La formation d’une coutume internationale à partir des traités bilatéraux d’investissement


 

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Mémoire rédigé par Sarah Schröder

 

PROPOS INTRODUCTIFS

«Whether similar clauses in a number of treaties are declaratory of customary international law or whether each clause represents a special concession valid only between the partners thereto is as difficult a problem as which one was earlier, the chicken or the egg »1

Le droit international des investissements est un domaine dans lequel les sources ont évolué au cours du temps. Le droit portant sur la protection et les garanties à accorder à un investisseur étranger s’est en effet développé tout d’abord à partir de sources contractuelles et conventionnelles2, dès le début du XXe siècle. De nombreux pays importateurs de capitaux, en besoin d’investissements directs pour encourager leur croissance et leur développement, signaient des contrats de recherche et d’exploitation, des concessions minières ou pétrolières avec des sociétés étrangères, dans le but d’attirer les investissements étrangers. A cela s’ajoutèrent de nombreuses lois locales spéciales, des « codes d’investissement », adoptés par de nombreux Etats accueillant des investisseurs étrangers : dans ces lois, les Etats offraient en général des avantages fiscaux ou autres dans le but d’attirer les investisseurs3. Ces avantages étaient complétés par les contrats conclus entre Etat d’accueil et investisseur, souvent leur accordant un régime de protection plus favorable4. Pendant longtemps, le droit international des investissements était donc dominé par le droit interne et le droit contractuel.

Et pourtant, déterminer le degré de protection de l’investisseur étranger uniquement à partir de sources internes a pu sembler critiquable : la personne privée apportant des capitaux dans un pays étranger souhaite en général être protégée du pouvoir potentiellement arbitraire de son Etat d’accueil, une protection qui lui est difficilement assurée par le droit interne ou le droit contractuel5. L’Etat d’origine de l’investisseur étranger avait également tout intérêt à voir la protection de son national être assurée par le droit international, car il pouvait alors utiliser le canal de la protection diplomatique afin de voir les droits de ses nationaux respectés6. C’est pour ces raisons que le droit des investissements a évolué depuis les années 1960, pour être gouverné essentiellement aujourd’hui par des conventions de droit international : des traités bilatéraux pour l’encouragement et la protection des investissements (« TBI »). Les TBI sont des traités conclus entre deux Etats, en principe un Etat importateur et un Etat exportateur de capitaux, dans lesquels chaque partie contractante s’engage sur la protection et les garanties à apporter à l’investisseur de l’autre Etat contractant. Si le traité est ainsi conclu entre deux Etats, il offre avant tout des garanties directement à l’investisseur personne privée, qui se voit également conférer très souvent un recours devant un tribunal arbitral afin de s’assurer que ses droits soient respectés par son Etat d’accueil. Le premier TBI fut signé en 1959 entre l’Allemagne et la Pakistan. Depuis, en particulier à partir des années 1990, le nombre de TBI n’a cessé d’augmenter, pour atteindre aujourd’hui un nombre impressionnant : plus de 3000 TBI sont actuellement en vigueur, conclus entre 181 Etats7.

Le droit des investissements est donc aujourd’hui véritablement international et essentiellement de nature conventionnelle : actuellement, presque tout investisseur étranger se voit accorder un certain degré de protection en vertu d’un traité bilatéral d’investissement, signé entre son Etat d’origine et l’Etat dans lequel il investit. Ce type de source présente des avantages indéniables : contrairement au droit interne, il protège en principe davantage l’investisseur de l’arbitraire, et permet à son Etat d’origine d’agir en protection de ses droits. En outre, il s’agit d’une source de droits écrite, apportant donc sécurité juridique, clarté et prévisibilité8. Tout investisseur étranger souhaitant s’installer dans un pays peut ainsi aisément s’informer sur les droits et garanties qu’il devra se voir accordés en vertu du traité bilatéral d’investissement en vigueur entre cet Etat et son Etat national. Les TBI peuvent donc être vus comme un outil important de l’encouragement des investissements, comme un moyen de dépasser le cadre contractuel et national dans lequel le droit des investissements était traditionnellement ancré9. C’est certainement ces nombreux avantages présentés par les traités bilatéraux d’investissement qui expliquent leur grand nombre aujourd’hui.

