l’État n’entend pas demeurer unique actionnaire d’une entreprise, aujourd’hui rentable mais hier déficitaire, ce qui avait conduit à sa vente par Alstom en 2006. Industrie par nature fluctuante, il est difficile de prévoir si la croissance de l’industrie de croisière restera à son niveau actuel dans les dix ans à venir. Aussi est-il important pour l’État de partager les coûts d’investissement avec un partenaire qui a acquis une expérience solide en anticipation des risques économiques et commerciaux. Cette stratégie actionnariale permet de substituer à une discussion contractuelle bilatérale entre coréen et italien, une négociation tripartite dans laquelle l’État peut préserver les buts politiques de l’opération : protection des intérêts stratégiques des chantiers et maintien des emplois directs et des dizaines d’entreprises de sous-traitance. L’État affiche clairement son ambition : devenir co-majoritaire avec l’actionnaire privé italien faisant ainsi des chantiers une entreprise où l’État disposerait des pouvoirs dévolus aux détenteurs de la majorité du capital, pouvant s’opposer aux décisions destinées à diminuer le personnel, à réduire les investissements sur les moyens de production ou à délocaliser certaines branches de fabrication vers d’autres sites de fabrication.

Afin de surmonter le refus prévisible du consortium et du Gouvernement italien, Bruno Le Maire a avancé la perspective d’un partenariat militaire étroit dans la construction de navires de surface à fort tonnage. Les chantiers de Saint-Nazaire comptent en effet parmi les quelques sites équipés en Europe pour pouvoir construire des porte-avions et bâtiments de projection et de commandement. Cette ambition est d’autant plus crédible que le Gouvernement souhaite l’entrée de Naval Group, géant français de l’industrie navale de défense (ex-DCNS), appartenant à l’État français (62 %) et Thalès (35 %), au capital de STX France à hauteur de 12 %.

Enfin, cette opération s’inscrit dans la logique d’une politique actionnariale proactive alors que Bruno Le Maire a annoncé d’importantes cessions de participations de l’État et quelques privatisations à venir – est notamment évoquée la Française des jeux – à hauteur de 10 milliards d’euros, ce qui équivaut aux précédentes ventes opérées sous le mandat précédent, en vue d’abonder des fonds de financement de l’innovation, source identifiée de la croissance future. 

NB : À l’issue du sommet France-Italie du 27 septembre 2017, un nouvel accord a été à nouveau conclu : si l’État détient à nouveau 33,34 % de la société STX France, Naval Group (ex-DCNS), détient entre 10 % et 13,66 % selon la participation des sous-traitants et les salariés 2 % des actions, Fincantieri conserve 50 % des actions. Le contrôle de STX France est toutefois confié à Fincantieri par le prêt de 1 % des actions détenu par l’Etat pour 12 ans, révocble en cas de violation des engagements pris par l’Italie.

Adrien Hipp
Modérateur de la rubrique Droit public de l’économie du Petit Juriste

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