La libéralisation des droits de plantation

 


L’Union européenne détient le rôle de régulateur du potentiel de production viticole depuis 1970. Un système de droits de plantation a été mis en place et est reconduit automatiquement à chaque fois que l’OCM (Organisation Commune des Marchés) vin est modifiée et cela se produira jusqu’au 1er janvier 2016, date à laquelle cette régulation prendra fin. Le système pourra être maintenu selon la volonté des Etats jusqu’au 31 décembre 2018 mais disparaîtra ensuite. En d’autres termes, chaque Etat disposera d’une liberté entière pour planter et pour produire des vins d’AOC, d’IGP ou encore des vins sans Indication Géographique (IG).

Pourquoi une telle réforme ? Afin d’y répondre, définissons le droit de plantation. Ses avantages.  Ses inconvénients.

 


 

Aujourd’hui, au sein de l’Union Européenne, il n’est donc possible de planter une vigne à raison de cuve (c’est-à-dire apte à produire du vin) qu’à condition de disposer d’un droit de plantation de vigne. Le transfert de droits de replantation est concomitant à la cession d’exploitations viticoles. Une fois cédée, et afin de restructurer son vignoble, ce droit peut s’obtenir de deux manières, il existe :

– Les droits qui ont été octroyés aux viticulteurs à la suite d’un arrachage de vigne ou droits de replantation ;

– Les droits ne provenant pas de l’arrachage d’une superficie équivalente de vigne, droits de plantation nouvelle et droits prélevés sur une réserve.

 

Le système est aujourd’hui contraignant dans la mesure où ces différents types de droits ont une durée de validité limitée dans le temps : 8 ans pour les droits de replantation, 2 ans pour les droits de plantation nouvelle et droits prélevés sur une réserve. Le renouvellement du vignoble se fait par arrachage de parcelles de vignes générant un droit de replantation qui est ensuite utilisé pour permettre la plantation de nouvelles parcelles de vignes pour une superficie équivalente. Ce droit peut également être octroyé, par anticipation, moyennant la constitution d’une garantie, au viticulteur qui s’engage à réaliser l’arrachage d’une superficie équivalente dans les deux campagnes qui suivent la replantation anticipée.
Si la Commission européenne, en 2006, a décidé de refondre le système, c’est qu’elle cherchait un moyen de rendre le marché du vin plus concurrentiel. Le 19 décembre 2007, les ministres de l’Agriculture des Etats membres de l’Union Européenne sont parvenus à un accord sur la réforme de l’OCM vin : la suppression des droits de plantation. Les droits décrits ci-avant constituent un frein à la compétitivité des entreprises et de surcroît au développement de la viticulture en Europe selon la Commission. En supprimant les éléments modérateurs, il n’y aura plus, de fait, de rendement maximal imposé, comme c’est le cas à l’heure actuelle, et de nouveaux vignobles verront le jour.
A noter que la consommation mondiale de vin est en croissance continue ; elle progresse d’abord dans les pays producteurs, mais surtout partout où le niveau de vie augmente. D. Murphy (courtier international) déclarait en 2008 : « dans cinq ans, on va manquer de vin ». Trois ans après ce constat, le manque se fait déjà ressentir. L’export des pays du nouveau monde augmente fortement. Les professionnels du vin, qui ont une vision globale de l’exportation du vin, pointent que la France ne parvient qu’à maintenir le niveau global de ses exportations, pendant que les pays concurrents voient leur part de marché continuellement croître.

La consommation française de vin est encore forte même si elle baisse régulièrement (de 104 l/hab /an en 1975, à 49,9 l/ha/an en 2008), les seules possibilités significatives de développement sont à l’export. La France reste une référence en matière de production viticole de qualité. Elle doit tirer les leçons de la mondialisation et, à coté du commerce de proximité d’hier, prendre en compte le commerce mondial. Dans cette optique, la libéralisation des droits de plantation semble une aubaine. L’OCM de 2008 avait pour objectif de passer d’une attitude essentiellement défensive (aides à l’arrachage, à la distillation) à une stratégie offensive, de conquête commerciale (aider à l’excellence pour mieux prévenir les échecs). Sans renier terroir et qualité qui ont fait sa notoriété, l’ensemble de la filière doit augmenter sa production pour s’adapter à la demande de nouveaux marchés.

Ici, comme dans beaucoup de domaines en France, il n’y a pas de refus total du changement mais les acteurs ne voient pas assez ce qu’ils ont à gagner malheureusement, bien mieux ce qu’ils ont à perdre.

A-t-on su anticiper le nouveau marché mondial et a-t-on su s’adapter, face à des concurrents trop longtemps sous estimés ? Comment faire face avec d’un côté le faible potentiel des vignobles et de l’autre la demande croissante ?  

