Goodbye ACTA !

 


 

 

ACTA est un accord international pour lutter contre la contrefaçon des droits de propriété intellectuelle comportant un volet applicable à l’environnement numérique. Cet instrument a connu un important écho médiatique principalement de la part des utilisateurs d’Internet qui estiment que l’accord viole un certain nombre de leurs droits fondamentaux. L’Union européenne est ciblée par ces contestations car de nombreux rebondissements sur l’adoption de l’acte ont eu lieu au sein des institutions de l’UE qui ont abouti sur un rejet le 5 juillet dernier. En effet, 478 députés européens sur 754 (39 voix pour et 165 abstentions) ont refusé l’adoption d’ACTA. L’accord ne devrait donc jamais être appliqué et la société civile avoir gagné son combat, sauf qu’un accord similaire se négocie en ce moment entre le Canada et l’Union européenne, le traité CETA (Canada-European Comprehensive Economic and Trade Agreement). L’histoire n’étant donc pas totalement finie, revenons sur les grands moments d’ACTA.

 

 


 

I.   ACTA en négociation


Dès 2007, l’idée d’adopter un instrument international traitant du renforcement des droits de propriété intellectuelle sur Internet a émergé. Ce traité, appelé ACTA pour Anti-Counterfeiting Trade agreement – terme le plus fréquemment utilisé –, en français ACAC pour Accord commercial anti-contrefaçon, a pour but de lutter contre la contrefaçon et le piratage et a été signé par la Commission européenne et vingt-deux États de l’Union européenne – par exemple, la France, le Royaume-Uni, l’Italie mais pas l’Allemagne – à Tokyo le 26 janvier 2012. Au rang des États qui ne sont pas membres de l’Union européenne ayant signé l’accord en octobre 2011 on retrouve l’Australie, le Canada, le Japon, le Maroc, la Nouvelle-Zélande, Singapour, la Corée du Sud, les États-Unis. En revanche, aucun État n’a ratifié l’accord et ce processus de ratification semble être enterré au niveau de l’Union européenne. Selon la Commission, ACTA a pour but d’établir un cadre international complet qui soutiendra l’Union européenne dans ses efforts pour lutter efficacement contre la violation des droits de propriété intellectuelle( 1). L’une des raisons de l’omniprésence dans les médias de la question de l’adoption de l’ACTA est l’absence de communication qu’il y a pu avoir sur le traité pendant toute sa phase de négociation. En effet, il est souvent reproché aux signataires de n’avoir pas été transparents en la matière et de n’avoir publié un texte en 2010 seulement à la suite de fuites(2). 

 

II.   L’Union européenne au coeur des débats


Le Parlement européen, chargé de représenter les peuples des États membres de l’Union européenne, a été le premier à réagir contre le manque de transparence qui a entouré les négociations de cet accord international qui ont débuté en 2007. Dans un rapport du 11 mars 2009(3)  il avait invité la Commission à « rendre accessibles au public tous les documents relatifs aux négociations internationales en cours sur l’accord commercial anti-contrefaçon », notamment pour le Parlement même. Puis, le 10 mars 2010, il a adopté une résolution sur la transparence et l’état d’avancement des négociations ACTA(4) . Sa démarche était de forcer la Commission et le Conseil à communiquer sur les négociations de l’accord. Le Parlement s’appuie, pour ces demandes, sur l’article 207 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

 

Dans la partie relative à l’action extérieure de l’Union, le Traité de Lisbonne a détaillé la procédure à suivre concernant la politique commerciale commune. Plus particulièrement, l’article 207§3 dispose que lorsqu’un accord est négocié par l’Union, la Commission fait régulièrement rapport au Parlement sur l’état d’avancement des négociations. Cette communication inter-insinstitutionnelle est réitérée à l’article 218§10, dans la partie relative aux accords internationaux précisant que le Parlement doit être immédiatement et pleinement informé à toutes les étapes de la procédure de la négociation à la ratification de l’accord.

 

Pour ce qui est de la transparence vis-à-vis de la société civile, le Parlement renvoie au règlement du 30 mai 2001 relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission(5) . Ce règlement prévoit l’accès pour les citoyens de l’Union européenne aux documents détenus par une institution, qu’ils aient été établis par elle ou simplement détenus. Ainsi, de nombreuses contestations ont visé l’absence d’accès aux documents relatifs aux négociations de l’ACTA jusqu’au sein de l’Assemblée nationale française(6)  où la question de la transparence des négociations avait été posée en visant le refus du Conseil de l’Union européenne de communiquer. Le Conseil avait alors justifié cette opacité en estimant que partager les négociations de l’accord risquerait d’entraver le bon déroulement des négociations.

