La disparition programmée de l’oralité du procès

Le décret 2010-1165 du 1er octobre 2010, souvent appelé “décret sur l’oralité” a ouvert une boite de pandore dans le domaine de l’informatique appliquée au droit, menaçant le contradictoire et l’oralité du procès.

L’oralité est une spécificité de certaines juridictions, principalement pour permettre à des justiciables non assistés d’exposer à la barre leurs arguments, sans imposer un formalisme ou un écrit qui pourrait les effrayer. La contradiction, notion fondamentale du procès civil, contraint tant les parties que le juge.

L’informatisation a depuis longtemps pénétré tous les stades du procès civil. Ce n’est que de la révolution qu’il apporte dans la phase de mise en état que nous traiterons, et notamment au travers de l’actualité de la mise en place du décret de 2010 sur l’oralité modifée1. Par une sorte d’engouement inquiétant, une partie des circuits de la mise en état semble accepter de se limiter à ce que l’informatique sait (mal) faire, quitte à prendre quelques libertés avec ce que le Code de procédure civile (CPC) lui impose de respecter.

Les incontestables avantages de la mise en état électronique 

Aux échanges de plus en plus rapides, et aux dossiers de pièces de plus en plus volumineux, ni le porteur, ni le pigeon voyageur, ni le fax n’apportaient de solution durable. Numériser le dossier, l’adresser sous forme numérique plus lisible qu’un fax, le conserver et le retravailler est un apport incontestable. L’usage du Réseau privé virtuel des avocats (RPVA), quand il fonctionne, permet d’adresser ses écritures de manière certaine à ses contradicteurs et de s’en réserver la preuve.

Mais là encore le diable informatique est dans les détails, et la trop petite taille des boîtes prévues par le RPVA impose à la fois de limiter les annexes et d’imprimer les AR que l’on ne peut conserver dans sa boîte, à peine de voir s’afficher le terrible bandeau rouge « votre boîte est saturée ». Quelle est la valeur probante d’un papier prétendument imprimé depuis le RPVA ? Aucune, mais on fera donc avec.

Contrairement à ce qui a pu être écrit de-ci de- là, l’oralité reste le principe de la procédure, comme l’expriment par exemple les articles 860- 1 et suivants pour le tribunal de commerce. Ce n’est qu’à l’article 446-1, malheureusement situé en amont dans le code, qu’il est précisé que les parties peuvent, lorsqu’une disposition spéciale le permet, être autorisées (et non obligées), de présenter leurs moyens par écrit et de s’abstenir de comparaître, sauf d’ailleurs pour le juge (et non la formation collégiale) à vouloir les entendre. La formation collégiale n’est pas dispensée quant à elle de l’oralité de la procédure sauf deux exceptions : demandes de délais et de dispense de venir à une audience ultérieure.

Au delà de la négligence, il peut y avoir de « bonnes raisons » pour certaines parties de ne pas souhaiter comparaître à chaque audience. Citons par exemple la personne physique résidant loin du tribunal où est enrôlée la procédure principale dans laquelle elle est attraite, ou la procédure collective impécunieuse dont la présence en défense dans l’instance est procéduralement indispensable. Sur ce point particulier, le fait de pouvoir, sur ordonnance du juge prise en présence et avec l’accord de toutes les parties, les dispenser de comparaître à une prochaine audience peut en effet améliorer ponctuellement les choses.

Mais là encore, lorsque la contradiction électronique avance, c’est l’oralité dans sa dimension de libre accès à la justice qui recule. En effet, rien n’est prévu pour faire parvenir par voie électronique des écritures à une partie non assistée.
Et contrairement à une pratique qui, sous couvert de pragmatisme, se développe un peu partout, la notion de conclusions n’existe pas devant une juridiction orale, laquelle n’est saisie que par assignation ou par échange de moyens à la barre en présence de toutes les parties. Exit donc la lettre recommandée, le mail avec accusé de réception, et même la signification. Si une partie ne comparaît pas, en dehors de la dispense rappelée ci-dessus et sous réserve qu’elle reparaisse ultérieurement, il faut la réassigner, enrôler et joindre.