 

 

 

vigne

 

 

 

Au vu de la complexité du système d’acquisition des droits, on pourrait penser qu’il n’y a que des avantages à cette refonte, mais le risque est de voir se déséquilibrer le marché. L’augmentation de la production sera évidente et, de surcroît, on assistera à un déséquilibre entre l’offre et la demande.  Par ailleurs, il serait impossible de maintenir le niveau qualitatif actuel, étant donné que les AOC pourraient voir leur production tripler avec plus d’1 million d’hectares disponibles en aire d’appellation. La France, qui a fait sa notoriété avec ses vins de terroir reste « la référence » en terme de qualité mais elle doit compléter son offre avec des vins technologiques (grands volumes constants) pour progresser sur les marchés de masse.  Les intentions de la Commission sont également valables pour le lait, ou bien encore le sucre : tous les instruments de maîtrise de la production doivent disparaître selon elle.
Aujourd’hui, la souplesse est demandée car un frein au développement des exploitations se fait sentir, frein qui empêche une offre répondant à la demande, une reconduction de la gestion du système des droits de plantation actuelle, jugée trop restrictive, n’est donc pas viable. En lieu et place d’un régime d’interdiction, comme c’est le cas à l’heure actuelle, l’objectif visé est l’ouverture, c’est pourquoi la libéralisation des droits de plantation ne serait qu’un moindre mal en introduisant un instrument de régulation du potentiel de production qui serait partagé entre négociants et viticulteurs, en d’autres termes, un garde-fou qui permettrait un équilibre durant les temps de pénurie, comme durant les périodes d’excédent et où chaque produit serait régulé (AOC, les IGP, mais également les vins sans IG,…). Un rendement illimité n’aurait qu’un effet pervers à long terme. Il ne faut pas passer du manque à la surproduction. En bref, l’objectif est d’améliorer la compétitivité, d’accroître notre présence à l’export, le tout avec un élément de régulation et non pas d’aller vers une surproduction, mais d’éviter une inadéquation persistante à une demande de plus en plus forte. D’une vision franco-française à une vision mondiale, il ne faut plus se tromper de concurrents !

La Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil des ministres sont les acteurs décisionnels et législatifs européens. Dans cette situation, la décision est déjà adoptée et il manque 54 voix pour obtenir la réouverture du débat. A l’heure actuelle, 13 Etats souhaitent revoir cette réforme. La Commission est contre l’ouverture des discussions mais fait circuler un questionnaire dans la perspective d’un rapport d’étape qu’elle doit publier en 2013. Le Parlement européen, quant à lui, demande le maintien des droits de plantation au-delà de 2015. D’ailleurs, une majorité de députés s’est exprimée à travers le rapport Dess et souhaite que la discussion reprenne à l’occasion de la réforme de la PAC.

Quelques exemples chiffrés à l’étranger :
* Espagne : le plan stratégique «Estrategia vino 2010 » s’est avéré efficace (forte progression des ventes en volume).
* Australie : un chiffe d’affaire en forte progression ces dix dernières années, le plan
stratégique « directions to 2025 » a l’ambition de le doubler dans les cinq prochaines
années, via un petit nombre de grandes propriétés viticoles, entreprises industrielles et
marques internationales. La superficie du vignoble a doublé en 10 ans. Même les petits
viticulteurs (x5 en 20ans) exportent du vin mais 8 entreprises traitent 80% de l’export).
*Argentine : marché intérieur important en croissance et politique commerciale délibérément
tournée vers l’export (Brésil, USA…), vins très techniques adaptés en permanence à la demande internationale et bien positionnés en « qualité prix », peu d’aléas climatiques et forte maîtrise des facteurs de production, un cépage original (le malbec, 70% Argentine, 20% Cahors).
* Chili : forte accélération des plantations, de la production, dans la conquête de marché par
« une poignée » de grands groupes très liés aux USA.
* BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine): le potentiel de ces 4 marchés est immense, les producteurs et distributeurs sont toujours une poignée de très grosses entreprises industrielles qui à terme se comporteront comme les plus puissantes multinationales.

Aujourd’hui, en termes d’image d’ensemble par rapport à l’offre mondiale, le dynamisme à l’export est relayé, notamment par l’Espagne et l’Italie. Quant au dynamisme et à la modernité, les vins du nouveau monde prennent le dessus : « présentation plus moderne des vins, plus accessibles, mieux identifiables, avec des repères plus clairs et assimilables (marques et cépages), des prix générateurs de marges pour les distributeurs, une réactivité plus grande à l’évolution des marchés ». Certes, la qualité (mais parfois irrégulière), le terroir, la culture, ce sont encore les vins de France, mais il serait salutaire de réaliser que la France n’est plus seule au monde sur le marché du vin. En d’autres termes, la logique du commerce de proximité doit être aujourd’hui nuancée. L’exploitation qui ne parvient pas à valoriser elle-même ses produits est contrainte de vendre à vil prix parfois « en vrac » un vin, souvent d’entrée de gamme, peu compétitif pour ce mode de commerce, et où seul le vendeur parvient à dégager un bénéfice.

Le secteur des vins et spiritueux est à relancer, à valoriser (ou à réorienter), sans doute pas avec une libéralisation des droits de plantation totale mais avec une libéralisation des droits qui serait régulée pour des raisons sociales, environnementales mais surtout économiques.

 

Alexandra Bouard

Lawyer in wines and spirits

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