 

III.   La contestation venant de la société civile

Le 28 février 2012, une pétition contre l’ACTA a été présentée au Parlement signée par près de 2,5 millions de personnes originaires du monde entier(7) . Une journée de manifestation internationale à l’encontre de l’adoption de l’accord a eu lieu le 11 février 2012 par ceux considérant que ACTA porte atteinte aux libertés des internautes, jour de la diffusion d’un document par la Commission expliquant le processus de négociation. Ce document appelé « Qu’est-ce que l’ACAC »(8) ,dans sa version française, indique que le Parlement avait été informé dès 2008 des négociations ainsi que des représentants des États membres. Pour autant, l’impact médiatique et les contestations à l’encontre de l’adoption de l’acte n’ont réellement éclatée qu’au début de l’année 2012. Les protestations de la société civile, visibles sur la toile, et des institutions de l’Union européenne, spécialement le Parlement, ont eu pour conséquence un débat autour de la pertinence de la saisine de la Cour de justice de l’Union européenne pour que celle-ci apprécie la conformité d’ACTA face aux droits fondamentaux. L’article 218§11 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne permet aux institutions, Parlement européen, Commission ou Conseil, de recueillir l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne sur la compatibilité de l’accord avec les traités. L’article dispose qu’en cas d’avis négatif de la Cour il n’est pas possible de ratifier l’accord à moins d’avoir préalablement procédé à une révision des traités ou une modification de l’accord. Cette dernière option paraît plus complexe étant donné que la négociation s’est faite entre de nombreux États pendant près de quatre ans. Finalement le Parlement européen a décidé le 3 avril 2012 de ne pas saisir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur la compatibilité de l’accord avec les droits fondamentaux pour pouvoir exprimer sa propre position au préalable. Mais c’était sans compter un nouveau revirement et la saisine par la Commission de la Cour de justice le 4 avril 2012(9)  qui est toujours pendante. La Commission a néanmoins demandé le retrait de la demande d’avis au vu du rejet par le Parlement européen de l’accord le 5 juillet 2012.

 

ACTA

 

IV.   La rédaction du texte laisse place à de nombreuses incertitudes

 

L’interprétation de l’accord appelle de nombreux éclaircissements. La portée même de l’ACTA prête à confusion en raison de son article 2.1 qui précise que chaque partie est libre de déterminer la méthode appropriée pour l’application des dispositons de l’accord au sein de son propre système juridique et de sa pratique. Ainsi, un député européen à posé la question par écrit à la Commission(10)  de savoir si l’accord est finalement contraignant pour l’Union européenne et s’il entraînerait une modification législative pour les États membres de l’Union européenne. L’ACTA est destiné à lutter contre la contrefaçon de manière très large puisqu’il concerne à la fois toutes les marchandises y compris les médicaments et le téléchargement illégal sur Internet. Le texte comprend six chapitres et une cinquantaine d’articles. Trois thèmes ont fait l’objet de négociations particulièrement difficiles, les contrôles aux frontières, le respect des droits de propriété intellectuelle dans l’environnement numérique et les dommages-intérêts à verser à la victime. Concernant les mesures de contrôle aux frontières, il est par exemple indiqué que les contrôles transfrontaliers doivent être renforcés en terme de perquisition et confiscation des appareils de stockage d’informations. Cette possibilité devra d’ailleurs être encadrée pour éviter de se répercuter sur la circulation des produits médicamenteux légaux car les médicaments sont également visés par l’accord.

 

Selon la Commission européenne, ACTA vise à améliorer les standards internationaux pour mener des actions contre les atteintes au droit de la propriété intellectuelle. L’idée initiale est de protéger la propriété intellectuelle au niveau international en empêchant la contrefaçon, afin de sauvegarder les investissements dans la recherche et le développement de produits industriels et culturels. Sont également prévues des amendes contre le piratage à une échelle commerciale, y compris lorsque ce dernier est réalisé sans but lucratif. L’accord international mis en cause porte, dans la section 5 dédiée aux « Moyens de faire respecter les droits de propriété intellectuelle dans l’environnement numérique », sur les droits de propriété intellectuelle sur Internet dont l’application au sujet des droits d’auteur dans l’environnement numérique est un des volet qui pose le plus de problèmes.

