L’obligation de minimiser le dommage en responsabilité civile

S’il fallait résumer la notion de minimisation du dommage en une phrase, c’est sans doute une citation du professeur Bénabent qui s’y prêterait le mieux. Il déclare en effet que « ce n’est pas parce qu’autrui répondra d’un incendie qu’on ne doit pas chercher à l’éteindre »[1].

Cette proposition claire semble suffire à elle-même mais cache en réalité toute une controverse autour de ce concept qui fait de plus en plus parler de lui en droit positif. Consacrée en droit anglais dès la fin du XIXème siècle[2], l’obligation de minimiser le dommage (« duty to mitigate damages » en anglais) se définit comme un devoir juridique de réduire le dommage subi que cela concerne la matière contractuelle ou délictuelle.

Une obligation jusqu’alors rejetée par la France

Cette règle connaît un succès certain comme peut en témoigner son adoption dans le système juridique de plusieurs pays de tradition romano-germanique tels la Belgique ou sa reconnaissance dans certains principes d’harmonisation du droit des contrats. Présente au sein de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 applicable en France dans le cadre des échanges du commerce international, cette obligation ne figure toutefois pas dans le Code civil et n’est toujours pas acceptée par la jurisprudence. Il est donc d’actualité de se demander si cet impératif de mitigation se doit d’être transposé en droit français.

Pour cerner l’ensemble de cette notion, il paraît pertinent de partir d’un principe cardinal du droit français : le principe de réparation intégrale. C’est ce dernier qui justifie et explique que le droit français refuse de reconnaître une obligation pour la victime de modérer son dommage. En 2003, la Cour de cassation y avait tout d’abord montré son hostilité en déclarant, au visa de l’article 1382 du Code civil, que « l’auteur d’un accident est tenu d’en réparer toutes les conséquences dommageables ; que la victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable »[3]. Cette solution de principe fût un temps ébranlée par une décision de 2011[4] venant implicitement suggérer qu’une obligation pesait sur la victime par le biais de la notion de faute de la victime. Mais, plus récemment, dans deux arrêts de 2014 et 2015, les juges sont venus réaffirmer leur position de 2003 en élargissant la nature du dommage réparable au dommage matériel[5].

Une volonté de responsabilisation des victimes

Que faut-il alors penser de ce devoir de mitigation ? L’idée majeure au soutien de sa consécration en droit français réside dans la volonté de responsabilisation des victimes. En effet, admettre qu’une victime reste passive reviendrait à l’inciter « à l’insouciance et à la négligence » et paralyserait « l’effet d’exonération partielle normalement attribué à la faute de la victime en évinçant toute obligation préexistante »[6]. Les partisans d’une analyse économique du droit ajoutent que cette intégration serait profitable à l’intérêt général en ce qu’elle réduirait les coûts de l’indemnisation, reposant en grande partie sur l’ensemble du corps social.

Mais il ne faut pas oublier que conçu trop strictement, comme c’est le cas en Common Law, le principe de minimisation du dommage pourrait, dans des cas extrêmes, conduire à une suppression du droit à indemnisation dont bénéficie la victime ou bien à une mise en danger de notre conception de l’engagement contractuel. Pour éviter cela, il serait souhaitable de trouver un juste milieu entre les positions anglo-américaine et française en tenant compte, par exemple, des dépenses exposées par la victime pour réduire son dommage et en prévoyant une compensation des frais. Néanmoins, jusqu’à présent, le recours à la notion de faute de la victime a toujours, semble-t-il, donné des réponses équilibrées et il paraît peu probable que cela change de si tôt.

Isabelle Delebecque

 

[1] Alain Bénabent, Droit des obligations, Domat droit privé, LGDJ, 14ème éd., 2014

[2] Lord James L.J. in Dunkirk Colliery Co. v. Lever, 1878, 9 Ch. D. 20, at p. 25

[3] Cass. civ. 2, 19 juin 2003 ; Lallemand Xhauflaire c/ Decrept et Cass. civ. 2, 19 juin 2003 ; Dibaoui c/ Flamand

[4] Cass. civ. 2, 24 nov. 2011, n°10-25.635, FS-P+B, D. 2012. 141

[5] Cass. civ. 1, 2 juillet 2014, n°13-17.599 et Cass. civ. 2, 26 mars 2015, n° 14-16.011

[6] Patrice Jourdain, Vers une sanction de l’obligation de minimiser son dommage ?, RTD Civ. 2012, p. 324

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.