La modification des accords de Schengen, vers le rétablissement des frontières en Europe?

 


 

L’actualité européenne a récemment été marquée par l’acquiescement de la Commission européenne à la demande de révision des accords de Schengen présentée par la France et l’Italie. Rappelons que suite à l’afflux d’immigrés en situation irrégulière en provenance d’Afrique du nord, la France avait rétabli des contrôles à la frontière la séparant de l’Italie prenant ainsi une décision en application avec une lecture un peu sollicitée du règlement Schengen.

Dès lors l’Italie qui semblait dans un premier temps froissée par la réaction des autorités françaises face à la délivrance de documents facilitant la circulation en Europe desdits migrants, a finalement convenu de demander en accord avec la France une révision des accords de Schengen. Se posent donc un certain nombre de questions tenant notamment à l’opportunité d’une telle réforme ainsi qu’à ses implications, lesquelles sont en lien avec le régime même des accords de Schengen.

 


 

I. Les « Accords » de Schengen

Sous le nom d’accords de Schengen se cachent en réalité divers textes de natures différentes dont certains d’entre eux dépassent largement le régime d’un « accord » au sens de celui d’un traité international. Certes, à l’origine il s’agissait bien d’un accord conclu entre la France, l’Allemagne et les Etats du Bénélux en dehors du cadre de l’Union européenne. Mais suite à l’extension de cette dernière et à l’adhésion des nouveaux Etats-membres à l’accord initial, est apparu le besoin logique de l’intégrer au système communautaire.

 

Cette intégration se fera par un Protocole au traité d’Amsterdam et entrainera l’adoption par les institutions européennes de toute une législation en la matière et notamment l’adoption d’un code frontière Schengen par le règlement n°562/2006 du parlement européen et du conseil du 15 mars 2006. C’est l’article 20 de ce règlement qui précise que «Les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans que des vérifications aux frontières soient effectuées sur les personnes, quelle que soit leur nationalité».

 

Ces textes ne sont cependant pas applicables à l’Irlande et au Royaume-uni. De même, la Roumanie, la Bulgarie et Chypre n’en bénéficient pas à ce jour. La mise à l’écart de ces trois Etats durera jusqu’à ce que le Conseil de l’UE en décide autrement. A l’inverse, des traités ont été conclus entre l’Union européenne et la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein d’une part et avec la Suisse d’autre part. Il était donc désormais loisible à chaque ressortissant de ces Etats de circuler librement dans l’ensemble des pays bénéficiant des «accords de Schengen».

 

Carte_espace_Schengen

 

II. Les possibilités d’un rétablissement des frontières

La suppression des frontières entre Etats-membres de l’UE et Etats participant aux accords de Schengen fait l’objet de certaines dérogations . Le règlement « code frontières Schengen » (qui s’est substitué aux accords de Schengen) prévoit à ses article 23 et suivants la possibilité de réintroduction temporaire de contrôles aux frontières dès lors qu’il y aurait une menace pour l’ordre public ou la sécurité intérieure.

 

Et si l’article 24 du même règlement prévoit une procédure préalable au rétablissement temporaire des frontières l’article 25 autorise les Etats à réintroduire immédiatement le contrôle à leurs frontières dès lors qu’il y aurait urgence à agir. Ce sont d’ailleurs sur ces dispositions que s’est fondée la France pour justifier la réintroduction de contrôles à la frontière italienne. De fait, celle-ci a été validée par la commission européenne.

 

Nonobstant un tel aval, les propositions de la France et de l’Italie telles que résultant du sommet franco-italien du 26 avril 2011 ont poussé Mme Cécilia Malmström, commissaire européen aux affaire intérieures, à avancer l’hypothèse d’une modification des accords de Schengen allant dans le sens d’un possible rétablissement des contrôles aux frontières par les Etats en cas de «défaillance» d’un Etat-membre assurant la surveillance d’une frontière extérieure de l’UE ou encore lorsqu’une partie de la frontière extérieure serait soumise à une «pression migratoire extraordinaire».

 

Une telle révision devrait logiquement concerner tant les textes ressortant du régime de l’Union européenne que les accords internationaux passés par cette dernière. II va de soi qu’une telle solution, outre la question de son opportunité dès lors que semblaient exister des moyens de lutter contre les problèmes visés, ne fait qu’offrir de nouvelles possibilités pour les Etats concernés de réintroduire leurs frontières et ce dans un contexte de montée des nationalismes étatiques.

III. La conformité du projet de révision au droit primaire

Faudrait-il rappeler que tant les articles 77 et 67 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne que l’article 3 du Traité sur l’Union Européenne visent la disparition des frontières intérieures au sein de l’Union européenne et que toute décision allant dans un sens contraire ne ferait que fragiliser la valeur de ces articles et du symbole européen que constitue la libre circulation des personnes. En effet, si par ces nouvelles mesures il n’est pas question d’un rétablissement définitif des frontières au sein de l’espace Schengen, il n’en reste pas moins qu’elles constitueraient un retour en arrière que les traités ne semblent pas pouvoir autoriser.

Enfin, le risque serait de nier le problème principal à l’origine de ces propositions. En effet, s’il apparait aux yeux des Etats membres et de la Commission européenne le besoin de créer de nouvelles justifications au rétablissement des frontières, il ne faut pas oublier que ce serait une «défaillance» qui serait à l’origine de tels rétablissements. Or, une telle défaillance ne concernerait aucunement les frontières intérieures sinon la mauvaise appréciation des autorités d’un Etat dans la gestion de sa frontière avec un Etat tiers.

 

Dès lors il conviendrait davantage de proposer des solutions en matière de politique migratoire de l’Union européenne et d’anticiper de telles défaillances dans la gestion des frontières extérieures, la possibilité pour les Etats membres de l’espace Schengen de rétablir temporairement leur frontières ne devant être qu’un ultime rempart. Mais ce sera à l’avenir de nous dire si rempart il y aura et si celui-ci se révèlera efficace.

 

 

Antoine Lafon
Master Droit européen et International des affaires
Université Paris Dauphine
Association des juristes européens

 

 

Pour en savoir plus

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