 

Pour ce faire, l’accord prévoit d’harmoniser les moyens de lutte contre la contrefaçon. En matière de droit d’auteur, des dommages-intérêts punitifs sont organisés à l’article 9.2 « ses autorités judiciaires seront habilitées à ordonner au contrevenant de remettre au détenteur du droit les bénéfices du contrevenant qui sont attribuables à l’atteinte portée aux droits », système étranger à la France mais présent aux États-Unis. De plus, l’article 25 de l’accord prévoit que le titulaire des droits lésé pourra demander la saisie ou confiscation des actifs appartenant au contrefacteur correspondant à la valeur de l’activité en cause ce qui introduit une voie d’exécution spécifique à la contrefaçon(11) . Ces deux dispositions vont ainsi plus loin que les mesures françaises issues des loi du 29 octobre 2007(12)  relative à la lutte contre la contrefaçon et la loi du 12 juin 2009(13)  favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet.

 

V.   ACTA et les droits fondamentaux

 

ACTA a pour objectif la protection de la propriété intellectuelle en combattant la contrefaçon et le piratage en favorisant les échanges d’information à l’échelle internationale. Pour l’Union européenne cette protection est un élément crucial de la compétitivité(14)  dans le cadre plus global de réalisation du marché unique. Ainsi, comme l’explique le contrôleur adjoint à la protection des données « Bien que davantage de coopération internationale soit nécessaire pour l’application des droits de propriété intellectuelle, les moyens envisagés ne doivent pas se faire au détriment des droits fondamentaux des individus »(15).

 

L’accord fait l’objet de nombreuses critiques estimant qu’ACTA ne respecte pas les droits fondamentaux. D’une part, l’opinion publique affirme que la liberté d’expression est en danger en raison de la potentielle censure privée par les fournisseurs d’accès à Internet. D’autre part, les juristes visent plutôt le non-respect de la vie privée par la saisie d’information qui serait au contraire au droit à la protection des données personnelles. Les États eux-mêmes ne sont pas tous convaincus(16)   puisqu’au sein de l’Union européenne cinq États ont choisis de ne pas signer l’accord, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Estonie, Chypre et la Slovaquie. L’article 27.4 de l’accord présente la possibilité pour les États signataires d’adopter un système dans lequel « les autorités compétentes seront habilitées à ordonner à un fournisseur de services en ligne de divulguer rapidement au détenteur du droit des renseignements suffisants pour lui permettre d’identifier un abonné dont il est allégué que le compte aurait été utilisé en vue de porter atteinte à des droits(…)».

 

L’article 27.4 de l’accord prévoit ainsi que les fournisseurs d’accès à Internet soient obligés de divulguer des données et ce par une « autorité compétente ». Cette rédaction vague ne permet pas d’être certain que les États signataires exigeront bien l’intervention du juge judiciaire, garant des libertés individuelles, et ne passeront pas plutôt par des autorités administratives. C’est d’ailleurs l’imprécision des termes qui présente un risque important selon le contrôleur européen à la protection des données personnelles dans un avis du 24 avril 2012(17) . Pour le contrôleur, l’absence de limitations et garanties suffisantes relatives à la protection juridictionnelle et au droit à la vie privée et des données personnelles pourrait remette en cause la compatibilité de l’accord avec les droits fondamentaux. Le choix de termes vagues permet une certaine souplesse d’application mais pourrait ici laisser place à des dérives interprétatives qui ne sont pas acceptable lorsque que sont en cause des droits fondamentaux. La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) avait à ce propos relevé en 2008(18)  dans un avis consultatif le risque de déjudiciarisation du processus de récupération des données personnelles sur Internet et le pouvoir important offert à la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi). Également, l’article 27, aux paragraphes 5 et 6, renforce les mesures de lutte contre la neutralisation des mesures techniques de protection. L’accord définit ces mesures comme « toute technologie ou de tout dispositif ou composant qui, dans le cadre normal de son fonctionnement, est conçu pour prévenir ou restreindre l’accomplissement, à l’égard d’œuvres, d’interprétations ou d’exécutions ou de phonogrammes, d’actes qui ne sont pas autorisés par les auteurs, les artistes interprètes ou exécutants ou les producteurs de phonogrammes, conformément à ce que prévoit la législation d’une Partie ». Pour certains auteurs(19)  cela compromettrait la légalité de la copie privée considérée comme exception au droit d’auteur. Par ailleurs, la rémunération pour copie privée, aussi appelée taxe ou redevance pour copie privée, est régulièrement en cause devant la Cour de justice de l’Union européenne en raison de la multiplication des cas avec le développement d’Internet.