Ainsi que le précisait le professeur Fricero dans son analyse présentée quelques jours après la sortie du décret de 2010, l’oralité reste la règle, même si elle peut devenir optionnelle devant le juge chargé d’instruire l’affaire (JCIA) ; la dispense de comparution n’est qu’une option, qui doit être sollicitée par les parties, acceptée par tous et accordée par la collégialité dans un cas mentionné dans la sous-section 1 et selon les modalités déterminées dans la sous-section 2 avec le JCIA.

Cependant on se rend compte que les choix informatiques sont en train de prendre le pas sur le Code de procédure civile.

Les dangereuses approximations induites au regard du Code de procédure civile 

En permettant une « option encadrée », le décret de 2010 a ouvert une boîte de Pandore qu’il est bien dif cile de refermer. Chacun a cru bon d’ajouter au code, ou de l’interpréter sans trop le lire, ce qui laisse craindre le pire pour l’avenir.

La dispense de comparution s’entend jusqu’à la prochaine audience et non pour toutes les audiences à venir. La notion d’audience virtuelle par échange RPVA n’a pas été prévue par le décret, même si force est de constater que quelques juridictions la pratiquent de facto. Et au passage on en pro te pour donner aux prétentions des parties la date de cette audience procéduralement inexistante alors même que l’article 446-d du Code de procédure civile indique que c’est la date des échanges entre les parties qui est prise en compte.

Pire encore, l’oralité aménagée a inventé le « calendrier ordonné d’of ce », qui est souvent un « calendrier standard ». Certes l’informatique est une grande amatrice de simplifications, mais ordonner un calendrier unique que ce soit pour une simple affaire qui pourrait être réglée en deux audiences orales, ou pour une affaire complexe qui va nécessiter de nombreux appels en garantie en cascade, ne fait tout simplement pas sens.

Outre d’ailleurs que ce faisant, on viole la disposition imposant la demande préalable de toutes les parties pour la dispense de comparution. Et pour nouer la gerbe, on en a pro té pour transposer, toujours sans base légale, la notion d’ordonnance de clôture, alors

que le texte, très modéré, se contente de disposer que « Le juge (JCIA) peut écarter des débats les prétentions, moyens et pièces communiqués sans motif légitime après la date axée pour les échanges et dont la tardiveté porte atteinte aux droits de la défense. »

Pour les juridictions connaissant effectivement la clôture,on a aussi inventé une autre règle.La clôture (ou la n de recevabilité des déclarations d’appel) ne se fait plus en droit à minuit le dernier jour fixé par le juge de la mise en état, ou le dernier jour fixé par le Code, mais en fait quelques heures plus tôt, pour tenir compte du « délai incompressible de réception et d’impression par le greffe » ou d’une « panne du RPVA » via une convention qui elle aussi ajoute au Code.

Un avenir inquiétant 

Il est évident que ces glissements de procédure vont dans le sens des économies de moyens souhaitées par les greffes, qu’ils soient publics, avec des effectifs insuffisants, ou privés et quelque peu mis en difficulté par les tarifs imposés par la loi Macron. Notons qu’ils vont aussi dans le sens des « plateformes offshore du droit » qui sont une réelle menace pour la profession d’avocat en France.

Mais en recherchant la célérité et les économies, on risque fortement d’abandonner l’humain. La première partie du décret de 2010 insiste surtout sur les méthodes alternatives de résolution des différents. Est-ce qu’on peut sérieusement soutenir qu’en effectuant tout à distance depuis un écran, on arrivera à concilier ou à médier ? On peut se permettre d’en douter, comme le précisait un avocat qui rappelait récemment devant une commission du barreau de Paris que « une fois qu’on a saisi, avant de pouvoir concilier, il faut avoir versé une certaine quantité de sang à la barre » .

Philippe Alliaume, 

Ancien Directeur des Système d’information et Magistrat consulaire

1. Décret n°2010-1165 du 1er octobre 2010 relatif à la conciliation et à la procédure orale en matière civile, commerciale et sociale.

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