Mais les traités bilatéraux d’investissement ne sont pas sans défaut. Tout d’abord, le caractère bilatéral de ces traités peut être regretté : les droits et les garanties offertes par un Etat peuvent ainsi varier selon la nationalité de l’investisseur étranger. Un traité bilatéral d’investissement est en effet le fruit de négociations et de concessions entre deux Etats uniquement10. Or, tous les Etats ne s’accordent pas nécessairement sur le même degré de protection, ce qui a pour conséquence un traitement différencié des investisseurs selon leur origine, une différenciation qui peut sembler critiquable. A cela s’ajoute que le réseau dense de traités bilatéraux peut en réalité être critiqué pour son manque de clarté et de visibilité : comment s’y retrouver dans un réseau de plus de 3000 traités bilatéraux ? Le système actuel est fragmenté, et encourage une compétition entre différents modèles de régulation et de protection des investissements internationaux, une compétition qui peut être néfaste11. Le Professeur Thouvenin remarque que: « s’il était vrai que l’économie est réfractaire à la coutume parce qu’elle est trop conservatrice, on devrait tout autant penser que l’économie est réfractaire aux traités, lesquels ont vocation à « figer » les droits et obligations de ceux qui y consentent, le plus souvent d’ailleurs dans une perspective de long terme »12. Loin d’offrir la flexibilité espérée, les traités bilatéraux d’investissement peuvent ainsi être vu au contraire comme des instruments rigides et sous-optimaux.

Face à ces problèmes posés par les traités bilatéraux d’investissement, deux solutions ont pu être apportées: tout d’abord, des tentatives d’élaboration d’une convention multilatérale de droit des investissements ont vu le jour, mais toutes se sont soldées par un échec (i). En outre, le droit international public général, et en particulier le droit international coutumier, a pu jouer un rôle de consolidation et d’uniformisation dans l’application des traités bilatéraux d’investissement (ii). Mais au delà de ce rôle secondaire joué par le droit international coutumier, se pose finalement la question d’un possible droit coutumier substantiel en droit des investissements, formé ou modulé à partir des traités bilatéraux (iii).


 

 

1 SEIDL-HOHENVELDERN, I., International Economic Law, Martinus Nidjhoff, Pays-Bas, 1992, p.34, cité par HINDELANG, S., « Bilateral Investment Treaties, Custom and a Healthy Investment Climate, The Question of

2 KAHN, P., « Les investissements internationaux, nouvelles donnes : un droit transnational de l’investissement » in KAHN, P. et WÄLDE, T. W., Les aspects nouveaux du droit des investissements internationaux, Brill, Leiden, 2007, p.4

3 Ibid. p.4

4 Ibid. p.4
5 CARREAU, D. et JUILLARD, P. Droit international économique, Dalloz, Paris, 4e éd., 2010, p.478

6 CARREAU, D. et JUILLARD, P. Droit international économique, Dalloz, Paris, 4e éd., 2010, p.478
7 C.N.U.C.E.D., « Investment Instruments Online. Bilateral Investment Treaties », disponible au lien suivant :

http://www.unctadxi.org/templates/DocSearch____779.aspx

8 CARREAU, D. et JUILLARD, P. op.cit., p.478

9 KAHN, P., « Les investissements internationaux, nouvelles donnes : un droit transnational de l’investissement » in KAHN, P. et WÄLDE, T. W., Les aspects nouveaux du droit des investissements internationaux, Brill, Leiden, 2007, p.4

10 AL FARUQUE, A. « Creating Customary International Law Through Bilateral Investment Treaties: A Critical Appraisal », Indian Journal of International Law, n°44, 2004, p.316

11 JUILLARD, P. (1994). L’évolution des sources du droit des investissements. Recueil des Cours de l’Académie de la Haye de Droit international , VI, 9-216

12 THOUVENIN, J.-M., « Coutume et droit international économique », disponible au lien suivant : http://lewebpedagogique.com/jmthouvenin/articles-sur-des-themes-divers-de-droit-international- public/la-coutume-et-le-droit-international-economique/ (accès le 10 mai 2013)

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