 

Ce qui est fondamentalement en cause c’est la cohérence et l’équilibre entre droit d’auteur et le droit à la vie privée représenté par le droit des données personnelles. Ces dernières sont nécessaires à la sanction du contrefacteur violant le droit d’auteur. Rappelons que la contrefaçon est une violation du droit de propriété intellectuelle par la reproduction ou l’utilisation non autorisée par le titulaire du droit. Cette contrefaçon, en matière de droit d’auteur dans l’environnement numérique, se présente majoritairement sous la forme de téléchargements entre internautes.

 

Concrètement, pour sanctionner les atteintes au droit d’auteur sur Internet il faut pouvoir identifier précisément la personne à mettre en cause. Dans un premier temps les intermédiaires techniques doivent pouvoir obtenir l’adresse IP à laquelle est reliée un individu déterminé. En France, ces intermédiaires, avec la loi du 6 août 2004, réformant la loi Informatiques et libertés, ont pris l’habitude de coopérer avec les autorités judiciaires pour ensuite pouvoir localiser la personne mise en cause à partir de l’adresse IP transmise. La question en conséquent est de savoir si cette adresse IP est une donnée personnelle qu’il faut protéger. Après une certaine hésitation, le décret du 5 mars 2010 « Système de gestion des mesures pour la protection des œuvres sur Internet » a pris position en estimant que l’adresse IP est une donnée personnelle. Ces exemples sont intéressants car le problème est le même dans ACTA. Le contrôleur européen à la protection des données personnelles relève d’ailleurs dans son avis du 24 avril 2012(20)  que l’imprécision de l’accord concernant la coopération volontaire des fournisseurs d’accès à Internet qui traiteraient alors les données personnelles est un danger.

 

Au-delà de l’accord ACTA c’est la question même de la réglementation de l’utilisation d’Internet qui apparaît et l’inadaptation des moyens classiques de réglementation face à un outil qui va très vite.

 

Tania Racho

Doctorante en droit européen

Université Paris II Panthéon-Assas

 

Notes

 

(1) Proposition de décision 24 juin 2011

 

(2) J. Jehl « ACTA : négociation multilatérale, démocratie représentative ou expression directe » La Semaine Juridique Edition Générale n°10, 5 mars 2010, 294

 

(3) http://precisement.org/blog/+Acces-aux-documents-communautaires+.html

 

(4) Résolution du Parlement européen du 10 mars 2010 sur la transparence et l’état d’avancement des négociations ACTA, RLDI 2010/59, no 1945

 

(5) Règlement 1049/2001/CE relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, JOUE L 145 du 31.5.2001, p. 43–48

 

(6)Question écrite du député N. Dupont-Aignant n° 67546, JO 22 déc. 2009, p. 12118

 

(8) Le document est accessible à l’adresse suivante : http://trade.ec.europa.eu/doclib/cfm/doclib_section.cfm?sec=663&langId=en

 

(11) J. Jehl « ACTA : négociation multilatérale, démocratie représentative ou expression directe », op. cit.

 

(12) Loi n°2007-1544 du 29 octobre 2007 relative à la lutte contre la contrefaçon, JORF n°252 du 30 octobre 2007

p 17775

 

(13) Loi n°2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, JORF n°0135 du 13 juin 2009 p 9666

 

(14) J. Jehl « ACTA : négociation multilatérale, démocratie représentative ou expression directe », op. cit.

 

(15) Communiqué de presse EDPS/09/12, Bruxelles, mardi 24 avril 2012

 

(16) L. Costes, Introduction, Revue Lamy Droit de l’Immatériel, Actualités, créations immatérielles, éclairage, 2012, n°80

(18) Délibération Cnil du 29 avril 2008, n° 2008-101 portant avis sur le projet de loi relatif à la Hadopi.

 

(19)J. Jehl « ACTA : négociation multilatérale, démocratie représentative ou expression directe », op. cit.

 

(20) Communiqué de presse EDPS/09/12, Bruxelles, mardi 24 avril 2012

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